COMÉDIE
Si l'on peut suivre aisément la naissance et le développement de la comédie dans le monde occidental, il est impossible de donner une définition univoque et précise de ce terme. Tantôt il se comprend par opposition à la tragédie, pour désigner une pièce de théâtre dont les personnages appartiennent à une humanité moyenne et dont les péripéties trouvent une conclusion heureuse. Tantôt il vise à différencier la comédie de la farce, dont elle se distinguerait par une expression plus décente, plus conforme à la vraisemblance et plus chargée d'intentions littéraires. La comédie ne se confond pas davantage avec la notion de comique : elle peut tirer ses ressources aussi bien du romanesque que de la fantaisie, de l'analyse psychologique que de l'improvisation débridée. Mieux : le mot de comédie a souvent été utilisé pour renvoyer à toute espèce de théâtre, de la même manière que, dans la langue usuelle, comédien veut dire tout simplement acteur.
S'attache-t-on, d'un autre côté, à étudier la comédie dans son développement historique, on aperçoit d'égales incertitudes à l'intérieur de chaque période et dans chaque pays. Malgré les tentatives qui ont été faites pour codifier ce genre, il n'a pas cessé d'être protéiforme à l'extrême : de la comédie d'intrigue à la comédie larmoyante, de la pastorale à la comédie-ballet et à la comédie musicale moderne, de la comédie héroïque à la comédie de l'absurde, ses aspects sont d'une variété extraordinaire. Plus profondément, la comédie a souffert d'une contradiction fondamentale qui n'a cessé de la marquer depuis sa naissance jusqu'au seuil de l'âge moderne : longtemps écartelée entre ses origines populaires et une ambition littéraire de plus en plus affirmée, elle perdra ses signes distinctifs quand le théâtre aura achevé de se couper de ses racines, à l'âge industriel et bourgeois. La tragédie devenue impossible et la farce exsangue, elle se confondra avec un très large secteur de la littérature dramatique, pour régner sur presque toutes les scènes, selon différentes formules, mais sous l'empire des mêmes conventions. À mesure qu'elle commencera ensuite à se scléroser et que la société se transformera alentour, la comédie sera contestée, voire dynamitée par les écrivains eux-mêmes, avec une hardiesse qui ne fera que croître tout au long du xxe siècle : en même temps que se fera une sorte de table rase, on cherchera alors à retrouver les conditions d'un nouvel enracinement du théâtre.
La comédie antique
La comédie européenne est née en Grèce, dans le cadre des fêtes traditionnelles en l'honneur de Dionysos. Au milieu des réjouissances populaires qui suivaient les cérémonies religieuses, un cortège burlesque se formait dans une explosion de plaisanteries et de chansons : ce théâtre quasi spontané engendra dès le vie siècle avant J.-C., dans les pays doriens, puis à Mégare et en Sicile, des représentations plus concertées, farces, pantomimes ou divertissements mythologiques. Mais ce ne fut guère avant 460 que l'on admit la comédie aux représentations officielles qui avaient cours en Attique : considérée dès son apparition comme un genre mineur, la comédie grecque porta longtemps les traces de son origine populaire.
Dans une première phase, qui va environ de 450 à la fin du ve siècle, la « comédie ancienne » est illustrée surtout par Aristophane ; fantaisiste jusqu'au mépris de toute vraisemblance, mariant la bouffonnerie et la poésie, elle n'en mord pas moins directement sur le réel : elle met en scène les petites gens de l'Attique aux prises avec l'actualité la plus immédiate, pour s'en prendre avec virulence aux personnages en place, aux mœurs politiques, voire aux fondements de la cité. Sa marque principale est la liberté de l'imagination, du langage, du geste et de la pensée. Mais, à la fin du ve siècle, les auteurs comiques sont amenés à renoncer à toute satire trop actuelle et trop précise : la « comédie moyenne », qui dure jusque vers 330, cherche ses thèmes dans la mythologie et dans l'observation des mœurs, en attendant que Ménandre, principal auteur de la « comédie nouvelle » (330-250), oriente cet art vers la peinture de l'amour contrarié, des caractères et des conditions, en évitant toutes les outrances du langage ; l'intrigue s'émonde, elle aussi, et la psychologie s'affine pour exprimer les grandes lignes d'une morale positive. On voit le chemin parcouru : du comique au plaisant, du merveilleux et du bouffon au naturel, de la satire débridée à la leçon morale, de la fête populaire au divertissement de bonne compagnie. Entre-temps, Aristote aura proposé l'une des premières définitions de la comédie qui doit être, selon lui, « l'imitation d'hommes de qualité morale inférieure, non en toute espèce de vie, mais dans le domaine du risible, lequel est une partie du laid. Car le risible est un défaut et une laideur sans douleur ni dommage. » La comédie va-t-elle accéder à la dignité de genre littéraire ? Arrivée à sa maturité, elle entre paradoxalement en décadence, au profit du théâtre populaire qu'elle avait essayé de détrôner.
Curieusement, c'est une semblable trajectoire que la comédie va suivre à Rome : là aussi, il existait une vivace tradition théâtrale populaire, des danses étrusques aux chants fescennins et aux « satires » truffées de danses, de pantomimes et de lazzi. Mais, lorsque apparut Plaute (254-184), la mode était à la grécomanie et aux pièces dites palliatae, inspirées de la comédie nouvelle : Plaute nationalise ce fonds étranger, en le rapprochant de la réalité romaine et en y introduisant de très nombreux passages chantés, de multiples jeux de scène, des types hauts en couleur ; il donne le pas au plaisir du théâtre sur les préoccupations morales et sur le souci de la dignité littéraire. Si bien que, lorsque Caecilius et Térence lui succèdent au iie siècle, ils font accomplir à la comédie latine le même chemin que naguère Ménandre avait fait suivre à la grecque : c'est de nouveau le règne de la décence, du sérieux et du bon ton, qui privilégie le naturel et la vraisemblance psychologique. La comédie n'entre pas pour autant dans le temple du goût. Malgré les tentatives des auteurs de togatae qui la romanisent entièrement, c'est encore le théâtre populaire qui va reprendre le dessus dès l'époque cicéronienne : les atellanes, faites de bouffonneries improvisées qui annoncent la future commedia dell'arte, triomphent à Rome, en même temps que le mime, avec son allure de parade foraine, son réalisme de haute saveur et son sens acrobatique du mouvement, va y connaître une fortune éclatante qui ne se démentira pas sous l'Empire. Une fois de plus, le rêve de faire de la comédie un genre littéraire a échoué.
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Écrit par
- Robert ABIRACHED : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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