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INSPIRATION (Grèce antique)

La représentation que se fait spontanément un contemporain de l'inspiration en général et de l'inspiration poétique en particulier remonte pour l'essentiel aux idées formulées par Platon au ive siècle avant J.-C. Or, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, Platon opère un renversement complet par rapport à tout ce qui avait été traditionnellement accepté avant lui. D'où la nécessité de remonter plus avant dans le temps, et de considérer ce qu'ont pu dire de l'inspiration les poètes, qui se prétendaient inspirés.

La folie poétique

Dans le Phèdre, Platon critique la rhétorique pratiquée à son époque. Pour garder à sa critique une dimension raisonnable, il la fait porter sur un exemple, un discours rédigé par Lysias et que Phèdre lit à Socrate au début du dialogue. Ce discours développe, comme c'était souvent le cas à l'époque, un thème paradoxal : un garçon doit accorder ses faveurs à qui les sollicite, à condition que ce dernier déclare ne pas être amoureux. L'amoureux en effet est un fou, qui ne peut qu'être désagréable et malfaisant à l'égard de celui qu'il prétend aimer. Dans un premier temps, Socrate tente de rivaliser avec Lysias en prononçant un discours qui développe le même thème. Mais le signal divin se fait entendre. Socrate se ravise et prononce, en guise de palinodie (chant de rétractation) adressée à Éros, un second discours qui est un éloge de la folie, d'une certaine espèce de folie du moins. Car, pour Platon, il faut distinguer entre une folie d'origine humaine, qui résulte d'un mauvais fonctionnement du corps, et une folie d'origine divine, qui s'explique par l'intervention d'une divinité qui empêche l'exercice normal de la raison.

Cette folie d'origine divine, qui est, à proprement parler, un enthousiasme (littéralement la possession par un dieu), présente quatre espèces. La folie mantique, qui rend compte de la divination, est un don d'Apollon. La folie télestique, que déclenchent les initiations ou les mystères en provoquant cette exaltation qui purifie les participants des fautes anciennes, vient de Dionysos. La folie poétique, don des Muses, donne au poète une vision similaire à celle des dieux, qui le rend contemporain du passé qu'il évoque. Enfin, la folie érotique, dispensée par Éros et par Aphrodite, permet à l'âme de dépasser la beauté du corps qui l'excite pour atteindre à la contemplation de la beauté-en-soi, qui se trouve au-delà des limites du monde sensible : elle s'identifie ainsi à la philosophie.

L'approche de Platon, qui n'a de sens que dans un contexte historique où la diffusion de l'écrit permet une distinction entre celui qui compose une œuvre et celui qui l'interprète, présente une double originalité. Elle considère l'inspiration comme une possession divine (d'où les rapports établis entre poésie, divination, pratique d'initiations et amour) et elle sépare radicalement et absolument l'art et l'inspiration. C'est l'intervention de l'inspiration qui permet de distinguer entre les bons et les mauvais poètes, entre les bons et les mauvais interprètes : « La troisième forme de possession et de folie est celle qui vient des Muses. Lorsqu'elle saisit une âme tendre et vierge, qu'elle l'éveille et qu'elle la plonge dans une transe bacchique qui s'exprime sous forme d'odes et de poésies de toutes sortes, elle fait l'éducation de la postérité en glorifiant par milliers les exploits des anciens. Mais l'homme qui, sans avoir été saisi par cette folie dispensée par les Muses, arrive aux portes de la poésie avec la conviction que, en fin de compte, l'art suffira à faire de lui un poète, celui-là est un poète manqué ; de même, devant la poésie de ceux qui[...]

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Pour citer cet article

Luc BRISSON. INSPIRATION (Grèce antique) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GENRES LITTÉRAIRES, notion de

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 847 mots

    Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots

    Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...

  • APOLOGUE, genre littéraire

    • Écrit par Jean MARMIER
    • 441 mots

    La narration d'une anecdote à personnages animaux, ou parfois végétaux, agissant et parlant comme les humains et, le cas échéant, en leur compagnie, a toujours servi à illustrer des leçons de prudence ou de morale pour les hommes. Le genre, préexistant à la notion de genre, plonge ses racines...

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par Filippo D' ANGELO
    • 1 332 mots

    On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait le...

  • DÉBAT, genre littéraire

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 347 mots

    Le terme générique « débat » correspond à une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du xiie siècle : d'abord en latin, sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire ; il est appelé tenson ou jocpartit en...

  • DESCRIPTION, notion de

    • Écrit par Elsa MARPEAU
    • 985 mots

    La description permet de donner à voir en imagination, grâce au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du récit. Sa finalité représentative semble ainsi l'opposer aux visées narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction théorique est plus complexe dans la pratique,...

  • DIALOGUE

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Robert MISRAHI
    • 4 421 mots
    • 1 média

    L'entrée en dialogue paraît d'autant plus désirable que le partenaire est plus différent ou plus lointain. Le dialogue répond à une préoccupation éthique – il serait l'antiviolence par excellence – et à un souci politique : comment améliorer la circulation de l'information de manière...

  • DIDACTIQUE POÉSIE

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 531 mots

    Poésie qui dispense un enseignement (philosophique, moral, scientifique, technique, etc.) en le parant des agréments propres à la poésie. Le vers, de par ses vertus mnémoniques, a été utilisé dès les origines pour fixer une leçon (oracles, sentences...) ; aux débuts de la littérature grecque, il...

  • ÉPOPÉE

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER, Maria COUROUCLI, Jocelyne FERNANDEZ, Pierre-Sylvain FILLIOZAT, Altan GOKALP, Roberte Nicole HAMAYON, François MACÉ, Nicole REVEL, Christiane SEYDOU
    • 11 781 mots
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  • CONFESSIONS, Augustin - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard SESÉ
    • 943 mots

    Les Confessions, ouvrage de saint Augustin (354-430) le plus célèbre avec La Cité de Dieu, furent rédigées de 397 à 401. L'auteur s'adresse directement, dans un dialogue intime, à ce Dieu qu'il avait tant cherché « en labeur et fièvre » ailleurs que là où le Dieu d'amour l'attendait,...

  • DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 729 mots

    Tribun et magistrat romain, Cicéron (106-43 av. J.-C.) s'est fait le théoricien de l'éloquence, principalement dans le De Oratore (55 av. J.-C.), somme de l'art oratoire en trois livres, reçue depuis la Renaissance comme le meilleur témoin de l'humanisme antique. Sur le même sujet, il...

  • DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 763 mots

    Le Dialogue des orateurs (Dialogus de Oratoribus, vers 105 apr. J.-C.), dont on considère aujourd'hui que l'auteur est très probablement Tacite (vers 55-vers 120), fait délibérément écho, à un siècle et demi de distance, au grand traité latin de Cicéron, le De Oratore : même sujet...

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