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CYRANO DE BERGERAC SAVINIEN (1619-1655)

Si l'indiscret Tallemant des Réaux n'accorde, dans ses Historiettes, que quelques lignes à Savinien Cyrano de Bergerac, encore est-ce pour avancer, sur la foi d'un libraire, que sa tragédie, La Mort d'Agrippine, ne dut son succès qu'à « de belles impiétés ». Serait-ce donc le destin de Cyrano de ne susciter que commérages ou contresens ? Ce fut pourtant son lot, jusqu'aux articles de Nodier en 1838 et de Théophile Gautier en 1844, avant que l'enthousiasme du bibliophile Jacob (alias Paul Lacroix) ne rendît au jour une œuvre que son anticonformisme avait sans doute dérobée à la gloire. Lorsqu'en 1897 Edmond Rostand donna son Cyrano de Bergerac, il crut peut-être par une imposture réparer une injustice. Ce qui eut du moins l'intérêt d'attiser l'ardeur vigilante de Remy de Gourmont ou de susciter les recherches érudites de Frédéric Lachèvre. Mais, pour le public, le nom de Cyrano restait celui d'un nez, ou d'une épée fleurie de vers lyriques, lorsque tout à coup, à la Noël 1968, l'auteur de l'Histoire comique des États et Empires de la Lune eut droit aux honneurs qu'on aurait pu craindre provisoires d'une « information » où l'on s'était passé le mot. Par chance, il n'en fut rien. En posant le pied sur la Lune, le premier astronaute allait raviver durablement l'intérêt jusque-là languissant que l'on portait à l'un des plus libres, des plus puissants esprits de la première moitié du xviie siècle.

Du mythe à l'homme

Il faut débarrasser Cyrano des affûtiaux de son mythe ; il n'était point gascon, mais natif, en 1619, de la région de Chevreuse, où se trouvait la terre de Bergerac. Il fut un temps vaillant soldat et glorieusement blessé au siège d'Arras. Bretteur ? Jamais et, s'il dégaina souvent, ce ne fut point pour son compte. Il écrivit peu de vers galants et son nez avait la forme exactement opposée à celle dont l'affuble Rostand. Il fut pauvre, en effet, et ne mena que peu de temps joyeuse vie dans les tripots de la capitale. Il vécut sobre et chaste, d'eau pure et de légumes, à l'exemple de son maître Gassendi (pour raison de santé aussi), jusqu'à l'âge de trente-six ans où il mourut des suites d'un accident, peut-être provoqué, sans avoir pu parachever une œuvre où il avait pourtant déjà donné toute sa mesure.

Il était venu tard à l'étude, en adulte consentant : les collèges l'avaient si bien dégoûté de la férule qu'il exerça d'abord sur ses maîtres un talent qu'ils n'avaient pas su exalter : Le Pédant joué est une admirable comédie, pleine d'invention, où tout le monde, y compris Molière, a si largement puisé qu'elle en est restée méconnue. C'est donc sur le tard qu'il se fit admettre au collège de Lisieux, puis dans le cercle de Gassendi où il se trouva en compagnie aussi docte qu'orientée : Molière, Bernier, Chapelle, La Mothe Le Vayer le fils. Il fut l'ami de Tristan l'Hermite, « le seul philosophe et le seul homme libre que la France ait ». Il admirait Sorel et ne cachait point, même chez Gassendi, sa vénération pour Descartes. Son ami Le Bret, qui, à sa mort, prit soin d'éditer son œuvre et de l'édulcorer un peu, disait que « Démocrite et Pyrrhon lui semblaient, après Socrate, les plus raisonnables de l'Antiquité ». On appréciait l'écrivain, l'homme aussi, malgré son humeur un peu fantasque. Dans ses Lettres, il fait preuve d'une verve « philosophique » digne de Montaigne ou des Lumières et tente d'y réhabiliter la pointe, dont le goût s'était perdu. S'il se mêle de tragédie, c'est magistralement : La Mort d'Agrippine est un chef-d'œuvre dont Corneille n'eût point rougi. Avouons qu'en politique il fut assez pyrrhonien,[...]

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Écrit par

  • : docteur en littérature française, maître assistant à l'université du Maine, Le Mans

Classification

Pour citer cet article

Jeannine ETIEMBLE. CYRANO DE BERGERAC SAVINIEN (1619-1655) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • L'AUTRE MONDE OU LES ÉTATS ET EMPIRES DE LA LUNE, ET LES ÉTATS ET EMPIRES DU SOLEIL, Savinien Cyrano de Bergerac - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 131 mots

    L'Autre Monde ou les États et Empires de la Lune, de Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), rédigé vers 1650, a d'abord circulé sous forme manuscrite, avant de paraître après la mort de l'auteur, en 1657, mais modifié au regard des manuscrits retrouvés, qui datent de 1653 environ. Le Bret,...

  • CYRANO DE BERGERAC (E. Rostand) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 381 mots
    ...À la fois hors de son temps et hors du temps, la pièce n’a pas tardé à être dépassée – et peut-être occultée – par son héros éponyme. Du Savinien Cyrano de Bergerac historique (1619-1655), écrivain proche du cercle des « libertins érudits », auteur notamment de l’Histoire comique...
  • INTELLECTUEL

    • Écrit par Jean Marie GOULEMOT
    • 9 442 mots
    • 2 médias
    ...légitimation auquel il se réfère ne se confond pas avec celui de l'intellectuel, savant ou érudit, à la façon de Dom Mabillon. Cependant, pour des hommes comme Cyrano de Bergerac (1619-1655) qui est dramaturge et poète, mais aussi auteur d'un Traité de physique et surtout de L'Autre Monde ou Les États et...
  • LIBERTINAGE

    • Écrit par Michel DELON
    • 3 267 mots
    ...relire Épicure, et en réapprécier la physique et la morale. Composée en latin et lourdement érudite, son œuvre ne se diffuse que dans un cercle étroit. Mais elle est caractéristique d'un refus des dogmes, d'une volonté de chercher hors des sentiers battus qui se manifestent dans les œuvres, beaucoup plus...
  • LIBERTINS

    • Écrit par Robert ABIRACHED, Antoine ADAM
    • 5 715 mots
    Cette philosophie était probablement celle de Théophile de Viau en 1620. Elle est certainement celle de Cyrano de Bergerac (1619-1655), trente ans plus tard, et le texte authentique de ses États de la Lune en apporte la preuve. Cyrano n'était pas le seul à y adhérer. Il existe un énorme manuscrit de...

Voir aussi