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BAROQUE

L'origine du mot « baroque », appelé à une si grande fortune, doit être raisonnablement reconnue dans le mot portugais barroco, qui désigne la perle irrégulière, voisin du castillan berrucco, qui était lui-même entré dans la langue technique de la joaillerie au xvie siècle. Les dictionnaires français (Furetière, 1690 ; Académie française, 1718) l'ont accueilli avec ce sens, mais, assez rapidement, celui, figuré, d'étrange et presque de choquant fut admis.

L'Encyclopédiea cru que le terme venait du baroco des logiciens, alors que la figure du syllogisme ne traduit aucune irrégularité dans le mode de pensée. Il est assez curieux d'observer, à présent, que dans le supplément de l'Encyclopédie, de 1776, Jean-Jacques Rousseau (sous la signature S) définit la musique baroque comme celle « dont l'harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances », alors que, par musique baroque, nous entendons l'école musicale du xviie siècle, dans une acception surtout chronologique.

Au tournant du xviiie et du xixe siècle, les théoriciens partisans de l'antique et rénovateurs d'un art architectural classique ont employé l'adjectif « baroque » pour désigner ce qu'ils trouvaient de capricieux, d'extravagant, de contraire à la règle et au goût chez les maîtres italiens du Seicento. Le grand critique d'art, Jacob Burckhardt, professeur à Bâle, qui dans le Cicerone (1860) avait contribué à présenter le style baroque d'Italie comme une altération de la Renaissance, est revenu sur cette première opinion et a éprouvé une sympathie croissante envers lui. Mais, en France surtout, le xixe siècle positif, réaliste, admirateur d'un classicisme où il croyait voir la plus parfaite expression du goût, de la raison et du génie national, a condamné l'architecture italienne et les formes qui s'étaient développées à partir d'elle. Il en est résulté que le mot baroque a été pris constamment dans une acception péjorative, jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale. Alors, les esthéticiens ont prêté au baroque le caractère d'une phase de la sensibilité générale, en littérature et en art, où les valeurs de fantaisie, d'imagination se trouvaient libérées, jusqu'au désordre parfois, mais sans leur refuser l'attrait, le charme et la séduction. On ne peut reprendre ici toute l'histoire du terme baroque et de ses diverses acceptions, mais il est sans doute utile de s'arrêter sur trois observations :

Bibliothèque de Wiblingen - crédits :  Bridgeman Images

Bibliothèque de Wiblingen

1. Chronologiquement, le baroque est un style artistique général, postérieur à la Renaissance, dont les manifestations les plus affirmées se sont présentées en Italie au xviie siècle, et qui est passé, y recevant un accueil plus ou moins favorable, en Espagne, en France, en Allemagne, en Europe centrale, en Russie. Art d'imagination, d'invention, de somptuosité, de contrastes, il est différent de la recherche d'équilibre et d'harmonie qui forme l'idéal classique.

2. Mais jamais les artistes qui ont adopté ce style ne l'ont appelé baroque ; ils ont même ignoré, pour la plupart, le mot et le sens que nous lui prêtons. Ils ont admis d'eux-mêmes qu'ils étaient modernes. En France, on a parlé d'un genre « à la romaine ».

3. Intemporellement,  c'est-à-dire pouvant être reconnu à toutes les époques et dans tous les genres de création, le baroque est l'audacieux, le surprenant, le contrasté ou l'incohérent. Il est, en principe du moins, le reflet dans les sensibilités et les expressions de périodes de transition, de difficultés internes, de remise en cause de valeurs traditionnelles, d'un affleurement de tendances profondes, douloureuses parfois, inquiètes toujours.

L'idée qu'il a existé au xviie siècle, et qu'il peut exister toujours[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Bordeaux-III-Michel-de-Montaigne
  • : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien
  • : membre de l'Institut, professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Pour citer cet article

Claude-Gilbert DUBOIS, Pierre-Paul LACAS et Victor-Lucien TAPIÉ. BAROQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Basilique Saint-Pierre, Rome

<it>Autoportrait</it> du Cavalier Bernin - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait du Cavalier Bernin

Autres références

  • GÉNÉALOGIES DU BAROQUE (A. Mérot)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 1 235 mots

    Avec Généalogies du baroque (Le Promeneur, Paris, 2007), une synthèse consacrée à l'histoire de la notion de « baroque » dans les arts visuels, Alain Mérot, professeur d'histoire de l'art moderne à la Sorbonne, spécialiste reconnu de la peinture française du xviie siècle...

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots
    ...lucide, profondément mélancolique. Son Origine du drame baroque (1928) exalte dans l'allégorie le moyen de se désenchanter du classicisme : le baroque s'en sépare plus radicalement que l'idiome romantique, parce qu'il est sans illusion sur la consistance ontologique du monde ; mais il le doit...
  • ALLEMAND ART

    • Écrit par Pierre VAISSE
    • 1 322 mots

    Parler d'art allemand, comme d'art italien ou d'art français, n'a rien qui surprenne aujourd'hui, tant ces catégories semblent évidentes. Apparues avec l'essor de l'histoire de l'art au xixe siècle, elles sont pourtant relatives et problématiques, car cet essor,...

  • ANVERS

    • Écrit par Guido PEETERS, Carl VAN DE VELDE, Christian VANDERMOTTEN
    • 8 398 mots
    • 5 médias
    ...réaliste et exubérant à la fois, dit de la Renaissance flamande, mis à la mode par Cornelis Floris entre 1550 et 1575, survit jusqu'en 1610 environ. On a aussi coutume de faire coïncider l'avènement du style baroque dans la sculpture avec le retour de Rubens à Anvers. Mais durant les premières décennies...
  • BLANCHET THOMAS (1614?-1689)

    • Écrit par Lucie GALACTEROS-DE BOISSIER
    • 840 mots

    Peintre, architecte et sculpteur ayant joué à Lyon un rôle semblable à celui de Le Brun à Paris, Blanchet fut vite oublié car son œuvre avait été rapidement mutilé et la critique fut longtemps déroutée par un style paradoxal. Depuis les années 1980, dessins et modelli ont permis...

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Voir aussi