Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SOCRATE (469-399 av. J.-C.) ET ÉCOLES SOCRATIQUES

Socrate - Athènes - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Socrate - Athènes

Socrate n'est pas un philosophe parmi les autres ; il est le totem de la philosophie occidentale. En chaque pensée qui s'éveille et s'interroge, il revit ; en chaque pensée qu'on humilie ou qu'on étouffe, il meurt à neuf. La place exceptionnelle qu'il tient dans notre culture est celle du héros fondateur, du père originaire, qui s'enveloppe dans une obscurité sacrée, et que chacun porte en soi comme une présence familière. Il appartient inséparablement à l'histoire et au mythe de l'esprit. Nous ne connaissons avec certitude presque aucune de ses pensées, et nous le reconnaîtrions dans la rue. Lui qui n'écrivit rien, des monceaux de livres interrogent son énigme ; lui qui n'enseigna rien, des systèmes colossaux se réclament de son patronage. Le vrai Socrate est peut-être à jamais enseveli sous sa légende, qui personnifie en lui la conscience philosophique, unité de la conscience intellectuelle et de la conscience morale. L'avènement radical que la tradition lui attribue est, dans une large mesure, une illusion rétrospective, que chacun du reste formule à sa façon. Sa rupture avec les «  présocratiques » et son antagonisme avec les sophistes furent peut-être moins profonds qu'il n'y paraît ; et la pensée grecque est sans doute moins « socratocentrique » qu'elle ne se présente. Cela dit, il faut bien qu'il y ait eu en cet homme de quoi rendre possibles et la ciguë et Platon.

Comment nous connaissons Socrate

Nous n'atteignons Socrate qu'indirectement, par les reflets qu'en donnent des écrivains très différents les uns des autres, et qui n'ont guère en commun que de n'avoir pas voulu faire œuvre d'historiens. Il devint très tôt le personnage central d'un véritable genre littéraire, la « discussion socratique », qui servit de mode d'expression philosophique à une génération entière ; encore n'avons-nous gardé qu'une partie de cette production. Il faut mettre à part l'image que donne de lui la comédieLes Nuées d' Aristophane : c'est la plus ancienne et la plus inattendue, celle d'un maître à penser ridicule et dangereux ; caricature que l'historien ne peut négliger, et que le procès de 399 empêche de trouver tout à fait drôle. Les textes essentiels de Xénophon et de Platon, postérieurs à la mort du sage, visent à défendre sa mémoire et à illustrer son action. Xénophon (né en 430) avait connu et fréquenté Socrate. Esprit prosaïque et assez conventionnel, il a souvent été tenu pour le témoin par excellence, à raison même de sa médiocrité ; mais l'on ne peut jurer que la médiocrité soit une condition favorable pour peindre Socrate. Avec Platon (né en 427) le problème est inverse. Socrate est partout, ou presque, dans son œuvre ; mais c'est un Socrate toujours plus profondément repensé, repris en sous-œuvre, rattaché aux conditions métaphysiques ultimes de sa propre possibilité ; de sorte que l'on passe, sans frontière visible, du Socrate de fait à un Socrate de droit, et que toutes les positions ont pu être prises sur la valeur documentaire du témoignage platonicien. On a parfois cru trouver dans les quelques notations d' Aristote le moyen de déterminer ce qui appartient en propre à Socrate. Né en 384, vingt ans familier de l'académie platonicienne, Aristote, bien qu'il n'ait pas connu le maître de son maître, a pu recueillir des informations de première main et les consigner avec un esprit libre de toute fascination. Mais il est philosophe, et son histoire de la philosophie, chargée d'intentions justificatrices, n'est pas exempte de reconstitutions rétrospectives. Au total, ces sources sont déjà des interprétations ; en dehors des maigres vestiges d'une tradition antisocratique (Polycratès, Aristoxène), les textes postérieurs en dépendent pour tout ce[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jacques BRUNSCHWIG. SOCRATE (469-399 av. J.-C.) ET ÉCOLES SOCRATIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Socrate - Athènes - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Socrate - Athènes

Autres références

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    Le rapport de Socrate (470-399) aux sophistes est complexe. D'une part, il se rapproche d'eux en ce que, réagissant contre la tradition des physiciens, il convertit la philosophie de la considération de la nature à celle de l'homme. Comme eux, il enseigne l'homme de la rue, l'homme quelconque. Comme...
  • ANTISTHÈNE (env. 440-env. 370 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre HADOT
    • 232 mots

    Disciple de Socrate et maître de Diogène le Cynique, Antisthène, comme le firent un peu plus tard les mégariques, considérait le langage discursif comme étant incapable de décrire adéquatement la réalité concrète des unités individuelles. On ne peut dire « un homme est bon », mais seulement « le...

  • APORIE

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 803 mots

    Terme appartenant à la philosophie grecque de l'Antiquité ; c'est la transcription littérale de aporia, dont le sens propre est « impasse », « sans issue », « embarras ». En philosophie, on peut lui donner un sens faible, comme le fait Aristote en insistant sur l'aspect...

  • ARISTIPPE DE CYRÈNE (425-355 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre HADOT
    • 169 mots

    Disciple de Socrate, fondateur de l'école cyrénaïque. Les écrits d'Aristippe de Cyrène sont tous perdus, mais on possède à son sujet de nombreuses anecdotes (« chries ») ou paroles fameuses prononcées dans une situation typique. Diogène Laërce, qui en a conservé beaucoup (...

  • Afficher les 44 références

Voir aussi