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PHILOSOPHIE

Nul ne se demande « pourquoi des mathématiciens ? », dès lors que les mathématiques sont reconnues comme science. Mais « pourquoi des philosophes ? » ne revient pas à la question beaucoup plus classique « pourquoi la philosophie ? » à laquelle il est habituellement répondu par quelques variations sur un thème aristotélicien : argumenter contre une philosophie est encore philosopher. La justification est banale et sans doute imprudente : si les problèmes dont traite la philosophie concernent tout homme et non seulement les philosophes, pourquoi ceux-ci prétendraient-ils, mieux que quiconque, s'en faire une spécialité ? On conçoit mal une physique sans physiciens, seuls capables de conduire l'expérimentation ; mais il semble que le philosophe ne peut se réserver des questions qui, de son propre aveu, habitent tout un chacun. Pourquoi donc des philosophes si le romancier, le poète, le dramaturge sont d'autant plus aptes à philosopher qu'ils restent au plus près de la condition humaine commune et se gardent du jargon scolastique ? Des livres qui se donnent comme philosophiques, publiés par des savants reconnus tels que Carrel (L'Homme cet inconnu) ou Monod (Hasard et nécessité), ont obtenu, au nom de la compétence scientifique, une audience que n'auront jamais des ouvrages écrits par des philosophes. Une philosophie sans philosophes, diluée dans les sciences et la littérature, est manifestement une tentation de notre modernité.

Cependant, l'enseignement de philosophie garde des positions encore solides dans divers pays et plus particulièrement en France ; les publications restent abondantes même si, à l'étal du libraire, leur place relative diminue devant les sagesses lointaines, d'autant plus séduisantes qu'elles se dispensent de toute rationalité critique. Cette production philosophique est caractérisée par une extraordinaire diversité : les divisions traditionnelles qui subsistent encore (métaphysique, philosophie des sciences, philosophie politique et morale, philosophie du droit, de l'art, etc.) sont recoupées par la multiplicité des langages et des méthodes. C'est surtout dans les recherches en histoire de la philosophie, par l'interprétation des œuvres qui ont constitué sa tradition, que la philosophie accède le mieux à la compréhension d'elle-même.

Si le plus grand risque que court la philosophie dans la modernité est une irrémédiable dissémination, alors la tâche la plus urgente est qu'elle retrouve le sens de son interrogation, qu'elle se rassemble et se recueille autour de son objet propre, qu'elle réaffirme, parmi la dispersion culturelle, la continuité du logos fondateur.

Philosophes et philosophie

La question philosophique de la philosophie

Question et problème

Henri Bergson - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Henri Bergson

« En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question. » Cette formule de Karl Jaspers, isolée de son contexte, a été trop souvent reprise, élargie au style aporétique de l'interrogation socratique ou d'un simple scepticisme (« Que sais-je ? »). Piètre échappatoire à l'objection de la multiplicité des systèmes ! Ce n'est d'ailleurs pas que la question philosophique soit sans réponse, mais au contraire qu'elle apporte une multiplicité de réponses. Elle se distingue alors nettement du problème théorique ou technique, appartenant à un domaine scientifique déterminé et qui, s'il est correctement posé, a ou aura une solution. Même l'indécidabilité d'un problème logico-mathématique est une solution qui se démontre : elle ne peut caractériser la question philosophique. Faut-il donc espérer la transformer en un problème susceptible d'une solution, par l'adjonction de données qui la déterminent suffisamment ? C'est ainsi, semble-t-il, que la question [...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé à l'Institut universitaire de formation des maîtres de Versailles
  • : maître de conférences honoraire de philosophie, université de Paris-Sorbonne
  • : professeur émérite de philosophie à l'université Jean-Moulin, Lyon

Classification

Pour citer cet article

Jacques BILLARD, Jean LEFRANC et Jean-Jacques WUNENBURGER. PHILOSOPHIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Henri Bergson - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Henri Bergson

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre

Nietzsche - crédits : Ullstein Bild/ Ullstein Bild/ Getty Images

Nietzsche

Autres références

  • PHILOSOPHIE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 414 mots

    De toutes les disciplines, la philosophie est la seule qui puisse parler d’elle-même sans sortir du champ de connaissance qui lui est propre. Si l’on demande à un mathématicien quelle est l’utilité des mathématiques, il ne pourra pas répondre par une formule ou par un système d’équations, mais devra...

  • ABSOLU

    • Écrit par Claude BRUAIRE
    • 4 222 mots

    Le sens de ce terme paraît, d'entrée de jeu, nécessairement équivoque et polémique. L'absolu est le corrélat et le contraire du relatif, c'est donc une négation. Mais une notion d'où l'idée de rapport est absente est soustraite aux limitations, affranchie des variations, et désigne...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...circonscrire autant qu'il est possible, avant d'entreprendre la recherche de ses équivalents dans d'autres cultures. Cela d'autant plus que, comme on va le voir, le concept d'affectivité, en tant que lié à celui de subjectivité, a été rapidement mis en question par Heidegger dans Être et Temps et dans...
  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par Mathias GIREL
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

  • AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, Friedrich Nietzsche - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 1 270 mots

    En août 1881, au bord du lac de Silvaplana, proche du village de Sils-Maria, dans l’actuel canton suisse des Grisons où il passait ses étés, Friedrich Nietzsche (1844-1900) eut une illumination : la « vision du Retour Éternel » (parfois dénommée « vision de Surléï »), qui le conduisit quelques...

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Voir aussi