HUMANISME
Le mot humanisme était encore à la mode au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au point que tous les courants de pensée s'en recommandaient : Sartre démontrait que l'existentialisme est un humanisme, les marxistes ne répugnaient pas à se servir de ce vocable pour définir leur doctrine, Henri de Lubac reconnaissait à certains types d'athéisme une valeur humaniste, et Fernand Robert s'interrogeait sur la fortune du mot et de la chose en remontant le cours du temps. Depuis lors, des philosophes, des éducateurs et des politiques ont mis en question un grand nombre de valeurs sur lesquelles reposait naguère l'idée que la plupart des hommes se faisaient de leur propre destin et du progrès de la civilisation, et l'idée d'homme paraît elle-même aux yeux de certains dénuée de signification. Si bien que l'emploi du mot est de plus en plus réservé aux spécialistes de la Renaissance, pour désigner à la fois une période socio-culturelle, la puissance de transformation qui a restructuré alors l'image du monde, et la conception de l'homme, qui s'est progressivement imposée grâce à ces agents de transformation que furent les humanistes eux-mêmes, avec l'appui de forces matérielles et spirituelles extérieures.
L'âge de l'humanisme
Deux historiens de la Renaissance, André Chastel et M. P. Gilmore, en donnant pour titres à l'un de leurs ouvrages L'Âge de l'humanisme (1963) pour le premier, Le Monde de l'humanisme (The World of Humanism, 1952), pour le second, veulent tout d'abord situer le phénomène de l'humanisme dans un système de coordonnées spatio-temporelles, encore que les coupures historiques ne soient pas très nettement tranchées chez le premier, et que les frontières géographiques – même précisées par celles de la chrétienté latine – soient un peu floues chez le second. En effet, même sans faire remonter l'humanisme au xive siècle et à Pétrarque, et encore moins à Dante, voire aux xiie et xiiie siècles, selon une tendance propre à certains historiens italiens, comme G. Toffanin, sous prétexte qu'en Italie l'humanisme a nettement précédé ses manifestations dans les autres pays d'Europe, il est difficile d'assigner un terminus a quo et un terminus ad quem à un mouvement d'esprit, une tendance générale, une conception du monde. Gilmore, en choisissant la date de 1453 et celle de 1517, a voulu mettre l'accent sur deux événements dramatiques qui ont effectivement bouleversé l'histoire du monde : la prise de Constantinople par les Turcs, qui devait achever le processus de désunion entre les deux chrétientés, l'occidentale et l'orientale ; l'apparition de Luther et l'affichage à Wittenberg des quatre-vingt-quinze articles qui devaient diviser irrémédiablement la chrétienté occidentale, non sans conséquences sur les plans les plus divers, religieux, intellectuel, artistique, social, économique.
Chose surprenante, le terme d'humanisme ne date que de la seconde moitié du xixe siècle : contemporain de Jakob Burckhardt, qui devait pendant longtemps fournir l'impulsion et le modèle des recherches dans ce domaine, Georg Voigt rapprochait définitivement en 1859 le mouvement humaniste de la Renaissance, c'est-à-dire de la redécouverte, ou même de la découverte des écrivains de l'Antiquité gréco-latine. Les Italiens avaient bien inventé le mot umanista, qui apparaît dès le Quattrocento dans le jargon des professeurs et des étudiants (comme les termes de jurista ou d'artista) mais son champ sémantique ne correspond pas à ce que l'on entend aujourd'hui par humaniste, appliqué à des hommes comme Érasme, Vives, More, Budé, Melanchthon, Sadolet : l'umanista était un professeur de grammaire et de rhétorique, ce que ne furent pas nécessairement tous[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- André GODIN : directeur de recherche au C.N.R.S., Paris
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
Classification
Médias
Autres références
-
ABSOLU
- Écrit par Claude BRUAIRE
- 4 222 mots
...monde et de son histoire, revenu de l'aliénation religieuse, est redonné à lui-même. La « mort de Dieu » signifie la naissance de l'homme. Mais l'humanisme ne s'érige en doctrine et en système exclusif qu'en souscrivant à la même conception de l'absolu, à la même prescription de rupture... -
ACADÉMIES
- Écrit par Nathalie HEINICH
- 5 952 mots
Avant de se trouver officialisées par une protection princière ou royale, les académies de la Renaissance ne furent à l'origine que des cercles privés ou, selon l'expression de N. Pevsner, des « regroupements informels d'humanistes ». La première à avoir été ainsi recensée fut l'Accademia platonica... -
ACADÉMISME
- Écrit par Gerald M. ACKERMAN
- 3 543 mots
- 2 médias
Une théorie humaniste de l'art fut inventée ou exprimée pour la première fois, avec une clarté remarquable, par Leon Battista Alberti dans son traité Della pittura, écrit aux alentours de 1435. Comme aucune théorie antique de l'art, susceptible de servir de modèle, n'avait survécu, l'humaniste... -
AGRIPPA VON NETTESHEIM HEINRICH CORNELIUS (1486-1535)
- Écrit par François SECRET
- 552 mots
L'humaniste Henri Corneille, en fait Heinrich Cornelius Agrippa, est né à Cologne (Colonia Agrippina, d'où son nom d'Agrippa). Son ouvrage De occulta philosophia (La Philosophie occulte, Cologne, 1531-1533), non moins souvent réédité et traduit que la palinodie qu'il en publia dès...
- Afficher les 130 références