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ÉVÉNEMENT, philosophie

Le verbe latin evenire (« venir hors de », « arriver ») et le substantif eventus (« issue », « succès ») nous rappellent que le monde de la vie ne se laisse pas décomposer en faits et en états de choses ; il se présente comme une suite ininterrompue d'événements, arrivant à un moment donné et en un lieu déterminé, apportant du neuf qui nous affecte par son effet de surprise, qu'il soit positif ou négatif.

L'événement, c'est d'abord « tout ce qui arrive » d'une manière ou d'une autre : le passage d'une comète dans le ciel, la pluie et le beau temps, un tremblement de terre, une naissance, une maladie ou un décès. Cet effet de surprise lance un défi à la pensée soucieuse de régularité, de loi et d'ordre. La plupart du temps, les événements « font désordre », en raison de leur contingence et de leur caractère imprévisible, qui semble renvoyer à un hasard incontrôlable. Très tôt, les humains ont éprouvé le besoin de développer un savoir relatif au sens des événements, permettant de s'arracher au hasard aveugle.

La pensée mythique cherche ce sens dans les événements primordiaux qui se sont déroulés à l'origine des temps, dans le monde des dieux ou des ancêtres. Dans cette vision du monde, il ne saurait y avoir de nouveauté radicale, car tout ce qui arrive n'est que la répétition d'un événement achétypique. Cela ne veut pas dire que, dans les sociétés primitives, tous les événements soient prévisibles et qu'il n'y ait rien de « surprenant ». Pour l'homme archaïque aussi, certains événements créent un désordre dont il faut limiter les dégâts, ce à quoi s'efforce la divination.

Comme l'a montré J.-P. Vernant, l'intelligence divinatoire s'intéresse à la constellation significative qui résulte de la combinatoire des éléments qu'on retrouve dans certaines situations typiques. Leur analyse permet de déterminer l'opportunité ou l'inopportunité de certaines actions. L'intelligence divinatoire et la sagesse oraculaire ne sont pas seulement l'autre de la raison scientifique ; comme on le voit avec l'exemple du Yi King en Chine, la divination peut également frayer la voie à la philosophie.

Penser le singulier et la succession

Dès l'origine, le discours philosophique sur la réalité recourt aux puissances contrastées du nom et du verbe. Dans la première optique, que la pensée occidentale tend toujours à privilégier, le monde se compose de substances et d'accidents, de choses et d'états de choses constituant des faits. Dans une ontologie substantialiste, l'événement représente l'accidentel, ce dont il ne peut pas y avoir de science au sens strict. Comme le soulignent les stoïciens, il est plus facile de dire que l'arbre est vert que de dire qu'il verdoie, de parler de la nature plutôt que de l'éclosion – ce qui est la signification originelle du terme physis.

Envisagé dans une optique plus verbale, le monde est formé de la trame des événements et de leurs configurations, déterminant des situations favorables ou défavorables. Dès l'Antiquité grecque s'est constitué un discours relatif aux événements : celui de l'historien, qui relate ce qui s'est passé, soit qu'il en fut le témoin, soit que cela lui fut rapporté des témoins dignes de confiance. L'événement se caractérise par son caractère plus ou moins spectaculaire. L'historien est d'abord un chroniqueur et un conteur : en racontant les événements marquants du passé, il cherche à les comprendre. Dans une conception qui fait la part belle à l'intelligence narrative (P. Ricœur), les événements se caractérisent par leur singularité unique. Ce qui est arrivé une fois ne se répétera jamais. On ne se baigne pas deux fois dans le fleuve des événements.[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur émérite de la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris, titulaire de la chaire "Romano Guardini" à l'université Humboldt de Berlin (2009-2012)

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Autres références

  • BADIOU ALAIN (1937- )

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  • DELEUZE GILLES (1925-1995)

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