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ALLÉGORIE, notion d'

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Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore, ou transposition, est une figure d'analogie : une comparaison implicite entre deux termes, suivant un rapport de ressemblance (éventuellement de contre-ressemblance, d'opposition). Une suite de métaphores produit un discours allégorique : on lui suppose un sens second. L'allégorie se rapproche ici de la parabole. Elle prend une ampleur particulière dans certaines œuvres de l'Antiquité tardive, construites à partir de la personnification d'entités abstraites, devenues les héros du poème : les Noces de Mercure et de Philologie (ve siècle) de Martianus Capella (mise en scène des arts libéraux), la Psychomachie (ive siècle) de Prudence (combat des vices et des vertus), ou encore la Consolation de Boèce (De Consolatione philosophiae, début du vie siècle), dialogue entre l'auteur et la Philosophie, sous les traits d'une femme venue lui rendre visite dans la prison où il attend la mort.

Une deuxième conception est venue enrichir la première, à partir du moment où les Pères de l'Église ont voulu appliquer à l'Écriture sainte les techniques de lecture reçues des grammairiens et des rhéteurs païens. Pour le croyant, la doctrine révélée se trouve intégralement dans la Bible. Non seulement cette dernière ne peut pas se tromper (ce qui oblige l'interprète à dépasser les contradictions apparentes ou les lacunes), mais sa lettre cache, ou contient, tout le savoir. Une première opposition fondamentale sera donc celle qui existe entre le sens littéral (ou historique) et le sens allégorique, entendu comme sens caché, « mystique ». Cette acception large de l'allégorie en recouvre une autre, plus technique : dans les exposés médiévaux, ce sens caché se subdivise lui-même en trois, l'allégorique au sens strict ou « typologique », le moral ou « tropologique », enfin l'anagogique, qui donne accès à la dimension spirituelle. N'importe quel verset scripturaire peut se lire au premier degré, pour l'histoire racontée, que le fidèle considère comme véridique. Mais il peut aussi être compris par le rapport qu'il établit entre « la loi ancienne » et « la loi nouvelle » : l'Ancien Testament annonce ou préfigure le Nouveau, le Nouveau Testament accomplit ou réalise l'Ancien ; ainsi, le sacrifice d'Isaac est le « type » de la Passion du Christ. En outre, le récit biblique peut être interprété comme « le signe de ce que nous-mêmes devons faire » (pour reprendre les termes de Thomas d'Aquin dans la Somme théologique, 1266-1267), ce qui est le sens moral, ou comme traitant de la vie éternelle, en un quatrième sens et le plus élevé.

De l'allégorie au symbole

Ainsi autorisée par la théologie, l'allégorie a connu un prodigieux essor dans la littérature et l'art du Moyen Âge – au point que la pensée médiévale tout entière a pu être qualifiée d'allégorique. Tout s'entrelace, tout se répond dans un monde saturé de signes, sorte de livre où déchiffrer les marques du Créateur – mais aussi miroir de soi dans la quête amoureuse du Roman de la Rose (xiiie siècle), ou celle guerrière et chevaleresque des romans arthuriens. Cette prolifération du sens se retrouve dans l'esthétiquebaroque, mais elle semble s'y fixer en codes, comme on le voit dans l'Iconologie de Cesare Ripa (1603), répertoire d'emblèmes, de hiéroglyphes, déterminant pour la lecture des œuvres plastiques au xviie siècle.

Progressivement l'allégorie semble perdre vie. La tendance, à la Renaissance, à utiliser la mythologie classique comme une sorte de double poétique de la vraie religion ou, au siècle suivant, à Versailles, l'usage de l'allégorie à des fins politiques de glorification aboutissent au jugement sévère de Diderot dans les Salons sur une forme devenue « froide et obscure ». Le terme est franchement discrédité par Goethe et les romantiques allemands, qui lui préfèrent celui de symbole. Dans l'allégorie, la lettre (ou la peinture) est réputée transparente, elle doit être traversée pour accéder à un sens fixé d'avance. Le symbole au contraire est un réservoir inépuisable de sens ; selon une formulation reprise à Schelling par August Wilhlem Schlegel, en 1804, c'est l'infini qui apparaît dans le fini. Le symbole échappe à la rationalité : sa promotion va de pair avec celle du sentiment, du génie, bref avec une nouvelle esthétique – comme les notions de pathétique et de sublime – venue bouleverser la poétique classique de l'imitation. Cette conception se prolonge dans le mouvement dit symboliste. Elle anime jusqu'à aujourd'hui la « conscience de soi » de la poésie, et par exemple, chez Yves Bonnefoy, la dialectique de l'image avec la « présence », et le refus de ce qu'il appelle « concept ».

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Pour le médiéviste au contraire, il n'y a pas lieu d'opposer l'allégorie au symbole, la première pouvant être décrite comme développement organisé du second. L'historien d'art Émile Mâle (1862-1954) emploie spontanément le terme de symbolisme pour qualifier l'esthétique médiévale. Cependant le romaniste Erich Auerbach (Figura, 1938) considère qu'il y a une différence essentielle entre la mise en rapport, dans l'allégorie profane, du concret avec l'abstrait, du littéral avec le spirituel – toujours au détriment du premier, réduit à n'être que le signe du second – et celle, propre selon lui à la chrétienté antique et médiévale, entre deux ordres à la fois concrets et abstraits, historiques et signifiants l'un aussi bien que l'autre : également réels, l'ancien et le nouveau, le passé et le présent, l'actuel et l'à-venir, le naturel et le surnaturel. Même si Dante, dans La Divine Comédie (1304-1320), parle d'allégorie, Auerbach préfère employer figure, plus proche ici du « type » exégétique.

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