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INDE (Arts et culture) L'art

L'art indien a fourni une contribution importante et originale au patrimoine artistique de l'humanité.

Contribution importante par la persistance, jusqu'à l'époque contemporaine, d'une tradition dont les manifestations matérielles n'apparaissent guère avant le iiie siècle avant l'ère chrétienne, mais qu'on ne peut pas plus dissocier de la civilisation « de l'Indus », brillant préambule à l'histoire de l'Inde, que de l'ordre culturel constitué par les Aryens autour des Veda.

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Importante aussi par l'immensité de l'aire qu'intéresse le développement de l'art indien. Mûri sur le subcontinent indo-pakistanais, son esthétique a rayonné à travers « les trois quarts de l'Asie » – depuis la mer d'Aral et les oasis de la « route de la soie », au nord, jusqu'à la péninsule indochinoise et l'Indonésie, au sud-est – tandis que s'y répandaient, pacifiquement, le bouddhisme et l'hindouisme. Les écoles extra-indiennes, attestées par des documents archéologiques de plus en plus abondants à partir du ive, ve ou vie siècle, suivant les régions, s'individualisèrent rapidement sans toutefois rompre leurs liens avec la métropole intellectuelle. Elles s'éteignirent lorsque, d'un côté, s'imposa l'islam (viiie-xe s.) et que, de l'autre côté, les États indianisés se disloquèrent sous l'action indirecte de l'expansion chinoise vers le sud (à partir du xiiie s.).

Contribution originale, puisque cet art à travers ses mutations successives demeura fidèle à des valeurs inconcevables hors du cadre de l'indianité. Fruit d'un perpétuel brassage d'influences, il illustra à merveille un trait foncièrement indien : les éléments étrangers – déferlant en vagues successives sur le subcontinent depuis l'aube de l'histoire par les passes du nord-ouest qu'avaient déjà empruntées les Aryens au IIe millénaire avant l'ère chrétienne – furent assimilés à tour de rôle et enrichirent, sans altérer sa saveur, la substance originelle. Cette capacité d'intégration, que l'étude de la plastique indienne met à chaque instant en évidence, n'est pas moins remarquable que la faculté d'adaptation dont témoigna cet art partout où il s'implanta en même temps que la culture sanskrite.

Mus par des considérations essentiellement religieuses, maîtres et ouvriers élaborèrent un art « total » où toutes les disciplines étaient rigoureusement dépendantes les unes des autres. La sculpture, néanmoins, acquit au niveau de la réalisation une place éminente, prééminente même, au point que certains temples sont conçus comme de colossales rondes-bosses. La sculpture est le miroir de l'Inde : les reflets de ses croyances, de ses spéculations et de la vie de son peuple s'y mêlent harmonieusement ; aussi demeure-t-elle une mine inépuisable d'informations sur le passé.

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Faute d'un nombre suffisant de monuments datés avec précision par des épigraphes, c'est en grande partie sur l'examen du bas-relief narratif ou décoratif que se fonde l'établissement d'une chronologie relative à laquelle reste soumise l'histoire de l'art indien. De l'analyse des motifs architectoniques et ornementaux, des costumes et des parures, de la morphologie des personnages, notamment, se dégagent des observations sur leur évolution, que recoupent d'autres observations appliquées au plan des édifices, à leur développement, à l'iconographie, etc. S'il est assez nourri, le faisceau d'évidences autorise à assigner à l'œuvre étudiée une situation qui a quelques chances d'être vraisemblable à l'intérieur d'une séquence, pour peu que la confrontation avec un spécimen daté se révèle positive. Cette méthode, qui se veut aussi objective que possible, exige la remise en question des résultats obtenus dès qu'un nouvel élément d'appréciation est signalé aux historiens.

Mahabharata, enluminure moghole - crédits : P. Chandra

Mahabharata, enluminure moghole

La conquête musulmane à la fin du xiie siècle précipita très probablement la décadence de l'architecture et de la sculpture sacrées dans le nord du pays ; mais quand s'apaisa le conflit entre la communauté hindoue et la jeune communauté islamique, en majorité de souche locale, l'Inde, qui avait rapidement assimilé les techniques et les procédés introduits par les envahisseurs, enrichit encore grâce à eux l'éventail déjà fort riche et universellement réputé de son artisanat. Plus tard, ce fut l'intérêt que portaient les empereurs moghols à la peinture qui donna un nouveau souffle à l'illustration des textes en Inde.

Principes et techniques

L'architecture

Le symbolisme architectural

Dans la tradition indienne, la création artistique participe, ainsi que toutes les activités humaines, à l'harmonie universelle. Outre que chacune de ses phases s'accompagne d'actes rituels, elle doit tendre, quelles que soient ses fins, culturelles ou laïques, à la réalisation d'un ensemble cohérent résumant au travers de subtiles équivalences la substance et l'ordonnance du monde. Aussi l'efficacité de tout objet conçu et façonné par l'homme doit-elle être garantie par la stricte observance de règles éprouvées, transmises de génération en génération.

Dans cette perspective, le désir d'innover et toute recherche d'expression personnelle sont inconnus de l'architecte comme de l'ornemaniste. Pour ceux-ci seule compte la valeur symbolique du matériau et de la forme. Le site où s'élèvera le monument est l'objet d'un choix minutieux ; il doit comporter des éléments qui le font regarder comme un véritable microcosme. Le cadre naturel, la structure de l'édifice et son revêtement décoratif suggèrent ensemble l'univers tout entier au centre duquel réside la divinité suprême.

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Si, dès l'origine, le symbolisme cosmologique a conféré à l'architecture indienne ses traits spécifiques, c'est au respect des formules traditionnelles qu'elle doit la remarquable continuité de son évolution. Mais ces lois ne s'appliquent pas seulement aux monuments élevés sur le sol de l'Inde ; elles s'étendent aussi à tous ceux qui, en Asie continentale et sud-orientale, datent du temps où de nombreux États bénéficiaient de l'influence culturelle indienne.

L'autel védique

Le sacrifice constituait à l'époque védique l'acte religieux par excellence. Sur la « trame » de sa liturgie complexe, on prétendait renouveler sans fin la création et assurer l'accord permanent des hommes et des « puissances » divinisées. Aux moments désignés par les astrologues se déroulait une série d'opérations préparatoires : fabrication des briques destinées à l'autel ; choix, purification et aménagement de l'aire sacrée ; abattage de l'arbre et taille du poteau auquel serait attachée plus tard la victime animale ; construction des huttes qui abriteraient le sacrifiant et les instruments liturgiques, etc. Et sur l'autel provisoire dressé en plein air on allumait enfin le feu qui porterait aux dieux leur part d'offrande.

D'un foisonnement de notions relatives au sacrifice, quelques-unes sont propres à éclairer, au moins partiellement, les équivalences magico-symboliques sous-jacentes aux mythes et aux rituels ultérieurs de fondation, d'édification et de consécration.

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« Chaque fois qu'il est offert, le sacrifice a la taille d'un homme », lit-on dans le Śatapatha Brāhmaṇa. Le sacrifice, c'est l'homme : telle est donc l'idée fondamentale. Un passage célèbre du Ṛgveda explique comment les membres dispersés puis regroupés du « mâle primordial » (le Puruṣa) auraient formé le monde lors du premier sacrifice offert aux dieux par les dieux eux-mêmes. La notion de l'homme dépecé ne se sépare point de celle du démiurge, que ce démiurge se nomme Prājapati (« Maître des créatures », âme du monde) ou Viśvakarma (« Celui dont tout est l'œuvre ») ou qu'il s'agisse du brahman, principe créateur neutre et permanent (qui sera plus tard l'Absolu). Les identifications multiples introduites par les exégètes tendaient à exalter le rôle du démiurge qui, opérant à partir de sa propre substance, est à la fois le sacrifiant et la victime, celui qui différencie et qui fixe la matière. En un mot : l'axe du monde. Son œuvre est assimilée à un travail d'artisan ; elle relève des techniques du charpentier, du forgeron et du tisserand, auxquelles on compare aussi les actes accomplis par les officiants durant la cérémonie.

Le souci qu'avait la communauté d'assurer sa stabilité transparaît dans la notion de l'étai dressé au centre de l'univers et maintenant en place les trois portions du monde (ciel, terre, espace aérien). Corps cosmique et pilier cosmique : les deux concepts se rejoignent, découlant l'un et l'autre du regroupement et de la fixation de forces diffuses. « L'unique, Brahman, lit-on encore dans le Śatapatha Brāhmaṇa, se tient comme un arbre fixé dans le ciel. »

De la notion précédente se dégagèrent peu à peu des spéculations sur l'« ordre » (dharma de la racine sanskrite dhṛ, « soutenir »). L'image du pilier se confondait avec celle du pivot, laquelle suggérait à son tour la rotation. Cette dernière, observée dans l'ordre naturel, le cycle des saisons ou le mouvement apparent des astres autour de la Terre, impliquait l'idée du bon fonctionnement de l'univers. Plus tard, la roue sera le symbole plastique du dharma lui-même, du rayonnement de la « royauté universelle » comme de la Loi du Buddha, et c'est aussi l'image de la roue qu'évoquera la suite sans fin des transmigrations. On sait aussi qu'à l'époque védique, le rituel comportait déjà une circumambulation de l'objet vénéré.

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La signification du sacrifice et des éléments mis en jeu lors de sa célébration reposait donc sur plusieurs séries de rapports, presque interchangeables, entre l'homme et la nature.

Le lieu saint

À la conception du corps cosmique vint se juxtaposer celle du « lieu saint ». Les montagnes, les roches et les pierres, les rivières et les étangs, les forêts et les arbres isolés, habités par des déités, devinrent les accessoires de base d'un paysage idéal résumant l'univers. Groupés naturellement ou reconstitués artificiellement, ils composaient des lieux de purification (tīrtha) dont la mythologie faisait en outre le théâtre d'exploits héroïques attribués à un dieu majeur ou à quelque divinité locale assimilée à ce dernier. Une géographie sacrée se fonda sur la liste de ces sites privilégiés (Épopées, Purāṇa). Le centre de la vie religieuse se déplaçait progressivement de l'antique autel du feu au tīrtha : le sacrifice védique étant tombé en désuétude, c'était sur les lieux de purification qu'il convenait d'élever le temple, « point d'attache » et « demeure » de la divinité.

Le temple eut sans doute pour prototype un pavillon rudimentaire à l'imitation de la hutte rituelle : il était le gîte modeste de quelque déité campagnarde au centre d'une aire simplement bornée. Mais il finit par constituer une réplique de la montagne sacrée (Meru, Manḍara), pivot du monde et résidence divine mise en relation avec la demeure du roi terrestre.

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La composition est centrée sur le sanctuaire, accessible au seul desservant chargé d'accomplir les rites d'hommage quotidien devant l'image de la divinité. Autour du sanctuaire se développa une cour quadrangulaire (la terre), délimitée par des enceintes concentriques (les montagnes) et les douves (l'océan). À noter que le palais du souverain et la ville présentent en théorie une configuration analogue. À la période classique comme au Moyen Âge, c'est dans le sud-est de la péninsule que furent édifiés les meilleurs exemples indiens de ce schéma. Mais les plus fidèles et les plus impressionnants sont, sans conteste, les fondations de la royauté angkorienne au Cambodge, du ixe au xiiie siècle, qui associaient le culte du roi divinisé à celui du dieu ; la source d'une telle identification doit être recherchée dans la tradition shivaïte de l'Inde méridionale (J. Filliozat).

Dans le bouddhisme et le jaïnisme, le stūpa, reliquaire dérivé vraisemblablement du tumulus funéraire, constituait une sorte de « succédané » de l'autel védique ainsi qu'un microcosme complet : au centre de l'espace clos par la barrière, la calotte hémisphérique, la chambre secrète qui contient les reliques et la hampe qui porte les parasols n'évoquent-elles pas respectivement la montagne cosmique, le réceptacle de l'embryon universel et le pivot du monde ?

