ARYENS

Francisé en « aryen », le terme sanskrit ārya (avestique, airya) signifie « excellent, honorable, noble ». Ainsi se désignent, avec la morgue coutumière des conquérants, les populations de langue indo-européenne qui, vers la fin du IIIe millénaire avant l'ère chrétienne, s'établissent sur le plateau iranien pour pénétrer dans le Pendjab entre les ~ xviiie et ~ xve siècles. Une imposture de près de deux siècles allait accréditer chez des peuples européens, sensibles à l'impérialisme économique qui présidait à la conquête de colonies, l'idée qu'ils étaient de la race de ces lointaines tribus guerrières et se devaient d'imposer leur joug à des races qualifiées d'inférieures. L'aberrante identification que les milieux à vocation scientifique établirent entre la race et une communauté de langue, dont sont en effet issus le hittite, l'arménien, le celtique, le germanique, l'italique, l'albanais..., allait prêter sa caution au génocide érigé en système par le national-socialisme.

Il existe, sur les Aryens, moins de connaissances établies que d'hypothèses cherchant à asseoir leur probabilité. Un groupe imposa en Iran l'avestique, langue proche du sanskrit, et inspira l'Avesta, le livre sacré du mazdéisme. Un traité signé entre un roi du Mitanni, royaume du haut Euphrate, et le roi hittite régnant au ~ xive siècle comporte des noms de divinités attestées chez les Indo-Iraniens. Au ~ vie siècle encore, Darius se proclame de souche aryenne.

Un second groupe poussa vers l'Inde, progressant vers le Bengale par des entreprises guerrières qui durèrent des siècles, refoulant, au nom du dieu Indra « né pour le meurtre des dasyu » ou esclaves, les populations pastorales présentées par le Ṛgveda, le plus ancien des recueils sacrés du védisme, sous la forme de monstres sans nez, à trois têtes et à six yeux. Selon Georges Dumézil, rien ne permet d'affirmer que la population fût divisée en trois classes, attestées seulement aux environs de l'ère chrétienne par les lois de Manu, père mythique de l'humanité selon la religion indienne. On y retrouve la hiérarchie inhérente à la plupart des régimes fondés sur une économie de type agraire : le prêtre ou brahmane, qui veille au respect de la religion et ordonne les sacrifices ; le guerrier ou kṣatriya, chargé de protéger le peuple et de contrôler son obéissance ; le peuple ou vaiśya, qui s'occupe du bétail, de la culture des terres, du commerce. Au service des trois classes, le śūdra ou esclave, issu des populations colonisées, ne dispose d'aucun droit et est tenu à l'écart du système civilisé.

La société aryenne est réglée par le dharma, « ensemble des normes qui imposent à l'homme son comportement ». Voilà sur quels éléments une partie de l'Europe et surtout l'Allemagne vont fonder le mythe d'une supériorité de la race blanche. Il n'est pas de nationalisme qui n'ait tenté de se donner des lettres de noblesse en s'inventant de la même manière une origine divine, héroïque ou pour le moins auréolée de pureté. L'Espagne en appelle ainsi au mythe gothique, l'Angleterre aux Normands, les Scandinaves aux Saxons, la France du Nord et du Sud à l'antithèse des Francs et des Romains, sans parler des Celtes, mis à la mode sous la IIIe République. Dès son origine, vers le xiiie siècle, le pangermanisme comporte une prédominance millénariste, entachée, à des degrés divers, d'antisémitisme. L'opinion de Tacite, qui voyait dans les Germains une nation « particulière, pure de tout mélange », allait généreusement servir de thème à tout un délire national. L'idée d'une race originelle qui eût échappé à cette déchéance tant ressassée par le christianisme trouva à se conforter de[...]

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    Raoul VANEIGEM, « ARYENS », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

    Autres références

    • AFGHANISTAN

      • Écrit par Daniel BALLAND, Gilles DORRONSORO, Universalis, Mir Mohammad Sediq FARHANG, Pierre GENTELLE, Sayed Qassem RESHTIA, Olivier ROY, Francine TISSOT
      • 32 838 mots
      • 19 médias
      ...classiques). La nouvelle religion, fondée sur une conception dualiste du monde et de l'histoire, reflétait au fond le conflit perpétuel existant entre les tribus aryennes, sédentaires, pratiquant l'élevage et l'agriculture, d'un côté, et les hordes nomades habitant les pays du Nord et se déplaçant vers le sud, en...
    • ARYAMAN

      • Écrit par Jean VARENNE
      • 199 mots

      Nom d'un dieu hindou qui apparaît dans les parties les plus archaïques du Véda (Veda), certains hymnes du Rig-Véda (Ṛgveda) datant du début du ~ IIe millénaire. Quelques formules rituelles associent ce dieu à Mitra et à Bhaga, mais la mythologie qui le concerne est pratiquement...

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      • Écrit par Jean FILLIOZAT
      • 5 246 mots
      ...tripartite remontant à la tradition indo-européenne préhistorique (Dumézil), et non à des divisions qui seraient contemporaines des luttes supposées entre Aryens et aborigènes et correspondraient à une ségrégation raciste à l'intérieur de l'Inde. De plus, l'Inde a propagé sa division de la société en quatre...
    • CHAMBERLAIN HOUSTON STEWART (1855-1927)

      • Écrit par Roland MARX
      • 307 mots

      Écrivain anglais connu essentiellement comme l'un des pères européens du racisme. Né dans une famille d'officiers supérieurs, influencé par un professeur allemand de Cheltenham, Otto Kuntze, et par ses études de sciences naturelles à Genève, il passe les années 1885-1889 en Allemagne...

    • DECCAN ou DEKKAN

      • Écrit par François DURAND-DASTÈS
      • 625 mots

      Sur le plan historique et humain, le Deccan s'oppose, en Inde, à la grande plaine du Nord. Dans cette dernière sont nés à plusieurs reprises de grands empires à vocation subcontinentale, qui ont tendu à englober le Deccan, mais n'y sont jamais parvenu intégralement : ainsi en est-il des empires...

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