Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

La poétique

La Poétique d'Aristote, telle qu'elle nous est parvenue, traite de la tragédie et de l'épopée (un second livre, perdu, devait porter sur la comédie). Cet écrit, dont l'influence sur le théâtre devait être considérable à partir de la Renaissance, n'est pas sans rapport avec l'ensemble de la philosophie d'Aristote. Il représente un aspect de ce que devrait être une théorie générale de la poièsis, ou production d'œuvres. La poésie est, d'une façon générale, «  imitation » ( mimèsis), par quoi il faut entendre non un simple décalque de la réalité, mais une sorte de re-création de cet « acte » (énergeia) qui constitue la vie. En particulier, la tragédie « imite non pas les hommes, mais une action et la vie, le bonheur et l'infortune ; or le bonheur et l'infortune sont dans l'action, et la fin de la vie est une certaine manière d'agir, non une manière d'être » (6, 1450 a 15). D'où l'importance de l'action dans la tragédie : les caractères viennent aux personnages « par surcroît et en raison de leurs actions », non l'inverse. Aristote conseille d'emprunter l'action de la tragédie à l'histoire, mais seulement parce que l'histoire est garante de la vraisemblance des faits présentés. Même dans ce cas, le poète est créateur, parce que, en choisissant tel ou tel événement réel, il le recrée comme «  vraisemblable et possible » (9, 1451 b 27). La poésie diffère en cela de l'histoire : l'histoire raconte ce qui est arrivé ; la poésie présente ce qui pourrait arriver à chacun d'entre nous et, même lorsqu'elle prend pour thème ce qui est en fait advenu, elle le présente comme pouvant arriver toujours de nouveau ; la poésie atteint par là l'universel et est en cela « plus philosophique que l'histoire » (9, 1451 b 5-6).

Aristote fournit aux auteurs de tragédie de nombreuses règles techniques, dont le classicisme français fera son profit. Il n'y a sans doute pas d'autres exemples dans l'histoire d'un art poétique précédant (et de plusieurs siècles) la pratique de l'écrivain, au lieu de la refléter. La principale règle de la tragédie est que l'action représentée doit être « achevée », former un « tout », « avoir un commencement, un milieu et une fin ». Il y a une limite naturelle de l'action, une étendue optimale : celle qui « permet à une suite d'événements qui se succèdent suivant la vraisemblance ou la nécessité de faire passer le héros du malheur au bonheur ou du bonheur au malheur » (7, 1451 a 9). Mais cela, qui vaut pour le « drame » en général, ne suffit pas encore à définir la tragédie : le changement, la « péripétie », doit être tel qu'il suscite la « terreur » et la « pitié » du spectateur ; or ces sentiments ne naissent pas lorsque nous voyons un homme bon tomber dans le malheur, ni un méchant passer du malheur au bonheur (car ces deux cas suscitent l'indignation), ni lorsqu'un homme bon passe du malheur au bonheur (car nous nous en réjouissons) ou un méchant du bonheur au malheur (car nous ne le plaignons pas), mais seulement lorsqu'un héros ambigu, qui n'est ni tout à fait innocent ni tout à fait coupable, tombe dans le malheur par suite d'une « erreur » qu'il a commise.

Enfin, Aristote se préoccupe de l'action de la tragédie sur le spectateur : elle provoque une « purification ( catharsis) des passions » telles que la pitié et la crainte. On a beaucoup glosé sur cette catharsis : l'interprétation la plus probable est que le spectateur se libère de ses passions en les éprouvant sur le mode de l'imaginaire ; cette notion se rattache sans doute à des conceptions médicales « homéopathiques » selon lesquelles le semblable se traite par le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Aristote - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

Aristote

Aristote - Stagire (Macédoine) - crédits : Argus/ Fotolia

Aristote - Stagire (Macédoine)

Autres références

  • DE L'ÂME, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 956 mots

    Qu'est-ce que l'âme ? La question peut nous paraître incongrue, mais pour l'Antiquité elle était essentielle à la constitution d'une science du vivant (l'âme se définit comme ce qui « anime » un corps, au principe donc de ce qui distingue l'animal du végétal), et partant...

  • ÉTHIQUE À NICOMAQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 943 mots
    • 1 média

    Le corpus aristotélicien comprend traditionnellement trois ensembles consacrés à la philosophie morale : l'Éthique à Nicomaque, l'Éthique à Eudème et la Grande Morale, ou Grands Livres d'Éthique, dont l'attribution à Aristote (385 env.-322 env. av. J.-C.) est aujourd'hui très...

  • HISTOIRE DES ANIMAUX (Aristote)

    • Écrit par Pierre LOUIS
    • 325 mots

    La date de 335 avant notre ère est très importante dans l'histoire de la science grecque et de la science en général. Elle correspond pourtant à une période assez sombre de l'histoire de la Grèce ancienne. Trois années plus tôt, en — 338, la défaite des Athéniens et des Thébains, battus par Philippe...

  • ORGANON, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 821 mots
    • 1 média

    Dans l'œuvre immense qui nous reste d'Aristote (385 env.-322 av. J.-C.), ou qui est publiée sous son nom, on peut distinguer trois ensembles : les écrits qui relèvent directement de la connaissance scientifique (dont De l'âme) ; ceux qui traitent plutôt des conduites humaines...

  • POÉTIQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 906 mots
    • 1 média

    On a pu dire de la poétique conçue comme discipline que son histoire coïncidait pratiquement avec celle de la réception de la Poétique (Poiètikè) d'Aristote (env. 385-env. 322 av. J.-C.), composée vers 340 avant J.-C. Peu d'ouvrages, en effet, ont ainsi connu une vie autonome, et d'aussi...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par Jean-Paul DUMONT
    • 1 376 mots
    • 1 média
    On trouve un reflet sans doute fidèle de cet enseignement platonicien dans les fragments du traité Sur le bien d'Aristote. Tous les êtres ont une existence mixte, résultat du mélange, dont le Philèbe assurait qu'il peut être bon ou mauvais, de deux principes : la limite et l'illimité. Sans doute...
  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    Leterme « acte » reprend le latin actus, qui traduit deux termes d'Aristote : energeia (« qui est en plein travail ») et entelecheia (« qui séjourne dans sa fin »). Ces deux mots du vocabulaire aristotélicien sont souvent confondus par les traducteurs, mais déjà parfois par Aristote...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...la sensibilité humaine. Ainsi le « pathique » est-il tantôt finement analysé en tant qu'obstacle, mais aussi ressource de la vie éthique, comme chez Aristote, en particulier dans l'Éthique à Nicomaque, tantôt entièrement rejeté comme obnubilant et obscurcissant – comme si tout affect se confondait...
  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par Pascal RICHET
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    Sur le long terme, les idées qui exercèrent l’influence la plus longue et la plus forte furent cependant celles d’Aristote. En décrivant un petit univers centré sur la Terre et borné par la sphère des étoiles fixes, ce dernier s’attacha à démontrer aussi bien philosophiquement que physiquement...
  • Afficher les 176 références

Voir aussi