À ces constructions réelles correspondaient des diagrammes ésotériques ( yantra). Ces « instruments de pensée », préfigurés par l'autel védique, résument en des tracés géométriques les forces cosmiques et traduisent graphiquement les syllabes des formules sacrées ( mantra). Ce sont en même temps des « projections immédiates » de l'image de la divinité et des schémas identiques aux plans types des temples. Dans ses formes évoluées – le mahāyānisme et surtout le tantrisme –, le bouddhisme accueillit les données sur le symbolisme cosmique approfondies par le Yoga. En conjuguant le principe des figurations du microcosme (maṇḍala) et la mise en correspondance du « corps » du Buddha avec l'univers, les théories tantriques présidèrent à la réalisation de complexes architecturaux dont les plus imposants sont situés hors de l'Inde, tels par exemple, l'immense stūpa de Borobuḍur à Java central (env. début du ixe s.) et les temples de Pagān en Birmanie (xie-xiiie s.).

Les traités d'architecture

Les premiers principes d'où sont issues les conceptions architecturales s'infèrent d'allusions rencontrées dans certains passages de la littérature védique ayant trait au rituel. C'est à partir du ive siècle après J.-C. que d'importants ouvrages classiques – religieux, dramatiques, romanesques ou didactiques –, consacrent des développements aux arts plastiques ; ils se basent certainement sur des sources aujourd'hui disparues. On peut ainsi glaner à travers la littérature sanskrite quantité de renseignements sur les principes esthétiques, les techniques, la place de l'œuvre d'art dans la vie quotidienne, le statut social de l'artisan, etc.

La « science du site », l'un des soixante-quatre arts traditionnels, est attribuée à Viśvakarma, architecte des dieux dans le  

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panthéon brahmanique et ancêtre des bâtisseurs. L'encyclopédie Bṛhatsaṃhitā de Varāhamihira (vie s.) résume cette branche du savoir et le Mānasāra (viie s. ou un peu après) l'expose systématiquement. Des données sur la construction des temples et des édifices civils y voisinent avec d'autres concernant l'urbanisme, la sculpture, la peinture, la décoration, la mythologie, l'iconographie, la cosmologie, la géomancie, l'astrologie et le rituel (purification du terrain, cérémonies de fondation et d'inauguration, établissement de la présence réelle de la divinité dans l'image de culte, etc.). D'autres textes, élaborés tardivement, jouissent aussi d'une grande autorité : parties techniques des livres canoniques (Saṃhitā vichnouites, Āgama shivaïtes, Purāṇa et Tantra) ou traités autonomes (Mayamata, Śilparatṇa de Śrī Kumāra, Nāradaśilpa, etc.). Au Moyen Âge, et jusqu'au début des Temps modernes, le sujet a suscité une littérature abondante, mais la majorité des traités d'architecture ne portent ni date ni indication d'un lieu d'origine, ce qui rend difficile tout rapprochement entre textes et monuments. Et l'on chercherait vainement dans ce vaste ensemble des renseignements sur l'état des techniques antérieures à l'époque de la rédaction des premiers exposés systématiques : ainsi, ces ouvrages restent muets sur les procédés utilisés lors de l'aménagement des temples rupestres.

Ces ouvrages, versifiés, étaient essentiellement des recueils mnémoniques destinés à des hommes familiarisés avec tout un arrière-plan d'équivalences symbolico-rituelles. Ils résumaient des théories traditionnelles en les étayant de commentaires et de remarques inspirés par des réalisations connues à la fois des auteurs et des lecteurs. Ils dénombraient les catégories des temples et signalaient celle qui convenait à telle ou telle divinité comme celle qui convenait à la caste du donateur, etc. Ils exposaient des « recettes » garantissant la correction d'un plan, la justesse des proportions, l'harmonie du décor, en un mot la parfaite adaptation du bâtiment à sa destination.

Quatre classes d'experts prenaient part à l'exécution du programme architectural : maîtres d'œuvre, dessinateurs-traceurs, peintres et assembleurs-charpentiers (Mānasāra). Les unités de mesure (ou mieux : de proportion) courantes dans les textes sanskrits sont le tāla et le hasta, deux termes désignant la hauteur de la main du maître d'œuvre, et l'aṅgula égal à la largeur de la phalange médiane du médius, soit un douzième de tāla. Le vocabulaire emprunte largement à la botanique et à l'anatomie humaine ; il reflète en outre des nuances régionales. Chaque terme désigne un élément architectonique ou ornemental déterminé, généralement sans équivalent dans le répertoire des formes occidentales, et la plupart sont intraduisibles dans les langues européennes.

Les réalisations

Les plans

Le terrain sur lequel devait s'élever le bâtiment avait une forme géométrique, divisée en un nombre variable de carrés et rassemblant symboliquement autour de Brahmā les dieux régents du monde. On imaginait que l'« homme du site » (vāstupuruṣa) gisait la tête tournée vers l'est (c'est à l'est que sont orientés la plupart des temples) et recouvrait de ses membres ces divisions. Grâce au jeu des correspondances, on assimilait le plan au puruṣa et l'édifice à l'architecte, lui-même substitut du démiurge. L'ordonnance interne et la superstructure dépendaient théoriquement de la composition du diagramme initial.

Jusqu'à la fin de la période classique, on bâtit des temples indifféremment sur plan absidal ou carré, encore que le plan carré paraisse avoir été de beaucoup le plus répandu.

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On est tenté de rechercher l'origine du plan absidal dans une disposition analogue à celle de la caverne de Sudāma, dans les collines de Barābar près de Gayā, au Bihār (env. 250 avant J.-C.). Ce monument archaïque reproduit une hutte primitive circulaire à toiture hémisphérique accolée au petit côté d'un autre bâtiment ou d'un espace rectangulaire. Le plan absidal prédomina dans la majorité des sanctuaires bouddhiques et dans l'architecture brahmanique ; il correspond au type de temple dit « en dos d'éléphant ». Il existait aussi des temples octogonaux, comme celui placé sous le vocable de Śaṅkarācārya à Śrīnagar, datant du viiie siècle. Mais la cella cubique, probablement inspirée par la hutte primitive elle-même, ainsi qu'on l'a dit plus haut, devait prévaloir en tant que noyau du temple hindou. Et c'est au cours du viiie siècle que la disposition des organes annexes semble avoir été définitivement fixée.

Les matériaux et les techniques

Mégasthène, ambassadeur de Séleucus Ier Nicator à la cour de Pāṭaliputra (moderne Patnā) à la fin du ive siècle avant J.-C., avait remarqué que les villes indiennes s'élevant sur des hauteurs étaient d'argile et de brique alors que les agglomérations construites au voisinage de la mer et des cours d'eau étaient de préférence en bois, celui-ci résistant mieux que la brique aux inondations que subissaient périodiquement ces cités.

La robustesse relative du bois, l'abondance des forêts et la cristallisation autour de l'arbre de toutes sortes de croyances suffisent à expliquer la vogue durable de ce matériau et peut-être aussi l'influence de l'architecture de bois sur l'architecture de pierre.

Assemblage d'une balustrade de stupa - crédits : Encyclopædia Universalis France

Assemblage d'une balustrade de stupa

Cette influence se manifeste, à la période ancienne, dans les reproductions de bâtiments en bois que sont les couvents bouddhiques rupestres, particulièrement nombreux autour de Bombay (Bhājā, Beḍsā, Nāsik...), où les motifs de charpente et de menuiserie taillés dans le roc jouent un rôle décoratif. Quant aux balustrades des stūpa, dont les montants s'ajustent par des tenons et des mortaises, elles copient servilement des barrières de bois.

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Le déboisement progressif, la raréfaction de certaines essences eurent pour résultat une utilisation de plus en plus courante de la brique et du pisé pour les édifices laïques, puis de la pierre pour les constructions destinées au culte. Mais partout où subsistent des forêts (Cachemire [Kaśmīr], Népal, côte de Malabar...), les arts du bois demeurent vivaces.

Cependant la brique, séchée ou cuite, avait été employée massivement dans les cités de la civilisation dite de l'Indus (Mohenjo-Daro au Sindh, Harappā au Pañjāb, Lothal au Kāṭhiāvār, entre 2300 et 1500 env. av. J.-C.). À la période védique, la brique constituait le matériau sacré par excellence, réservé à l'autel sacrificiel. Plus tard, les bouddhistes l'introduisirent dans la maçonnerie de leurs stūpa et ils s'en servirent généralement pour édifier leurs monastères. Quantité de temples brahmaniques furent aussi élevés en briques. Celles-ci ont varié, tant par leur composition que par leur taille, selon les périodes et les régions. L' appareil, disposé à joints alternés, était maintenu à l'aide d'un mortier. Une structure de brique pouvait être renforcée aux points névralgiques par de la pierre (encadrement des portes et des fenêtres). On revêtait les murs d'un enduit que l'on sculptait, ou bien on les masquait sous des plaques de terre cuite. La brique servait encore à couvrir les sols, utilisée tantôt sous forme de carrelage à décor moulé, comme celui qu'on a retrouvé sous les ruines d'un palais au Cachemire (musée Guimet, Paris), tantôt pilée et mêlée à des substances adhésives composant une sorte de béton, comme à Nālandā si l'on en croit le témoignage de Yijing [Yi-tsing] à la fin du viie siècle.

L'observation directe des monuments rupestres et tout particulièrement des grottes restées inachevées renseigne sur les procédés mis en œuvre lors de leur réalisation. Les ouvriers égalisaient la paroi rocheuse, y marquaient les grandes lignes de la façade et pratiquaient ensuite, à l'aide de pics et de pioches en fer, des galeries jusqu'à la profondeur voulue. Cela fait, ils travaillaient au plafond, en réservant la masse de chaque pilier, et aux parties supérieures des murs. Le niveau de circulation était ensuite abaissé peu à peu et le décor des murs se poursuivait.  

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Il en allait ainsi jusqu'au moment où l'hypogée avait la hauteur désirée. Les colonnes étaient alors redressées au marteau, leur décor épannelé et achevé au ciseau.

L'exploitation régulière de certaines carrières remonte à l'époque Maurya. Dans chaque région, une roche se distinguait par ses qualités et son emploi prédominait localement. L'extraction était facilitée par l'insertion de coins de bois dans la roche ; mouillés, ces coins se dilataient et faisaient éclater la pierre aux endroits voulus. On acheminait les blocs vers les chantiers au moyen de chars puissants traînés par plusieurs paires de bœufs. Quand on construisait un édifice de grande taille, des plans inclinés permettaient d'amener les blocs dégrossis jusqu'à son sommet. La sculpture était réalisée tantôt au sol avant montage, tantôt sur le bâtiment achevé.

La pierre, matériau recommandé aux architectes pour les temples de quelque importance, restait néanmoins un substitut du bois et de la brique, seuls utilisés à la période ancienne. Il est fait état de temples de pierre dès le ier siècle avant J.-C., mais aucun de ceux qui subsistent ne paraît antérieur au ve siècle de l'ère chrétienne. Les fondations de ces ouvrages varient d'une région à l'autre ; toutes, cependant, furent calculées de telle sorte qu'elles ont bien supporté leur charge. Les blocs, dont les dimensions décroissent généralement à mesure que s'élève l'édifice, sont posés à joints vifs, une taille parfaite assurant leur adhérence. Pour maintenir les pierres jointives, on recourait parfois à des crampons ou à des ancres de scellement en double queue-d'aronde, en fer ou en bronze. Et pour rendre étanches terrasses et toitures plates, on plaçait à la jonction des dalles des couvre-joints semi-cylindriques. On utilisait aussi des enduits imperméables à base de sucre et de matières collantes d'origine végétale ; certaines de ces formules nous sont connues grâce aux traités spécialisés, d'autres demeurent en usage chez les artisans.

Le problème de l'espace et les solutions constructives

Les notions relatives à l'aire sacrée, que développèrent les hindous d'un côté et les bouddhistes de l'autre, s'étaient formées à partir d'éléments communs puisés au substrat postvédique. Elles présidèrent à une conception presque identique du lieu de culte. Mais, vers le ve siècle probablement, hindous et bouddhistes se trouvèrent amenés à différencier la disposition de leurs temples en raison d'impératifs découlant de leurs liturgies respectives.

