ENCYCLOPÉDIE

Une expression grecque, évoquant à la fois le « cercle » – kuklos – des connaissances et la transmission du savoir à l'enfance – paideia –, reprise par Quintilien pour former un mot latin passé dans les langues modernes au xvie siècle, a transcendé la référence à ce que nous nommons l'« encyclopédie ». Au xvie siècle, elle n'est encore qu'un projet de mémoire collective pour une pédagogie, qui traduit un projet transculturel, sinon universel.

En Occident, les encyclopédies se sont inscrites dans la famille des livres de référence, alors que l'encyclopédisme est une tentation et un projet universel de maîtrise et d'organisation des savoirs valorisés par une civilisation.

Alors que le « dictionnaire » est enfermé dans les structures d'une langue et de son lexique, l'encyclopédie est ouverte sur le monde. Qu'elle soit rédigée dans une langue ou une autre importe peu : on peut toujours la traduire. Quant à l'encyclopédisme, il existe en tant qu'intention avant toute volonté éditoriale et dès qu'un ensemble de connaissances et d'informations est jugé digne de mémoire et de transmission.

Il y a tout à parier que les civilisations orales ont eu la tentation encyclopédique ; mais pour accéder au « cercle » évoqué, sans lacune essentielle, et pour en transmettre la totalité, il a fallu donner à la parole un instrument de mémoire, et ce fut l'écriture.

La mémoire et l'ordre : avant la Renaissance

Avec l'écriture apparaissent les moyens d'une mémoire collective : chiffres et lettres ou caractères ; déploiement du discours et inventaire des désignations. Les listes de noms apparaissent à Sumer avec les comptes : la mémoire des mots accompagne celle des quantités. Celle des textes, qui transmettent la connaissance et l'erreur, le mythe, ou encore le discours du pouvoir, induit celle des mots, reflets des choses et des objets de pensée. Les noms propres, qui renvoient à une réalité unique, ont en commun avec d'autres mots présents dans une langue de renvoyer aux choses et aux êtres. Mais les mots, noms communs, adjectifs, verbes, correspondent à des classes de substances, de qualités, d'actions, et diffèrent selon l'idiome.

L'encyclopédisme primitif met en œuvre une forme stabilisée des signes d'une langue pour établir une mnémotechnie : à partir des formes visibles de ces signes, il s'agit d'obtenir des séries ordonnées d'informations, de manière à pouvoir les retrouver. Ces données sont censées fournir une image du réel. Quand cette image tend vers une totalité, cercle ou cycle, et qu'elle vise à une transmission du savoir ordonné, la métaphore fournie par l'expression grecque qui signifie « dans le cercle (de) ce qu'on peut enseigner » semble pertinente.

Cette démarche, à s'en tenir à l'étymologie, requiert une fermeture et un centre, c'est-à-dire une fixation dans un ordre, mais aussi un dynamisme, celui de la transmission du savoir. Ce paradoxe est aussi celui du langage et de l'écriture : fixer pour transmettre, c'est-à-dire pour faire bouger. Le « livre » (support – tablette, rouleau, volumen) est dans la même situation, et par suite la bibliothèque, objet culturel repéré depuis Assurbanipal (668-627 av. J.-C.). Ce sont les matérialisations du projet encyclopédique, aujourd'hui virtualisé par l'électronique mondialisée d'Internet, mais dans la confusion et l'excès.

Ces remarques générales peuvent être mises en rapport avec la distinction-opposition sémiotique entre « encyclopédie » et dictionnaire que propose Umberto Eco. À une sémantique « sous forme de dictionnaire », enfermée dans une langue et bornée à des signifiés littéraux, Eco oppose une sémantique « en forme d'encyclopédie »,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • Alain REY : conseiller éditorial, dictionnaire Le Robert

Classification

Pour citer cet article

Alain REY, « ENCYCLOPÉDIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

Francis Bacon

Francis Bacon

Francis Bacon

Le chancelier Francis Bacon (1560 ou 1561-1626), philosophe, juriste et homme politique anglais.

Gottfried Wilhelm Leibniz

Gottfried Wilhelm Leibniz

Gottfried Wilhelm Leibniz

Esprit encyclopédique, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) est à la fois philosophe,…

D'Alembert

D'Alembert

D'Alembert

Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783), l'un des mathématiciens et physiciens les plus importants du…

Autres références

  • CARDAN JÉRÔME (1501-1576)

    • Écrit par Jean-Claude MARGOLIN
    • 1 727 mots
    ...1536 et publié en 1550 à Nuremberg, et le De rerum varietate, publié à Bâle en 1557. Le premier, qui comporte vingt et un livres, est une sorte d' encyclopédie universelle des sciences naturelles et des inventions, qui traite de presque tous les sujets possibles (de la cosmologie à la construction...
  • CHAMBERS EPHRAÏM (1680 env.-1740)

    • Écrit par Louise LAMBRICHS
    • 282 mots

    Publiciste et encyclopédiste anglais, né à Kendal, dans le Westmorland et mort à Islington, dans le Middlesex. D'origine modeste, Ephraïm Chambers fit ses études dans sa ville natale, puis entra comme apprenti chez un cartographe qui le poussa à se cultiver. En 1728, il lança, par souscription,...

  • CHINOISES GRANDES ÉDITIONS

    • Écrit par Pierre-Étienne WILL
    • 858 mots

    L'un des traits remarquables de l'édition chinoise, pratiquement depuis ses débuts et jusqu'à ce jour, est la publication de vastes collections dont la visée n'est pas commerciale, mais idéologique ou politique : manifestation de piété (religieuse ou culturelle selon...

  • COMMUNS

    • Écrit par Cécile EZVAN
    • 3 564 mots
    • 4 médias
    ...fonciers. Ces communs de la connaissance doivent aussi être conservés et protégés des attaques pour pouvoir être utilisés durablement. C’est le cas d’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia, ouverte et d’accès universel, qui enregistre environ 600 millions de visites quotidiennes et 300 000 rédacteurs...
  • CORONELLI VINCENZO MARIA (1650-1718)

    • Écrit par André LOUCHET
    • 619 mots
    • 1 média

    Né à Venise en 1650, Vincenzo Maria Coronelli fait ses études à Ravenne et entre chez les franciscains de Venise dès 1665. Docteur en théologie en 1673, il mènera sa vie durant une carrière de savant, de géographe et d’encyclopédiste.

    À la fin des années 1670, Coronelli travaille comme...

  • Afficher les 16 références

Voir aussi