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RHÉTORIQUE

La rhétorique est l'art de dire quelque chose à quelqu'un ; l'art d'agir par la parole sur les opinions, les émotions, les décisions, du moins dans la limite des institutions et des normes qui, dans une société donnée, règlent l'influence mutuelle des sujets parlants. C'est aussi la discipline qui prépare méthodiquement à l'exercice de cet art, en apprenant à composer des discours appropriés à leurs fins. C'est enfin la réflexion philosophique sur l' éloquence, sur la puissance de la parole dans les sociétés humaines et sur la capacité d'ajuster nos représentations aux représentations d'autrui qui en est le principe.

Ambivalence et disjonction

Cette définition cerne, avec un idéal, une réalité historique : dès l'Antiquité, entre la grammaire, art du discours correct, et la logique, art du discours vrai, la rhétorique, art du discours persuasif, est admise dans le trivium des disciplines scolaires fondamentales. Au fil des siècles, elle va transmettre les normes occidentales de la parole publique, élaborées par Aristote pour la démocratie athénienne et par Cicéron pour la république romaine, adaptées par Quintilien au projet civilisateur de l'Empire romain, puis par saint Augustin et les Pères de l'Église à l'univers des communautés chrétiennes. Centré sur la figure de l'orateur idéal – tour à tour orateur politique puis orateur chrétien et toujours vir bonus dicendi peritus (« quelqu'un de bien qui parle bien ») –, ce modèle est diffusé à la Renaissance dans l'Europe entière et ses extensions outre-mer, dans sa double dimension, pratique et spéculative, comme en témoignent les deux pôles entre lesquels oscille sa définition en France au xviiie siècle : « La rhétorique est l'art de faire un discours qui puisse persuader, c'est-à-dire éclairer l'esprit et attacher la volonté aux devoirs de la vie » (Balthazar Gibert dans sa Rhétorique, 1730) ; « La rhétorique est à l'éloquence ce que la théorie est à la pratique, ou comme la poétique est à la poésie » (Encyclopédie, 1765).

Mais ces valeurs historiques sont démenties par l'usage actuel du mot rhétorique, qui reste péjoratif en français courant et dénonce soit la grandiloquence déclamatoire du discours malhabile, soit l'habileté menaçante du discours manipulateur : évoquer la rhétorique d'un orateur, c'est éveiller dans son auditoire potentiel la vigilance critique. Et notre enseignement, secondaire et supérieur, qui enseigne bel et bien l'art du discours, soit sous la forme écrite et ritualisée de la dissertation, soit par la maîtrise orale de techniques d'expression, répugne à se dire rhétorique. Les œuvres mêmes qui ont osé s'intituler Rhétorique à partir de 1960 ne s'entendaient pas sur son objet, puisqu'elles visaient sous ce titre soit comme Perelman, venu de la philosophie du droit, l'argumentation en langue naturelle, soit comme le Groupe μ, analysant les textes littéraires, l'écart constitutif de la figure de style. Les études nombreuses qui se sont développées depuis lors, dans l'alliance ou la schize, sont restées tributaires de cette dichotomie. Quant à l'histoire de la tradition rhétorique, son objet s'impose de soi mais non sa perspective : s'agit-il, comme le précisait Roland Barthes en 1970, de « faire tomber la rhétorique au rang d'un objet pleinement et simplement historique », désormais délaissé pour la science du texte, ou au contraire, comme le soutient, après Jean Paulhan, Marc Fumaroli, de revenir vers un « paradis » prémoderne où l'art de la parole vive faisait encore lien dans une communauté lettrée ? Dans cette conjoncture incertaine où des représentations disjointes suscitent des sentiments ambivalents et des mouvements divergents, il[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en linguistique française à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

Classification

Pour citer cet article

Françoise DOUAY-SOUBLIN. RHÉTORIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...qu'elle analyse plus particulièrement des comportements – Heidegger, on y reviendra, y voit la possibilité de disjoindre l'affectivité de la subjectivité. Chaque « passion » est en effet décrite, dans le cadre de l'« art rhétorique », qui est par définition social ou intersubjectif, en trois parties : l'indication...
  • AGÔN, théâtre grec

    • Écrit par Barbara CASSIN
    • 158 mots

    Substantif grec correspondant au verbe agô, « mener », qui désigne l'assemblée, puis le concours, en particulier sportif (Agôn personnifié — cf. Pausanias, Description de la Grèce, V, xxvi, 3 — avait sa statue à Olympie, tenant des haltères) et, plus généralement, toutes sortes de...

  • ALEMÁN MATEO (1547-env. 1615)

    • Écrit par Edmond CROS
    • 1 568 mots
    Cette médiation de la rhétorique est essentielle ; elle explique la conception générale de l'ouvrage, construit comme une juxtaposition d'éléments indépendants, fait de lourds blocs corsetés dans des structures rigides, qui renferment l'épisode romanesque et découpent en tranches l'histoire du personnage....
  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias

    On définit généralement l'allégorie en la comparant au symbole, dont elle est le développement logique, systématique et détaillé. Ainsi, dans la poésie lyrique, l'image de la rose apparaît souvent comme le symbole de la beauté, de la pureté ou de l'amour ; Guillaume de Lorris en...

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Voir aussi