La communauté bouddhique se réunissait pour vénérer des reliques et entendre des sermons. La présence d'une assistance nombreuse aux offices entraîna la construction de locaux spacieux et aérés. Les maîtres d'œuvre résolurent ce problème en lançant sur le sanctuaire, de plan rectangulaire ou absidal, une charpente à pannes (ou reins de voûte) soutenues par des cerces reposant sur le sommet, les parois formant les grands côtés du rectangle ; à l'extérieur, lui correspondait semble-t-il une couverture en berceau. On connaît les prototypes et les variantes de ces toitures par les monuments figurés sur les bas-reliefs archaïques (iie s. av.-ier s. apr. J.-C.) et sur ceux des écoles de Mathurā et d'Amarāvatī (iie-ive s. apr. J.-C.), ainsi que par les transpositions d'édifices construits que sont les sanctuaires rupestres (échelonnés du iiie s. environ av. J.-C. au viiie s. apr. J.-C.) où les charpentes ont été parfaitement imitées dans la pierre, ou bien parfois réellement exécutées en bois et encastrées sous la voûte taillée dans la falaise.

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Les couvents construits à l'air libre à l'époque archaïque ont tous été anéantis. Plus tardifs (premiers siècles de l'ère chrétienne), ceux de Taxila, de Takht-i-Bāhi, de Haḍḍa..., aux confins du Pakistan et de l'Afghanistan, furent saccagés par les Huns au ve siècle, et ceux de Sārnāth, près de Bénarès, de Nālandā et de Vikrāmaśila au Bihār furent ruinés par les musulmans lors de leur avance irrésistible à la fin du xiie siècle. À l'écart des routes empruntées par les envahisseurs, Sāñcī, au centre de l'Inde, a conservé d'importants vestiges d'édifices de style Gupta, et Ratṇagiri, à l'est, des fragments d'un bel ensemble postclassique. Il faut, pour se faire une idée assez précise de la variété de l'architecture bouddhique, non seulement étudier ces ruines dispersées en territoire indien, mais aussi voyager à Sri Lanka, en Birmanie et en Thaïlande où demeurent encore des complexes inspirés de réalisations indiennes.

Pour les hindous, l'exiguïté et le caractère secret du sanctuaire (garbhagṛha, « matrice »), où l'image sainte s'enveloppe d'ombre comme l'embryon dans le sein maternel, devaient être préservés en dépit de l'augmentation progressive, en nombre et en volume, des divers organes du temple. Les architectes en vinrent à concevoir une structure en fonction de ses pleins (volume) plutôt que de ses vides (espace utile), leurs démarches s'effectuant à l'inverse de celles des bâtisseurs de cathédrales. Le problème de l'espace interne ne se posait en fait que secondairement aux hindous, l'âme du temple restant la minuscule cella. C'est à partir de ce noyau et en recourant à des solutions constructives sanctionnées par la tradition qu'on envisagea de nouveaux développements.

Femme avec bijoux, Madhya Pradesh, Inde - crédits : J.-L. Nou/ AKG-images

Femme avec bijoux, Madhya Pradesh, Inde

L'étirement en hauteur du sanctuaire accentuant l'identification temple-montagne sacrée et l'accumulation d'éléments représentant symboliquement l'univers entraînaient nécessairement un renforcement des murs. Dans les styles médiévaux, à mesure donc que s'accroissait la superstructure (śikhara) de la cella, le saint des saints s'entoura de murs de plus en plus épais, redentés, formés parfois d'une maçonnerie en blocage de moellons entre deux parements de pierre taillée. On peut considérer comme un aboutissement heureux, après les tâtonnements que trahissent bien des temples de styles Gupta (Cāḷukya) et post-Gupta (Inde centrale et Dekkan, vie-viiie s.), la solution qui consiste à entourer la cella d'une galerie de circumambulation. Ainsi, la tour-sanctuaire ( śikhara) prend appui à la fois sur le mur extérieur de la galerie et sur le mur intérieur de la cella. Pourvue d'un double support et d'une importante surface de base, elle peut croître en hauteur sans inconvénient. Pour renforcer l'impression de verticalité qui se dégage de la tour-sanctuaire, des réductions de cette même tour-sanctuaire sont sculptées sur ses flancs. Tels sont par exemple les temples de Khajurāho (Inde centrale, xe-xie s.) qui sont parmi les mieux équilibrés et les plus riches en invention décorative.

La voûte typique indienne – celle-là même qu'on employait déjà à Mohenjo-Daro et à Harappā à la période protohistorique – est formée d' encorbellements d'assises horizontales, de briques ou de pierres, au profil interne « en escalier renversé ». Il existe également un système d'empilage dérivé de la charpente archaïque : des bâtis carrés sont superposés, placés alternativement droit et à l'oblique. La pierre est traitée dans ce cas comme le bois, des dalles ou des blocs de section carrée remplaçant les poutres. Cette méthode rend possibles toutes sortes de plafonnages suivant la disposition des bâtis, le maintien ou l'abattage des angles. En Afghanistan, les grottes de Bāmiyān, aménagées par les moines bouddhistes du ive au vie siècle environ, illustrent fort bien les ressources de la technique.

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Même à basse époque, les maîtres d'œuvre hindous continuèrent à dédaigner, du moins pour leurs temples, la voûte à claveaux, qu'ils n'ignoraient pas cependant, et restèrent fidèles aux procédés ancestraux dont l'inconvénient est de ne pouvoir couvrir que des espaces restreints. Pour pallier ce défaut on est amené, si l'on veut couvrir de grandes surfaces, à multiplier les piliers, points d'appui des poutres sur lesquelles s'édifient ces « plafonnages ».

Dès le début de la période post-Gupta, une salle ( maṇḍapa) est adjointe au sanctuaire ; elle le précède et sert à la circulation des dévots. C'est sur les maṇḍapa que vont porter les programmes d'agrandissement du temple médiéval. La toiture du maṇḍapa se compose d'assises superposées ; son importance s'accroît en fonction de l'extension de la surface de base, selon un principe qui préside aussi à l'aménagement externe de la cella. On épaissit les murs, on multiplie les piliers ou on les renforce, afin d'offrir un support proportionné à la masse des matériaux accumulés dans la superstructure.

Lingaraja, Bhubanesvar, Inde - crédits : Encyclopædia Universalis France

Lingaraja, Bhubanesvar, Inde

De grands temples médiévaux – presque toujours des fondations royales –, où le culte s'accompagnait d'un cérémonial apparenté à celui qui entourait la personne du souverain, comportant plusieurs maṇḍapa répondant chacun à un usage déterminé. Tantôt ces salles sont placées en enfilade en avant du sanctuaire (temples de Khajurāho, env. 950 à 1050 ; Liṅgarāja à Bhūbaneśvar en Orissā, env. 1050) ; tantôt une séparation est ménagée entre le maṇḍapa d'accès et celui qui jouxte le sanctuaire (temples de Sūrya à Modhera, au Gujarāt, et à Konārak, en Orissā, datant respectivement du début et du milieu du xiiie s.). Au maṇḍapa de façade peuvent s'ajouter des maṇḍapa latéraux ; on en trouve par exemple au temple de Keśava à Somnāthpur au Karṇāṭaka, achevé vers 1268.

Classification des temples

Il n'existe plus de spécimens d'architecture à l'air libre antérieurs à l'âge Gupta. Mais dès le ve siècle, on l'a dit plus haut, les constructions robustes en briques bien cuites et en pierre se multiplient au centre du pays et, depuis lors, il nous est possible de suivre les démarches des maîtres d'œuvre.

Partant de schémas peu ou point différenciés, ces derniers se livrèrent en effet à toutes sortes d'expériences. En témoignent à travers les diverses écoles d'architecture : les temples ressortissant au style Gupta (ve-vie s.) et à des styles post-Gupta (viie-viiie s.) en Inde centrale et au Rājasthan ; ceux qui, dans l'antique royaume Cāḷukya au centre-ouest du Dekkan, semblent avoir illustré (à Bādāmi, av. 642) un premier stade, mal connu, de l'art « dravidien » ou méridional et d'autres, à Aihoḷe notamment, voisins des précédents et sensiblement contemporains, qui présentent des affinités avec certains monuments Gupta et post-Gupta ; enfin, les sanctuaires monolithes – répliques de sanctuaires de maçonnerie – avec lesquels s'épanouit vers le milieu du viie siècle, à Mahābalipuram, le style Pallava de l'extrême sud de la péninsule (Tamilnāḍu), puis les temples, non plus sculptés dans la roche, mais construits, qui marquent la maturité de ce style à Mahābalipuram encore ainsi qu'à Kāñcipuram au siècle suivant. Quelques plans caractéristiques s'imposèrent, assortis de programmes décoratifs constants qui, à leur tour, engendrèrent les styles régionaux du Moyen-Âge.

Composition plastique à l'époque classique (2) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Composition plastique à l'époque classique (2)

Temple du Rivage, Mahabalipuram, Inde, 2 - crédits : M. Borchi/ De Agostini/ Getty Images

Temple du Rivage, Mahabalipuram, Inde, 2

La production architecturale peut être classée en deux grandes familles. Celle du Nord, avec ses nombreux rameaux locaux, issue de la tradition post-Gupta, se reconnaît à la tour curviligne qui coiffe le sanctuaire et domine de toute sa hauteur le complexe religieux ; son développement fut interrompu par l'invasion musulmane et elle n'a pas produit d'œuvres notables après le xiiie siècle. Celle du Sud, héritière du style Pallava, se distingue par l'emploi exclusif de toitures pyramidales à degrés ; moins touchée que celle du Nord par l'impact musulman, elle a continué à évoluer jusqu'à l'époque contemporaine, donnant successivement de l'importance au sanctuaire, aux salles et aux galeries de circulation, aux portes monumentales des enceintes.

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Ajoutons pour mémoire que les traités classent couramment les temples sous trois grandes rubriques : nāgara, drāviḍa et vesara, tout en distinguant en outre quantité de types définis par certains détails de structure ou de décoration. Mais il n'est pas toujours aisé de démêler la signification de certains termes, forgés peut-être à l'époque lointaine où s'élaboraient les formes architecturales. Faute de descriptions suffisamment claires pour être mises en parallèle avec les édifices existants, on doit se contenter souvent, pour l'instant, d'observer minutieusement ces derniers, d'en dégager empiriquement les constantes et les variantes, et d'analyser les mutations survenues au cours des âges. La lecture des traités d'architecture apporte toutefois des informations intéressantes sur les méthodes de travail, la science des proportions et des rythmes, l'iconographie et le rituel.

La sculpture

Le rôle de la forme

La parure sculptée et peinte ajoutait à la beauté d'un édifice, mais à aucun moment on ne songeait à la dissocier du programme architectural. La valeur symbolique de la sculpture ornementale s'impose en Inde à double titre. Un grand nombre de thèmes décoratifs évoquent des notions philosophico- religieuses familières à tout hindou ; d'autre part, les images qui s'ordonnent en fonction d'une stricte hiérarchie stimulent et soutiennent la méditation du dévot et le préparent à sa rencontre avec le divin.

Non moins remarquable est son rôle didactique : les bas-reliefs illustrent sur les monuments bouddhiques la vie ultime du Maître ou ses incarnations antérieures, et sur les temples hindous des épisodes des Épopées et des légendes ayant trait aux dieux majeurs.

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La présence sur le monument de certaines figures, génies et couples humains entre autres, bannit en outre les mauvaises influences.

D'après les documents connus, les premiers ouvrages possédant un authentique cachet artistique sont d'inspiration bouddhique : piliers dits de l'empereur Aśoka (iiie s. avant J.-C.), balustrades sculptées de Bhārhut, de Bodhgayā et du stūpa 2 de Sañcī, du iie siècle avant notre ère. Fruits d'une infinité d'expériences dont on peut tout juste soupçonner l'importance, ils contiennent en germe les caractères spécifiques de la plastique indienne.

Shiva - crédits : Dinodia Picture Agency, Bombay,  Bridgeman Images

Shiva

L'histoire de la sculpture, depuis cette époque lointaine jusqu'aux Temps modernes, est celle d'une sorte de renchérissement continu que chaque génération d'imagiers apporte à l'œuvre de la génération précédente. La règle veut que les exécutants reproduisent fidèlement et à la place qui convient un motif dont l'efficacité a été dûment établie par les experts. Rares sont donc les cas de désaffection à l'égard de thèmes décoratifs. En revanche, on enregistre d'une période à l'autre la transformation graduelle et la multiplication des éléments de base. L'assimilation rapide des thèmes étrangers constitue une autre tendance essentiellement indienne. Tels sont les facteurs de l'enrichissement progressif de la sculpture monumentale, porté à ses extrêmes conséquences dans le style Hoyśala au Karṇāṭaka (xie-xiiie s.) ou le style de Madurai en pays tamoul (xviie s.), par exemple.

Dociles aux lois édictées par les traités et se contentant, en principe, d'élaborer des variations sur quelques thèmes donnés, les imagiers avaient néanmoins réussi à présenter des agencements décoratifs infiniment variés et à exprimer, au travers de mille détails, leur génie inventif : le tour de force n'a cessé de se renouveler au cours des siècles.

Quelques traits propres à l'esthétique indienne

Sous des dehors naturalistes, l'art indien est foncièrement intellectuel. La création artistique commence par la projection à l'extérieur de soi de ce que l'on connaît des êtres et des choses. Par la concentration spirituelle, l' artiste s'égale au mystique et s'identifie au divin, ce qui lui permet de « penser » un type idéal, aux proportions et aux attitudes conformes aux canons, compte tenu des rapports qui l'uniront à son environnement. La forme vue mentalement doit être reproduite intégralement (à l'exception du buste tricéphale de la Trimūrti – l'Un sous son triple aspect, créateur, conservateur et destructeur – et de quelques sujets exploités en décoration, il n'existe pas en Inde de représentations partielles de personnages). L'artiste ne s'affirme pas en créant. Il fait, au contraire, un effort de dépersonnalisation et se réfugie, le plus souvent, dans l'anonymat. Il vise à accomplir une œuvre qui sera « à la fois une offrande et un intermédiaire », un « support du divin, conventionnellement digne de le représenter et profitable à ceux qui l'adoreront à travers elle » (J. Auboyer).

La contemplation d'une image parfaite doit entraîner des sensations et des sentiments que le fidèle ne saurait éprouver si l'image ne ressemble pas à la réalité. Cette ressemblance, l'artiste ne peut la rendre par la copie servile de la nature : il l'atteint par un jeu de comparaisons que lui suggère sa connaissance des choses, de leur essence comme de leur apparence superficielle. Il évolue avec une aisance égale dans le réel et l'imaginaire. Outre les objets « vus », il lui faut encore dépeindre les objets probables, ceux qui peuplent le monde invisible des dieux : les textes sont là pour l'aider en lui en fournissant la nomenclature et la description. Mais, en définitive et quelles que soient les motivations du sculpteur ou du peintre indien, son éducation commence avec l'observation de la nature et la recherche des traits distinctifs au travers desquels les objets trahissent leur réalité profonde ; puis, la lecture des ouvrages techniques repoussera les limites de sa connaissance au-delà du visible ; enfin, la concentration mentale aiguisera ses facultés de perception et lui inspirera des compositions propres à réjouir les dieux, puisque le supra-humain y voisinera avec l'humain.

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L'art de la période ancienne (du iiie au ier s., aux alentours de l'ère chrétienne) frappe précisément par le sens inné de l'observation et le goût du détail pittoresque que possédaient les imagiers. Les motifs floraux charment par leur précision. Les animaux, qui jouent souvent un rôle de premier plan dans les récits des naissances antérieures du Buddha, sont campés avec justesse et animés par quelques touches de tendresse fraternelle et d'humour. Et, quoique raides et gauches, de grands personnages en ronde bosse ou sculptés sur les barrières des stūpa font prévoir par leur morphologie et leurs attitudes le déploiement de sensualité qui apparaîtra ultérieurement dans la sculpture. Un peu plus tard, la spontanéité des notations végétales ou animales s'estompa et l'anthropomorphisme mobilisa l'intérêt du décorateur. En raison du climat tropical, la nudité – ou une semi-nudité – était habituelle et par conséquent nullement choquante dans l'Inde ancienne. Les artistes s'inspiraient de son spectacle familier et surent de bonne heure rendre le modelé des chairs et la souplesse des membres. Un fléchissement étudié allant d'un léger déhanchement à une triple flexion assure l'équilibre des figures. Du début de l'ère chrétienne au ive siècle l'école de Mathurā exalta les formes féminines, tandis que celle d' Amarāvatī s'attachait surtout à traduire le mouvement et introduisait une harmonie nouvelle dans les proportions et de la grâce dans les poses.

Avec le classicisme du style Gupta (ive-vie s.), les sculpteurs, devenus pleinement maîtres de leur technique, réalisèrent la synthèse des qualités esthétiques accumulées aux époques précédentes : ils excellèrent à traduire la sérénité, la majesté et l'ardeur contenue qui seyaient aux figures divines et à leurs assistants.

Mais dès la fin de cette période se faisaient jour insensiblement des tendances à la surcharge, à la préciosité (art bouddhique) et au dynamisme – voire à la violence (art brahmanique). Les écoles médiévales allaient bientôt manifester une « horreur du vide » et adopter une stylisation nouvelle, durcissant les traits des visages et accentuant, en les exagérant, les flexions du corps. C'est alors – du xie au xiiie siècle – que certaines d'entre elles développèrent un art érotique alliant au raffinement une robuste franchise (Khajurāho, Bhūbaneśvar, Konārak).

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Le visiteur étranger s'étonne de voir glorifier le corps humain sur les murs des monuments religieux de l'Inde. Pour comprendre cette explosion de sensualité, il faut se souvenir qu'en ce pays la notion du péché originel est inconnue à la pensée, comme la fausse pudeur aux mœurs, et que tout un ensemble de conceptions a dû favoriser ce triomphe du nu.

Un culte de la fécondité, centré sur une Déesse Mère, est attesté dès la période protohistorique au nord-ouest du subcontinent de même que dans le Proche-Orient ancien. Quantité de statuettes féminines découvertes au Béloutchistan et dans le bassin de l'Indus en font foi. Ce culte devait survivre à l'invasion aryenne. Des figurines d'origine vraisemblablement populaire et offrant quelque ressemblance avec les précédentes ont été mises au jour dans la vallée du Gange ; on les date de la seconde moitié du Ier millénaire avant J.-C. pour la plupart.

Le brahmanisme orthodoxe allait donner droit de cité à une image liée à l'idée de la fertilité : considérée comme éminemment bénéfique, elle connaîtra une faveur durable. Il s'agit d'une femme aux formes opulentes, ayant pour piédestal un lotus, douchée par deux éléphants. Ce personnage n'est autre que Śrī ou Lakṣmī, la déesse de la prospérité, pour les hindous et les jaïnas, et Māyā, mère du Bienheureux, pour les bouddhistes. Point n'est besoin de souligner le caractère auspicieux conféré alors à la représentation réaliste des attributs de la féminité.

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Il paraît probable que le couple enlacé (mithuna) ne fut à l'origine qu'un thème de bon augure, du fait de sa place éminente dans le cycle de la fécondité. Dans les styles d'Amarāvatī, Gupta et post-Gupta, le couple est sculpté surtout à la base des montants de portes, entre les colonnettes séparant des scènes narratives ou au centre de médaillons décoratifs.

Par la suite son contenu s'est indéniablement enrichi dans la mesure où les scènes licencieuses s'ajoutent au répertoire des imagiers. Ces scènes, très prisées au Moyen Âge en certaines fondations royales, comme les temples de Khajurāho et de Konārak, persistèrent dans le décor des chars de procession ; elles évoquent au premier abord les enseignements sur l'amour profane prodigués par le Kāmaśāstra (traité relatif au plaisir sous toutes ses formes). Mais elles sont également susceptibles de sublimation et, à ce titre, ont reçu diverses interprétations.

Dans une perspective philosophique, on peut considérer l'union sexuelle comme le symbole de l'union des deux principes déclenchant le processus créateur, le principe masculin étant l'Esprit, inerte mais incitateur, et le principe féminin la Nature, active mais aveugle (Sāṃkhya) ; ou encore comme une allusion à la réalisation parfaite en fonction de la non-dualité (advaita). Mais si l'on considère ces scènes du point de vue religieux, plusieurs explications sont plausibles. Quelques auteurs les rattachent à des rites sexuels que pratiquaient les adeptes de certaines sectes tantriques dans le but de maîtriser totalement leurs impulsions passionnelles. D'autres y voient la traduction plastique de la participation mystique à la Divinité, que certains cultes ont exaltée comme seule voie de salut (bhakti).

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En Inde méridionale, dans le cadre de l'orthodoxie śivaïte, l'imagerie tardive aime à illustrer les « jeux de Śiva ». L'un de ces jeux consiste pour le dieu, accompagné de Viṣṇu sous une forme féminine, à semer la perturbation dans une forêt habitée par des ermites et leurs épouses. Le thème exposé dans plusieurs Purāṇa et Āgama et peint de façon très réaliste au xviiie siècle sur un plafond à Cidambaram (Tamilnāḍu) a pour objet de montrer la nécessité de connaître le grand Dieu « en tant qu'être pur et immuable transcendant les égarements humains » (J. Filliozat).

Les thèses exposées tendent à restituer le climat religieux qui entourait l'élaboration de ces œuvres. Un courant de pensées particulier à une secte a dû dominer chacune de ces écoles qui manifestèrent, à un moment donné, une prédilection pour des thèmes érotiques. Malheureusement, aucun traité d'architecture n'en fait état.

Le culte de l'image

Le rôle considérable dévolu à l'image dans les préoccupations religieuses des Indiens ressort clairement de ce qui précède. Le culte de l'image plonge ses racines en un lointain passé, mais ses origines, qui ont intrigué les savants, demeurent obscures.

Le Ṛgveda reconnaît implicitement la représentation anthropomorphique des déités. Des ouvrages beaucoup plus récents, les Gṛha-sūtra et Dharma-sūtra, contiennent des allusions plus précises à leur figuration. Sans doute ces textes conduisent-ils à corriger une opinion accréditée au xixe siècle par les travaux de Max Müller, selon laquelle les dieux védiques recevaient un hommage aniconique ; ils sont néanmoins trop fragiles pour étayer la thèse d'une iconolâtrie védique qu'aucun document archéologique ne vient confirmer jusqu'à présent. Il est admis que l'apport des croyances locales a contribué à l'évolution de la religion védique ; rien n'interdit donc de penser que, parallèlement à l'intégration de notions étrangères à la pensée brahmanique, la vénération des images pratiquée par les populations non aryennes gagna à un certain moment le milieu aryen. Il faut attendre le Mahābhārata, qui prit probablement forme vers le ive siècle avant J.-C., pour que soit enfin attesté l'établissement d'un culte de l'image dans l'orthodoxie.

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Est-ce à dire que ce culte et la représentation des divinités entraînaient fatalement la figuration anthropomorphique de ces dernières ? Il ne le semble pas.

Premiers témoins de l'iconographie archaïque, les monnaies, apparues vers la fin du ive siècle avant J.-C., les sceaux, les amulettes, les plaques votives ou de fondation attestent l'importance des symboles. Jusqu'aux alentours de l'ère chrétienne, on y voit les dieux figurés sous la forme de leur vāhana (animal servant de monture), de leur emblème ou de leurs attributs particuliers plus souvent que sous une apparence humaine. Ces hésitations peuvent passer, dans le cas de ces objets de petite taille, pour un trait d'archaïsme et en même temps être imputées à la difficulté de rendre identifiable à une échelle très réduite un personnage donné. Il demeure cependant peu probable que la persistance de l'iconographie symbolique ait été liée à un problème technique.

Scène de vénération des symboles du Buddha, art de l'Inde - crédits :  Bridgeman Images

Scène de vénération des symboles du Buddha, art de l'Inde

Le bouddhisme, qui donna une forte impulsion aux arts, s'abstint longtemps de figurer la personne de son fondateur. Était-ce, comme on le pense parfois, en raison d'un antique interdit ? Sur les bas-reliefs du style ancien et dans l'école d'Amarāvatī jusqu'au iiie siècle de l'ère chrétienne, les imagiers se bornèrent en effet à suggérer son auguste présence à l'aide d'objets conventionnels ; aucun scrupule, en revanche, ne les retenait lorsqu'ils devaient montrer des génies à l'aspect humain ou semi-humain.

L'image de culte
Scènes de la vie de Buddha, art du Gandhara - crédits : W. Buss/ De Agostini

Scènes de la vie de Buddha, art du Gandhara

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Les sculpteurs du nord et du nord-ouest de l'Inde adoptèrent résolument l'anthropomorphisme pour désigner à l'attention des dévots les divinités brahmaniques et le Buddha au temps des Kuṣāṇa – dont l'empire servit de trait d'union entre les cultures de l'Orient hellénisé, de l'Iran et de l'Inde – et plus particulièrement sous le règne de Kaniṣka (iie s. apr. J.-C.). Cet essor figuratif fut grandement favorisé par le climat d'éclectisme qui entourait les souverains kuṣāṇa. Le développement d'un mouvement de dévotion dans l'hindouisme et une influence hellénistique attardée n'y furent certainement pas étrangers et durent agir en particulier sur les idées qui présidèrent à l'invention de l'image humaine du Buddha. Son apparition, presque simultanée, au Gandhāra et à Mathurā, principaux foyers artistiques de la période kuṣāṇa, a constitué une révolution dans la plastique bouddhique.

À partir du moment où les effigies des dieux prévalurent sur leurs figurations abstraites, le comportement humain domina toutes les représentations. Des particularités vestimentaires, quelques gestes et attitudes conventionnels suffisaient à préciser l'identité des personnages divins, et pendant quelques siècles l'exécution des icônes, bouddhiques, jaïnas ou brahmaniques, ne nécessita le recours à aucun texte technique.

Statue de Bodhisattva, art de l'Inde - crédits :  Bridgeman Images

Statue de Bodhisattva, art de l'Inde

Mais, insensiblement, les sectes hindoues mirent l'accent sur la divinité ou l'aspect de la divinité, les qualités, traits et marques distinctifs qu'elles révéraient tout spécialement. De leur côté, les bouddhistes firent ressortir le caractère transcendant de l'Éveillé, tout en accordant une importance grandissante à des êtres mythiques : Buddha des temps passés, Buddha d'essence métaphysique, Bodhisattva (« être promis à l'Éveil »). À partir du viie siècle environ, ce fut la contrepartie féminine et dynamique des dieux qu'exaltèrent en outre les Tantra, écrits d'inspiration hindoue ou bouddhique. En multipliant le nombre des divinités et en développant un symbolisme ésotérique, le tantrisme introduisit une complexité sans précédent dans l'iconographie. En conséquence, des normes d'exécution s'imposèrent. Les règles canoniques se systématisèrent rapidement. Après s'être satisfaits de l'expérience empirique, acquise sur le double plan de la technique et de l'esthétique, les imagiers se soumirent à un code édifié sur la somme des expériences accumulées.

Que la personne divine ou divinisée apparaisse au milieu de comparses dans un cadre narratif ou qu'elle soit isolée afin de recevoir un hommage rituel, elle doit revêtir les proportions et les marques caractéristiques (lakṣaṇa) que lui reconnaît la tradition. Mais, dans la pratique, une distinction s'établit de bonne heure entre ces deux formes de représentation. L'image « en majesté » de l'entité révérée constitue l'expression la plus typique, et trop souvent la plus académique, de chaque style.

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La consécration de la statue de culte exige un cérémonial minutieux visant à contraindre la divinité à résider en elle. Installée à demeure dans le sanctuaire, l'image est chaque jour baignée, ointe de parfum, vêtue, parée et honorée d'offrandes variées, ces diverses opérations constituant la pūjā ou hommage quotidien. À l'occasion de certaines fêtes, des statues mobiles, généralement en métal, sont placées sur un char – lui-même réplique du temple – et promenées en procession à travers la localité.

C'est le liṅga, symbole phallique de Śiva et non point son image anthropomorphique, qui s'offre à la vénération des fidèles dans les temples consacrés à ce dieu. Fait d'un haut cylindre de pierre, le liṅga évoque avec le yoni, prisme légèrement ovale sur lequel il se dresse, l'union procréatrice.

L'iconographie et l'iconométrie

Pour les bouddhistes, l'image de culte par excellence est, bien entendu, celle du Maître. Son iconographie classique se constitua au ive siècle ou un peu avant. On reconnaît le personnage à son nimbe, à son manteau monastique, à sa coiffure faite de petites boucles plates, à une protubérance crânienne et à une touffe de poils qu'il porte entre les sourcils, pour ne mentionner que ces marques de sainteté propres au « Grand Homme » ; il est debout ou assis « à l'indienne » ; ses gestes coordonnés à ses attitudes rappellent à l'initié les épisodes saillants de sa carrière.

Styles Gupta et Sena - crédits : Encyclopædia Universalis France

Styles Gupta et Sena

Tantôt la statue se dresse seule (œuvres de Mathurā et de Sārnāth, ve s.) derrière une table à offrandes. Tantôt son image s'enlève en haut relief au fond d'une chapelle (Ajaṇṭā). Ou bien encore, atteignant des proportions gigantesques, elle s'impose au regard et repousse à l'arrière-plan tout autre objet (grotte 26 à Ajaṇṭā ; Buddha haut de « 35 mètres » – qui en mesure 38 en réalité, comme l'a établi la restauration des deux statues – et Buddha de 55 mètres à Bāmiyān, en Afghanistan, ve-vie s. env. ; Polonnāruwa à Sri Lanka, xiie s.).

Bamiyan - crédits : De Agostini/ Getty Images

Bamiyan

Polonnaruwa (Sri Lanka) - crédits : Paul Biris/ Moment / getty Images

Polonnaruwa (Sri Lanka)

D'autres fois, le Bienheureux occupe le centre de compositions réunissant soit les silhouettes à formats réduits de Bodhisattva et d'orants, soit de menus panneaux illustrant la série des « Grands Miracles ». De tels arrangements symétriques, déjà connus de l'art gandhārien, eurent un succès croissant dans le style Gupta finissant et les styles Pāla et Sena qui en recueillirent l'héritage (Bengale, fin viiie s.-fin xiie s.). Ce qui s'explique, puisque ces compositions exaltent singulièrement l'incommensurable supériorité du Buddha sur tous les êtres, y compris les dieux. Pour la même raison, des accessoires en relation avec la fonction royale entourent son image : au trône, au parasol, aux chasse-mouches, etc., qui appartenaient depuis la période ancienne au répertoire iconographique, s'ajouteront parfois une tiare et un pectoral qui apportent une touche quelque peu hérétique si l'on s'en tient aux perspectives traditionnelles du bouddhisme. Le « Buddha paré » se rencontre, semble-t-il, d'abord en Afghanistan, vers le viie siècle, puis au Bengale, d'où il se répand au Cambodge et en Thaïlande, d'une part, au Népal et au Tibet d'autre part.

Le costume, la coiffure, la riche parure et les attributs des Bodhisattva contrastent avec la simplicité monacale du Buddha et leur confèrent une certaine ressemblance avec les divinités brahmaniques. À mesure que le temps passe, et selon les vues propres à chaque secte, ces personnages se différencient de plus en plus par les multiples combinaisons auxquelles se prêtent les éléments iconologiques (attitudes, gestes, attributs, montures, piédestaux, etc.).

Temple jaïn de Jaisalmer (détail), Jaisalmer, Rajasthan, Inde - crédits : M. Markovic/ Shutterstock

Temple jaïn de Jaisalmer (détail), Jaisalmer, Rajasthan, Inde

Dans l'ensemble de l'iconographie indienne, celle du jaïnisme se distingue surtout par les statues des vingt-quatre Tīrthakara, pontifes ou annonciateurs de salut (Mahāvīra le Jina et ses vingt-trois prédécesseurs), au corps nu marqué de signes auspicieux.

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Du côté hindou, les dieux Viṣṇu, qui préservent le monde créé par Brahmā, et Śiva, qui le détruit ou plutôt anéantit le mal et l'erreur de l'homme engagé dans le monde, ont acquis un rang exceptionnel dans le panthéon et personnifient l'un et l'autre l'Absolu pour leurs sectateurs respectifs. Viṣṇu, avec ses dix avatāra (dont Rāma et Kriṣṇa) et sa parèdre Lakṣmī, et Śiva, qui revêt, tout comme son émanation et énergie féminine la Śakti, de multiples aspects bénins ou terrifiants, inspirent une infinité de représentations auxquelles font cortège les images des divinités de second plan qui leur sont, à divers degrés, associées. Viṣṇu apparaît sous les traits d'un homme jeune à l'allure souveraine, coiffé d'une tiare et ayant pour monture l'oiseau Garuḍa (un milan). Dans le personnage complexe de Śiva, l'aspect du yogin prévaut, comme l'indiquent certains détails de son iconographie : cheveux massés en chignon, peau de panthère couvrant la cuisse droite, trident, etc. Le taureau Nandin est à la fois sa monture et son « image indirecte ».

Doués d'ubiquité et jouissant d'une foule de privilèges supra-humains, les dieux arborent parfois plusieurs têtes et deux paires de bras ou plus. Ils se signalent également par l'adjonction de parties du corps animales (généralement la tête). De tels traits répondent aux fonctions qu'ils exercent simultanément et que les mythes mettent en évidence. Ils se justifient par plusieurs légendes. L'idole « a schématisé un dynamisme réel » (par exemple : la danse cosmique de Śiva) « ou a amplifié le réel par la répétition d'éléments identiques » (L. Renou).

Quelques indications relatives aux principales données iconologiques ne seront peut-être pas jugées inutiles. C'est sous l'influence combinée d'une discipline corporelle de maîtrise de soi (le Yoga), de l'art du mouvement (la danse) et de l'art de faire un discours à l'aide des doigts que se constitua le code des expressions formelles de l'imagerie religieuse.

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Les premières remarques concernent les poses, debout (sthāna), assises (āsana) ou couchées (śayana).

Pour les figures debout, on a le choix entre plusieurs attitudes, selon que varie l'ordonnance des deux moitiés du corps de part et d'autre d'une ligne verticale imaginaire (brahmasūtra) ou, si l'on préfère, selon le degré d'inflexion du corps. Les images de culte obéissent à une stricte frontalité (samabhaṅga) « qui égalise la flexion » ou « flexion égale ». Sont dites : ābhaṅga, celles où le tronc s'infléchit vers la droite ou la gauche, alors que la partie inférieure du corps conserve la frontalité ; tribhaṅga (« triple flexion »), celle dans laquelle les membres inférieurs jusqu'aux hanches, le cou et la tête s'inclinent vers la droite tandis que le torse est tourné vers la gauche (ou vice versa), attitude couramment utilisée à partir de la période Gupta ; atibhaṅga, celle qui accentue la précédente.

On isole trois sortes d'āsana empruntés au Yoga et passés au registre iconographique par l'intermédiaire du tantrisme : attitudes dites « à l'indienne », avec le tronc vertical indiquant la concentration et convenant particulièrement au Buddha ; postures « de délassement », avec une jambe pendante et des flexions compensées du torse et du cou, adoptées pour les Bodhisattva et les divinités brahmaniques ; posture assise « à l'européenne », propre à la personne dotée de caractères royaux et n'apparaissant guère que dans le bouddhisme. Il existe de surcroît des postures agenouillées, d'humilité et de dévotion, réservées à des figures secondaires dont les textes ne font pas mention. Le terme āsana ne désigne pas seulement la pose mais aussi le siège, pourvu d'une riche signification symbolique, qu'il soit lotus ou trône.

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Rarement utilisée, la pose allongée est spécifique de la totale extinction du Buddha (Parinirvāṇa) et du sommeil cosmique de Viṣṇu sur le serpent Sans-Fin.

Ainsi qu'on l'a dit plus haut, les gestes ( mudrā, hasta) ont toujours une valeur précise, tant en eux-mêmes qu'en fonction de la position qu'ils accompagnent et du nombre de bras possédés par l'image. Ils évoquent une action, une disposition de la divinité en une occasion déterminée ou encore un attribut. Les sens des mots mudrā et hasta diffèrent assez peu lorsqu'ils s'appliquent aux images ; le premier, toutefois, semble avoir une résonance plus spécialement religieuse, et l'usage l'a imposé dans l'iconographie du Buddha. Génies et créatures humaines – saints, monarques ou dévots anonymes – ont les mains jointes à la hauteur de la poitrine : ce geste de salutation (añjali) se perpétue depuis l'âge classique.

Le sculpteur se voyait obligé de reproduire le mouvement sans lequel certaines images allégoriques eussent été incompréhensibles. Tout en admettant la nécessité d'altérer des proportions définies une fois pour toutes pour rendre compte du déplacement des membres, le « faiseur de formes » demeurait soucieux de ne point transgresser les règles iconométriques. Pour concilier deux tendances contradictoires, il recourut à un compromis : il emprunta à la danse, pourvue d'un caractère sacré, des attitudes et des positions de pieds et de mains (décrites, avec les jeux de mimique correspondants, dans le Bhāratīya-Nātyaśāstra composé sans doute durant les premiers siècles après l'ère chrétienne et dont le retentissement fut considérable).

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Les premiers efforts de l'imagier portaient sur la recherche des relations existant à la fois entre les dimensions des diverses parties de la figure à façonner et entre ces dimensions et celles du sanctuaire. Et de ces rapports dépendaient les mouvements de son inspiration tout au long de l'élaboration de l'œuvre. Science des proportions, l'iconométrie indienne impose comme unité de mesure le tāla, égal à la hauteur de la main ou de la face de la statue et donc à peu près équivalent à la « tête » du vocabulaire en usage dans les académies occidentales. Les divinités majeures se ressemblent anatomiquement et leur hauteur totale s'élève en moyenne à neuf tāla, alors que, selon les données européennes classiques, la hauteur totale d'un personnage n'atteint que sept têtes et demie ou huit têtes On constate bien des nuances d'un écrit à l'autre comme d'une pièce à l'autre, les divergences s'accentuant entre les documents du Nord et ceux du Sud. Les statues de provenance septentrionale ont le visage carré ; celles du Sud l'ont ovale.

La liste des ouvrages d'iconométrie et d'iconographie, bouddhiques ou hindouistes, est trop longue pour qu'on puisse la donner ici. Outre des textes déjà mentionnés à propos de l'architecture et dont sculpteurs et peintres firent leur profit, on signalera toutefois le Viṣṇudharmattarapurāṇa (un peu avant ou après le viie s.), la Sādhanamālā (viie-ixe s.), la Niṣpannayogāvalī (xie s.) et le Mānasollāsa (xiie s.), qui constituent une mine de renseignements pour le chercheur.

Les matériaux et l'évolution des techniques

Peu coûteuse, docile à la pression des doigts, l'argile s'est de tout temps prêtée à merveille aux productions de l'art populaire et, de nos jours encore, c'est aux potiers qu'il appartient en Inde de façonner des images éphémères pour les cultes domestiques et les fêtes.

Une abondante moisson de statuettes de terre cuite a été recueillie sur les sites où se développèrent les cultures villageoises du Béloutchistan (fin du IVe millénaire av. J.-C.-début du IIIe millénaire environ). On remarque sur des bustes de Déesse Mère une technique primitive : sur les corps grossièrement modelés, des boulettes ou des rubans d'argile ont été appliqués pour former les détails anatomiques caractéristiques – yeux, nez, seins, etc. –, les coiffures et les bijoux. Ce procédé de pastillage continua d'être pratiqué dans la civilisation de l'Indus (2500-1500 env. av. J.-C.), où les images de fécondité sont pourtant plus élaborées et finement exécutées, et même dans les antiques cités de la vallée du Gange, dans la seconde moitié du Ier millénaire avant J.-C. et plus tard encore.

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Parmi les plus anciens témoins des arts bouddhiques, jaïna et brahmanique figurent des ex-voto et des maquettes de lieux saints en terre cuite. L'argile a été peu prisée pour la fabrication des images de culte hindoues. La technique découlant de son emploi ne fut décrite que tardivement : à la terre on ajoutait de la pierre pulvérisée, du sable et du fer en quantités égales ; on liait le tout à l'aide d'extraits de bois et de laitages et on laissait longuement reposer, après quoi le mélange était modelé sur une âme de bois. Mais l'art bouddhique compte, parmi ses créations les plus séduisantes, des statues de Buddha paré et de divinités réalisées selon une formule analogue (on citera, par exemple, celles qui proviennent de Fondūkistān, en Afghanistan ; datant du viie s., elles sont conservées au musée de Kaboul et au musée Guimet de Paris).

En revanche, l'argile servit largement au décor architectural, là où la pierre de qualité faisait défaut. On l'employait crue, mêlée de matières fibreuses et de balle de riz, pour la préparation de divers revêtements apparentés au stuc, modelés et peints (stūpa de Haḍḍa et de Taxila, dans l'ancien Gandhāra ; grottes de Bāmiyān ; monastères et temples de brique des périodes Gupta et post-Gupta en Inde centrale...).

Des plaques de terre cuite, historiées, habillaient également des édifices. Quelques ensembles, moulés ou modelés, remontant à l'époque classique ou postérieure, sont parvenus jusqu'à nous (Inde du Nord et du Centre, Bengale). En Birmanie, des plaques étaient fréquemment peintes et émaillées. Dans l'architecture méridionale tardive, des groupes mythologiques en terre cuite ornent les toitures des bâtiments religieux ; on les badigeonne périodiquement de couleurs criardes.

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Quant au bois, il jouissait d'un égal prestige auprès de l'architecte et du sculpteur. Les traités s'étendent longuement sur la sélection des arbres, les offrandes aux génies résidant en eux et autour d'eux, les rites à accomplir avant d'y porter la hache, etc., mais ils ne mentionnent pas les outils du sculpteur, pas plus qu'ils ne parlent de la réalisation des images ; on sait toutefois que celles-ci étaient peintes. L'idole de bois, de facture primitive et violemment colorée, vénérée au temple de Jagannātha à Purī (Orissā), est la réplique d'une antique statue miraculeuse autour de laquelle se tissa toute une légende ; chaque année, on la promène en grande pompe à travers la ville et, tous les douze ans, on la renouvelle.

C'est à travers l'art lapidaire, apparu relativement tard, que l'on suit le plus aisément et sans discontinuité l'évolution de l'esthétique indienne. Point n'est besoin d'insister pour l'instant sur l'influence qu'exerça la nature des roches sur la formation des styles locaux ou régionaux ; on y reviendra en analysant les caractères de chaque école.

Comme pour l'architecture, il est difficile de relier les écrits des théoriciens aux réalisations des exécutants. Les préceptes réunis dans les ouvrages spécialisés traitent presque uniquement de la confection des statues de culte et négligent le bas-relief, malgré l'importance considérable que lui ont conférée les maîtres d'œuvre indiens. On préconisait, pour les images de divinités, l'emploi de roches « jeunes » (allusion à l'âge géologique des minéraux), de grain fin, non friables et de couleur uniforme, en spécifiant que cette dernière doit être choisie selon la classe sociale à laquelle appartient le donateur. Il est question aussi de pierres « masculines » convenant à l'idole elle-même, « féminines » et « neutres » destinées respectivement au piédestal et au socle qui soutient l'ensemble. La distinction est probablement théorique, puisque la plupart des statues ont été exécutées en un seul bloc. Après les rites d'usage, on attaquait le roc au ciseau afin d'en détacher une portion de taille légèrement supérieure à celle de l'image projetée.

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Les tailleurs de pierre avaient rapidement acquis une grande habileté dans la technique de la ronde-bosse, ainsi que le prouvent, dès la période ancienne, les ravissantes « déesses à l'arbre » ornant les portiques du grand stūpa de Sāñcī. Leur maîtrise en ce domaine se confirme amplement, à la période classique, avec des figures féminines et des couples faisant office de consoles au sommet de colonnes (Ajaṇṭā, Bādāmi, Aihoḷe, Ellorā, etc.), ou, plus tard, du xvie au xviiie siècle, dans l'art du Sud (Vijayanagar, Madurai) avec des piliers formés de compositions tourmentées où l'élément humain s'allie au bestiaire le plus fantastique. Il apparaît cependant que le sculpteur ne tarda pas à préférer le haut-relief à la ronde-bosse, sans doute afin de diminuer les risques de cassure en cours de travail. Cette prédilection s'affirma dans les styles post-Gupta et devint presque constante au Moyen Âge, avec la production de stèles qu'on encastrait au fond de niches spécialement aménagées sur les murs des édifices. Il est intéressant de comparer à l'expérience de l'artiste indien les démarches du sculpteur khmer. De bonne heure celui-ci se libéra des modèles importés d'outre-mer, en cherchant à isoler les figures dans l'espace. Mais les problèmes de l'équilibre et de la solidité du matériau se posaient à lui avec acuité lorsqu'il lui fallait camper un personnage pourvu de plusieurs paires de bras aux mains chargées d'attributs. Il conçut alors un « arc de soutien » qui auréolait l'image en ronde-bosse et sur lequel reposaient les bras supérieurs du personnage, les bras inférieurs prenant appui sur le corps. Cet artifice disparut au ixe siècle : bon nombre d'éléments iconologiques ayant été éliminés, on assura dès lors la stabilité des statues soit en épaississant leur silhouette, soit en ménageant derrière leurs talons un contrefort.

C'est avec la production d'objets en cuivre battu que débuta la métallurgie à travers le sous-continent, à des dates variant considérablement d'une zone à l'autre : un miroir dont le manche dessine un corps féminin et qui illustre vraisemblablement la dernière phase de la culture de Kullī (Béloutchistan méridional, début du IIIe millénaire av. J.-C.) ; la célèbre statuette de jeune danseuse de Mohenjo-Daro et quelques images d'animaux ressortissant également à la civilisation de l'Indus (2300-1500 environ av. J.-C.) ; un bovidé sur un char de petite taille, provenant du Mahārāṣṭra (environ 1500 av. J.-C.) ; une statuette de femme trouvée à Adiçanallūr dans la région de Madras (autour de 1000 av. J.-C.). Tels sont les bronzes les plus anciens connus actuellement et dignes de prendre place dans l'histoire de l'art.

Danseuse, provenant de Mohenjo-Daro - crédits : Bridgeman Images

Danseuse, provenant de Mohenjo-Daro

-4000 à -2000. Naissance de l'écriture - crédits : Encyclopædia Universalis France

-4000 à -2000. Naissance de l'écriture

À l'aube de la période historique, on coulait des barres de métal qui, aplaties et découpées, formèrent la matière des monnaies primitives, poinçonnées en creux, et des plaques votives ou des amulettes présentant des emblèmes ou des figures divines incisés. Par la suite, les monnaies furent fondues dans des moules et frappées de coins gravés qui imprimaient dans le métal chauffé des motifs en relief. Tout porte à croire qu'assez tôt les artistes indiens travaillèrent avec succès, selon différentes méthodes, divers alliages métalliques. Malheureusement la majorité des œuvres ont disparu, fondues lors des périodes troublées pour combler le déficit qui affectait la trésorerie des États. Il est question dans des textes provenant du Bengale d'un alliage à « huit éléments », pas toujours identifiés avec certitude. Mais l'examen des pièces révèle généralement une forte proportion de cuivre.

Le procédé de la «  cire perdue » connut une grande faveur pour la fabrication des statues cultuelles. On lui doit des œuvres à la fois robustes et sensibles, en particulier en Inde du Sud, où le pratiquent encore quelques artisans. On procède tout d'abord au modelage, en cire, de l'image (autour d'une âme, si la statue est de grande taille) et on munit ce moule de conduits, en cire également, partant du dos, des épaules, du cou et du sommet de la tête. On entoure le moule d'une gangue d'argile fine travaillée avec diverses matières. Au préalable le métal a été mesuré proportionnellement au poids de la cire et enfermé en un creuset d'argile. L'enveloppe du moule, une fois sèche, est posée sur une source de chaleur afin que la cire s'amollisse doucement. D'autre part, le creuset contenant l'alliage est chauffé, et l'on perce un trou dans sa partie supérieure. On verse alors le métal liquide dans les orifices des conduits ménagés autour du moule : la cire s'écoule et le métal prend sa place dans la coque. Lorsque le métal est froid, on casse délicatement l'argile qui l'enrobe et la statue apparaît, identique au moule. Il ne reste plus qu'à couper les conduits, à limer leurs attaches et à faire les retouches finales.

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Les sculpteurs apportaient jadis un soin et une précision extrêmes à la confection du moule en cire, et leur travail de finition était insignifiant. Aujourd'hui les détails, négligés sur le modèle, doivent être repris sur la statue par incision. L'abus de cette méthode, qui s'imposa progressivement, a causé de graves préjudices à la qualité des œuvres.

La peinture

Les documents matériels

La pratique de la peinture était jadis en Inde regardée comme une activité hautement bénéfique ; aussi fut-elle très répandue dans les classes cultivées. Passe-temps ou moyen de transmettre des messages (amoureux, entre autres), cet art se rattachait dans une large mesure à des démarches individuelles de caractère profane. Mais revendiquant comme toute autre technique une origine divine, il ne pouvait manquer de faire l'objet d'une codification, qui intervint probablement peu après celle de la sculpture. Les palais comportaient des galeries largement ouvertes parfois, où se trouvaient exposés des tableaux représentant des épisodes mythologiques ou des récits édifiants. Un rôle important était dévolu à l'art pictural dans la vie sociale.

Demeurés anonymes, les peintres formaient des équipes itinérantes qui, selon toute vraisemblance, travaillaient aussi bien dans des fondations religieuses qu'à la cour des princes. En ces dernières, ils côtoyaient des acteurs, des danseurs et des musiciens, et firent force emprunts au répertoire dramatique. C'est ainsi que le groupement des personnages, la traduction plastique des situations et des sentiments et une multitude d'autres traits apparaissent dans la fresque d' Ajaṇṭā comme des réminiscences du théâtre de Kālidāsa.

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La disparition de l'architecture civile, pour laquelle on faisait ordinairement usage de matériaux peu résistants, causa assurément la perte de quantité de peintures dont les poètes laissent deviner les mérites. Les seuls fragments de fresques anciennes qui résistèrent au temps et aux hommes ont été découverts dans des temples rupestres : ils ne représentent qu'une infime partie de la production picturale indienne. Malheureusement, la détérioration de ces reliques s'aggrave sans cesse et certains documents étudiés ou copiés il y a quelques décennies sont aujourd'hui effacés ou à peine lisibles.

Les grottes d'Ajaṇṭā renferment l'ensemble le plus important qui se puisse voir en Inde, tant pour les qualités esthétiques que pour la dimension des surfaces préservées. On y suit les cheminements de l'inspiration, les progrès de la composition et l'enrichissement de la technique depuis les alentours de l'ère chrétienne (environ un siècle avant ou après, selon les auteurs) jusqu'à la fin de la période Gupta, compte tenu d'une interruption coïncidant avec un abandon momentané du monastère. L'influence des maîtres d'Ajaṇṭā ou de l'école dont ils se réclamaient se discerne jusqu'en Afghanistan (Bāmiyān, Kakrak) et en Asie centrale (Dandan Uiliq, Qizil), et ses lointains reflets ont été captés au Japon (J. Auboyer). Sīgirīya à Sri Lanka, Bāgh au Madhya Pradesh et Sittanavāsal au sud du Dekkan, sites les plus marquants après Ajaṇṭā dans l'histoire de la peinture murale indienne, fournissent des spécimens des ve, vie et viiie siècles respectivement. Ils témoignent de l'unité de la tradition classique en peinture.

Composition plastique à l'époque classique (1) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Composition plastique à l'époque classique (1)

Sigiriya (Sri Lanka) - crédits : Oliver Strewe/ The Image Bank/ Unreleased/ Getty Images

Sigiriya (Sri Lanka)

Buddha couché de Gal Vihara - crédits : Glen Allison/ The Image Bank/ Getty Images

Buddha couché de Gal Vihara

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À Ellorā, un examen minutieux de vestiges de couches apposées entre le milieu du viiie siècle et le xie siècle a éclairé un tournant de l'esthétique indienne (S. Kramrisch) : on y voit s'altérer par degrés le sens du monumental et celui de l'observation du peintre, et par quel processus la conception « plastique » de la forme céda le pas à une conception « linéaire » s'exprimant à travers les formules d'une stylisation mécanique, dont le traitement des visages dans les plus anciennes miniatures connues (xie-xiie s.) offre de frappants exemples. Un certain souffle animait encore les compositions qui décorent le grand temple de Tanjore (xie s.) et celles, cruellement endommagées, qu'on déchiffre non sans peine sur les murs du temple de Tivaṃka et au fond du « Gal Vihāra » à Polonnāruwa, à Sri Lanka (xiie s.). Ce fut là, semble-t-il, le chant du cygne de la fresque classique.

L'empereur Jahangir, peinture moghole - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

L'empereur Jahangir, peinture moghole

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Les œuvres des Temps modernes qui suscitent le plus d'intérêt sont dues au pinceau des miniaturistes. Les empereurs mogols donnèrent une vive impulsion à la peinture d'album, cherchant d'abord des modèles dans les écoles iraniennes, puis accordant rapidement droit de cité à des artistes et à des procédés locaux. Son apogée se situe sous le règne de Jahāngīr (1605-1627). Parallèlement, sous le patronage des princes hindous, se multipliaient les ateliers où l'on illustrait les légendes épiques et puraniques. Les fruits les plus savoureux de la tradition hindoue ont mûri, au xviiie siècle et au début du xixe, au creux des vallées subhimalayennes.

On notera qu'aux époques préclassique et classique la polychromie passait pour un complément presque indispensable de la sculpture, et l'on distingue encore des traces de couleur sur certains bas-reliefs anciens.

La peinture murale classique

Ligne, modelé, perspective

Comme celle des sculpteurs, l'éducation des peintres commençait par une initiation à la science des proportions et des rythmes ; l'énoncé des principes iconométriques ne permet pas, en général, de distinguer les images sculptées des images peintes ; c'est seulement lorsqu'on aborde le domaine des opérations auxquelles donne lieu la réalisation concrète que s'établit une différenciation entre les unes et les autres. Si les écrits insistent sur l'importance de la ligne – qui « définit » ou mieux « crée » la forme – et sur la primauté du contour dans toute représentation matérielle, le dessin était considéré comme le support de la composition et non point comme un moyen d'expression autonome. Concentration, exercice simultané du sens de l'observation, de la mémoire et de la sensibilité en un jeu subtil de comparaisons étaient exigés du peintre durant l'élaboration d'un tableau. Il était recommandé de mettre mentalement au point la composition, dans sa totalité et dans ses détails, pour l'utilisation de l'espace comme pour les couleurs. Tous les éléments devaient être « établis » définitivement avant la mise en chantier, compte tenu à la fois des règles de l'iconométrie et de la symbolique, de la tradition esthétique et de la « nature » des créatures et des objets. Il paraît toutefois peu probable que, dans la pratique, on ait pu aboutir à la conception satisfaisante d'ensembles très complexes sans exécuter préalablement des maquettes. D'autre part, des rectifications se décèlent sur les peintures : à Sīgirīya, on modifia totalement au cours du travail les gestes de certaines figures.

La perspective à Ajanta - crédits : Encyclopædia Universalis France

La perspective à Ajanta

Les scènes d'un récit se déroulent sur le mur sans aucune séparation linéaire, chacune s'ordonne autour d'un ou de plusieurs personnages, et les transitions d'une scène à l'autre s'effectuent grâce à des personnages secondaires qui, par leurs gestes, l'orientation de leur regard et les inflexions de leur corps, appartiennent en quelque sorte à deux groupes voisins. Cette disposition ne saurait être comprise sans un effort de « participation ». Il en va de même des effets perspectifs qui présupposent un déplacement accompli mentalement par le spectateur. C'est, en effet, en parcourant la fresque du regard qu'on découvre successivement et selon l'angle de vision convenable les divers aspects d'un même rocher ou d'un même bâtiment – rochers et bâtiments étant les seuls éléments soumis, dans la peinture indienne, aux lois de la perspective. Combinant ses observations des déformations optiques à sa connaissance empirique des formes, le peintre faisait converger plusieurs points de fuite sur une ou deux lignes d'horizon superposées.

On ne cherchait pas à donner l'illusion de la profondeur ni à rendre des effets, passagers, de lumière et d'ombre. L'emplacement des zones claires et sombres, fixé une fois pour toutes, dépend strictement de la forme des objets. C'est donc sur l'opposition des « saillies » et des « dépressions » que se fonde le modèle « plastique » indien. En ce domaine comme en d'autres, le vocabulaire technique assimile à l'effort du sculpteur celui du peintre, et ce dernier s'est servi des ressources de sa palette pour faire ressortir la forme sur la surface du fond. Aussi, les accidents d'un volume se traduisent-ils par la gradation des teintes claires aux teintes foncées. Par exemple, on fait apparaître la courbe d'un membre en indiquant d'une ligne claire sa partie centrale en relief et en posant des tons de plus en plus foncés vers ses bords fuyants.

La préparation des matériaux

Le bâtonnet avec lequel on dessinait était fait d'une mixture où dominait l'argile, la bouse de vache ou le noir de fumée. Ensuite intervenait tout un jeu de pinceaux : épais, en poils d'oreille de veau, ils servaient à étendre les teintes locales ; moyens, en poils de ventre de bouc, ils servaient à indiquer le modelé ; avec les pinceaux fins, en poils de rat musqué, on traçait les lignes les plus ténues. D'autres encore étaient fabriqués avec des fibres végétales.

La palette varie selon les lieux et les époques ; elle dépend des ressources du site et des possibilités d'importation. Dans la grotte de Yogīmāra à Rāmgaṛh (Orissā), dans les abris sous roches de Bhimbeṭka (Madhya Pradesh), des peintures primitives ont été réalisées à l'aide de trois couleurs : le blanc, le noir et le rouge. À la période classique, cinq couleurs fondamentales : le blanc, le noir, le jaune, le rouge et le bleu (ou le vert) apparaissent dans les textes et se retrouvent sur les fresques à travers la gamme de leurs variantes et de leurs composés. Mais à Sīgirīya, notamment, on ignorait le vert. À Ajaṇṭā, outre un vert tiré d'une terra verde trouvée sur le site même, on remarque un lapis-lazuli ; c'est aussi ce minéral, importé peut-être du Badakṣān (Afghanistan), qui donnait aux peintures de Bāgh leur éclat si particulier. À Ellorā se voit un outremer profond, au Turkestan un beau vert extrait de la malachite, etc.

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Peu d'analyses chimiques ont été menées de façon satisfaisante, mais les traités, malgré leurs imprécisions et leurs lacunes, sont consultés avec profit. On apprend ainsi que le blanc provenait soit de l'argile soit de coquilles réduites en poudre, le noir du noir de fumée, le jaune du réalgar, de l'ocre et de l'orpiment ; de nombreuses matières fournissaient le rouge : hématite, sinope, cinabre, cochenille, résine, laque, fruit de l'Emblique myrobolan ; le bleu était tiré du lapis-lazuli et de l'indigo ; quant au vert, souvent confondu en littérature avec le bleu, il semble qu'il ait résulté de combinaisons binaires.

Les matières minérales prédominaient peut-être. Les terres, d'abord réduites en poudre, étaient ensuite purifiées par lévigation. Les substances métalliques subissaient un traitement complet de laminage, de purification et de broyage. Mais quelle que fût leur origine, les pigments au moment de leur utilisation étaient écrasés et malaxés jusqu'à consistance du « beurre frais » avec une détrempe préalablement émulsionnée, à base de laits ou de décoctions végétales ou, plus couramment, à partir d'une certaine époque, de colle de peau de buffle. Un diluant adhésif, de nature analogue, s'employait comme véhicule.

La « fresque » indienne

Les ouvrages didactiques se sont surtout attachés à décrire les techniques de la peinture murale, domaine réservé aux professionnels.

La première phase du travail était consacrée à la préparation d'un enduit de base. Du choix de ses composantes, du soin apporté à sa confection et à sa pose dépendaient la beauté et la solidité du tableau. On n'est donc pas surpris de voir les textes insister sur ce point et, de fait, les fragments subsistants prouvent que les pigments résistent mal à l'action des agents atmosphériques alors que les dessous se conservent parfaitement.

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La composition de l'enduit comportait en proportions variables du sable, des coquilles brûlées et pilées, de la terre ou de la brique pulvérisée, des substances fibreuses et des matières adhésives d'origine végétale ou de la colle de peau de buffle. Ce mortier séchait plusieurs mois durant. Puis, broyé et mélangé à de la mélasse, il était étalé sur le mur, à la truelle, en deux ou trois couches minces. Venait ensuite la pose d'un lait de chaux ou d'un liquide contenant de l'argile et des exsudations de plantes, qui en séchant assurait l'imperméabilisation de la surface. Pour la rendre dure et brillante, on la polissait à l'aide d'une défense d'éléphant.

Le maître d'œuvre pouvait alors commencer à matérialiser sa vision intérieure de la réalité transcendante. D'une main sûre, l' esquisse était tracée au crayon directement sur le mur (on eut rarement recours, en Inde même, au procédé du poncif qui consistait à piquer au stylet suivant un dessin un calque de cuir ou de matière analogue au carton et à reporter ce dessin sur le support par tamponnage ou coloriage). Les repentirs effacés ou grattés, on retouchait les contours au pinceau en noir, ocre ou rouge, et l'on remplissait les surfaces d'un frottis de teinte neutre uniforme ou d'un camaïeu léger destiné à exalter les couleurs.

On procédait ensuite au coloriage, les teintes définitives étant posées uniformément à plat, dans les limites du dessin, ou juxtaposées afin de rendre le chatoiement d'une étoffe bariolée ou les nuances fondues d'une fourrure ou d'un plumage.

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Après l'apposition des teintes locales venait l'indication de ce modelé « plastique » dont on a essayé de dégager les caractéristiques. Techniquement, il semble que le peintre ait disposé à cet effet de plusieurs méthodes. En interrogeant à la fois textes et documents matériels, on en a isolé trois (S. Gunasinghe). On pouvait baser le contraste du clair et du sombre sur la polychromie et le rapport des tonalités particulières à deux couleurs (rapport entre nuances claires et nuances foncées dans un registre chromatique donné, ou rapport entre tons chauds et tons froids rendant compte respectivement des zones lumineuses et obscures). On pouvait aussi se borner à l'emploi d'un camaïeu : l'éclaircissement des tons s'obtenait par une adjonction de blanc ou, dans le cas des couleurs binaires, par le renforcement de la composante la plus claire. Enfin, le principe de la monochromie inspirait le troisième procédé, développant un rapport quantitatif et non plus qualitatif de l'élément chromatique choisi.

Au cours de la dernière phase, on précisait les détails ; on ajoutait quelque ornement ; un expert accentuait les contours d'un trait noir d'épaisseur variable et, finalement, on polissait la surface de la fresque.

La méthode employée par le fresquiste indien voulait qu'on ne commençât une opération que lorsque toute trace d'humidité provenant de l'opération précédente avait disparu de la paroi. L'apposition de la couleur à la détrempe avait toujours lieu à sec, les pigments se fixant en surface. Elle diffère donc foncièrement de la fresque véritable (buon fresco) connue en Europe, en laquelle les pigments délayés à l'eau pénètrent par capillarité dans l'enduit frais et font corps avec lui en séchant. Les conseils prodigués aux artistes et l'examen, encore fragmentaire, des peintures d'Ajaṇṭā, de Sīgirīya, de Bāgh, de Sittanavāsal, de Tanjore..., laissent subsister peu de doutes sur la nature et les procédés de la pseudo-fresque indienne.

La peinture mobile

Jeune femme confectionnant une guirlande, Inde - crédits : M. Briscoe/  Bridgeman Images

Jeune femme confectionnant une guirlande, Inde

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La peinture mobile convenait à différentes catégories d'œuvres définies autrefois par la matière et le format du support. Fixée sur châssis rectangulaire, la toile recevait des représentations dites pures (réalistes ?), sur châssis carré des thèmes lyriques et sur châssis arrondi des scènes de genre. La « nature morte » demeura totalement étrangère aux préoccupations des artistes indiens. Le portrait, en revanche, jouit d'une grande vogue auprès des amateurs.

Sur des rouleaux de toile, de soie, voire de cuir, tendus entre deux bambous, se trouvaient représentées les multiples péripéties d'une histoire. Ces longues « bandes dessinées » visant à l'édification du spectateur demeurent de nos jours encore assez prisées en certaines régions. Des artistes populaires se rendent de village en village et déroulent devant le public ces toiles peintes (paṭa) en psalmodiant les récits correspondants.

Il est raisonnable de supposer que des bannières portant des illustrations de la légende dorée bouddhique ou des schémas ésotériques étaient exécutées dans les centres de pèlerinage de l'Inde et qu'elles ont servi de modèles aux thaṅka népalais et tibétains.

Traitement du visage après la période classique (1) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Traitement du visage après la période classique (1)

Mais ce sont surtout les illustrations de manuscrits ou «  miniatures », comme on a l'habitude de les désigner, qui nous aident à suivre le cheminement de l'art pictural au Moyen Âge et aux Temps modernes. L'historien tibétain Tāranātha (xvie s.) qui parle abondamment de la peinture dans l'Inde ancienne ne fait aucune allusion à des manuscrits illustrés. Les vénérables manuscrits de Gilgit (dans le nord du Pakistan) – copies exécutées sur écorce de bouleau, depuis le ive jusqu'au viiie siècle, de livres canoniques d'une école hinayanique – ne portent pas d'image. C'est également le cas des innombrables fragments de textes en langues indiennes exhumés en Asie centrale, sur écorce, feuilles de palmier et papier, s'échelonnant du iie au xe siècle. Faut-il en conclure que l' illustration n'est venue que tardivement embellir le livre dans le monde indien ? La question reste posée. De fait, les plus anciens manuscrits à images connus ne remontent pas au-delà du xie siècle. Ils émanent (à l'exception d'un seul, originaire de l'école jaïna du Nord-Ouest) des milieux bouddhiques tantriques du Nord-Est et du Népal. Ils ont pour support des feuilles de talipot percées de deux trous par lesquels passe le cordon les liant toutes ensemble ; des planchettes font office de couverture. Les images, sans rapport direct avec le texte traitant de métaphysique (comme, par exemple, le sūtra de « Grande Perfection de Sagesse »), sont de taille réduite et montrent le Buddha ou des divinités ; elles se répartissent souvent en groupes de six, à raison de trois sur chaque face d'un même feuillet, au début, au milieu et à la fin du texte. Les couvertures de bois, dont peu subsistent, sont peintes sur toute leur surface, divisée en compartiments renfermant chacun une scène de la vie de Buddha ; certaines sont décorées au verso comme au recto. Quant à l'école jaïna (Gujarāt, Rājasthān), le premier manuscrit véritablement « illustré » de peintures narratives semble une version de la Subāhukathā datée de 1288. Et il faut attendre un siècle encore pour voir un Kalpasūtra (copie datée : 1370) enrichi de quelques tableautins (scènes de la vie de Jina Mahāvīra) destinés à servir de modèles jusqu'au xive siècle. Le papier (végétal) inventé en Chine au tournant du iie siècle de notre ère se répandit auprès des Arabes après que ceux-ci eurent conquis Samarkand (751). L'introduction d'un papier de chiffon en Inde par les musulmans suivit la conquête (1192) de quelques années. Ce matériau devait prévaloir sur un type particulier de papier végétal mis au point et utilisé au Népal dès le début du xiie siècle (J.-P. Losty). Le format oblong imposé par l'emploi de la feuille de palmier allait néanmoins demeurer en usage longtemps encore.

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Les conceptions iraniennes de l'illustration figurative rencontrèrent en Inde, tant à la période du Sultanat qu'au temps des Mogols, un climat favorable. Elles amenaient de nouveaux formats pour le support et l'image, une nouvelle mise en page – une scène complexe ou plusieurs scènes juxtaposées emplissant désormais la surface. Les illustrateurs hindous assimilèrent rapidement les principes de cette disposition qui les faisaient renouer avec les compositions « enchaînées » de l'âge classique, sans qu'ils en eussent conscience probablement, car la majeure partie des œuvres anciennes avaient disparu et celles qui subsistaient étaient oubliées.

<it>Soirée dans le jardin d'un palais moghol</it> - crédits :  Bridgeman Images

Soirée dans le jardin d'un palais moghol

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Peu à peu on élagua les compositions, qui acquirent ainsi plus de cohésion. Qu'elles ressortissent au groupe musulman ou au groupe hindou, les images d'album possèdent des points communs : elles s'inscrivent en hauteur dans un cadre rectangulaire, renferment des personnages, des notations de paysage, des édifices et des accessoires, symboliques ou non, et elles reflètent mille aspects de la vie, princière et pastorale. Les personnages se présentent de trois quarts ou de profil, rarement de face ou de dos ; les éléments d'architecture en projection géométrale montrent leurs plans horizontaux dressés à la verticale. La palette variée, brillante, s'enrichit souvent d'or.

Les couleurs à la détrempe, véhiculées par de l'eau mêlée d'une matière adhésive, étaient posées à plat sans indication d'ombre ni de modelé, sauf lorsque intervint l'influence européenne. Il existait des papiers de diverses qualités et les feuilles étaient polies avec une bille d'agate avant l'emploi. Contrairement à l'usage ancien, les artistes signaient fréquemment leurs œuvres.

L'originalité de certaines miniatures hindoues provenant principalement du Rājasthān réside dans le fait qu'elles s'associent étroitement à l'expression musicale et poétique. À l'aide de la forme (rūpa), le peintre communique une émotion esthétique ou « saveur » (rasa) propre à chaque mode mélodique (rāga, rāginī) composé sur un thème poétique.

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Mahabharata, enluminure moghole - crédits : P. Chandra

Mahabharata, enluminure moghole

Assemblage d'une balustrade de stupa - crédits : Encyclopædia Universalis France

Assemblage d'une balustrade de stupa

Femme avec bijoux, Madhya Pradesh, Inde - crédits : J.-L. Nou/ AKG-images

Femme avec bijoux, Madhya Pradesh, Inde

Autres références

  • INDE (Arts et culture) - Les mathématiques

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    • 5 429 mots
    • 3 médias

    On traitera ici des pratiques et pensées mathématiques qui ont eu cours dans le sous-continent indien – en « Asie du Sud », comme on dit communément dans les pays anglo-saxons –, puisque l’aire géographique concernée couvre tout autant l’Inde que le Pakistan, le Bangladesh, le Bhoutan et l’île de Ceylan...

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