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ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

La postérité d'Aristote

L'école d'Aristote, le Lycée, ne connaîtra pas, après la mort d'Aristote, la fermentation intellectuelle qu'avait connue encore l'Académie après la mort de Platon. Sans doute parce que la pensée d'Aristote avait ouvert à la philosophie des territoires nouveaux, mais en était restée à la phase de l'exploration, les disciples (à l'exception peut-être du premier d'entre eux, Théophraste, mort en 285 av. J.-C.) se découragèrent assez vite, abandonnèrent notamment les spéculations métaphysiques et se consacrèrent plutôt, avec Straton de Lampsaque (335-268 av. J.-C.), à des questions de physique, avant de borner leurs ambitions à des exercices de dialectique et de rhétorique, qui constitueront, deux siècles plus tard, l'essentiel de l'activité de l'école.

Pendant toute cette période, l'aristotélisme sera presque éclipsé par les deux grandes écoles hellénistiques : l'épicurisme et le stoïcisme. Le manque de rigueur doctrinale des philosophes du Lycée facilitera des amalgames étranges, qui pèseront sur toute la tradition ultérieure. Certains tireront l'aristotélisme vers l'épicurisme, dont le rapprochent en effet l'attention prêtée aux phénomènes, l'importance accordée au hasard, la négation de la Providence, l'admission des biens du corps et des biens extérieurs dans la définition du Souverain Bien ; mais, à l'inverse, d'autres n'hésiteront pas, dès cette époque, à projeter rétrospectivement sur Aristote la théologie stoïcienne du Dieu cosmique, c'est-à-dire l'assimilation de Dieu et du monde, considéré comme soumis à un principe immanent d'organisation.

C'est seulement à partir du ier siècle de l'ère chrétienne que, s'appuyant désormais sur l'édition d'Andronicos, de grands commentateurs redonneront à la philosophie d'Aristote des dimensions dignes d'elle. Il faut citer ici Nicolas de Damas (40 env. av. J.-C.-20 apr. J.-C.), Alexandre d'Aphrodise (fin du iie-déb. du iiie s.), Thémistius (ive s.), Jean Philopon (ve s.), Simplicius (ve-vie s.). Avec eux, la philosophie inachevée, peut-être inachevable, d'Aristote trouvera l'achèvement que le Lycée n'avait même pas essayé de lui donner. Cet Aristote, tardivement systématisé par le commentaire, commencera alors une nouvelle carrière : il deviendra pour des siècles celui que Dante a appelé « le maître de ceux qui savent ». À ce titre, il inspirera les grandes synthèses médiévales, dans le monde islamique (Avicenne et Averroès) et dans le monde chrétien (Thomas d'Aquin).

L'érudition moderne s'est justement efforcée de retrouver l'Aristote historique derrière les sédimentations que des siècles de commentaire antique et médiéval avaient accumulées sur son œuvre. Ce travail était d'autant plus malaisé qu'un aristotélisme diffus pénètre, à travers la logique et la grammaire dites « classiques », des formes de pensée et d'expression qui paraissaient il y a peu encore connaturelles à l'esprit humain. La mise en question des « catégories », des axiomes et des règles issus d'Aristote a toujours été depuis la Renaissance, que ce soit dans l'ordre de la physique, de la métaphysique, de la logique, voire de la poétique, le commencement obligé de toute novation. Mais faire de l'aristotélisme la structure spirituelle de tous les conservatismes, de tous les « systèmes », c'est oublier deux choses : d'abord, qu'Aristote lui-même représentait pour son temps non seulement une prodigieuse mise en ordre des efforts philosophiques antérieurs, mais aussi une novation importante dans l'ordre de la méthode philosophique, obligée désormais de passer par l'observation des phénomènes et par l'analyse du langage dans lequel nous les exprimons[...]

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Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Aristote

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Aristote - Stagire (Macédoine)

Autres références

  • DE L'ÂME, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 956 mots

    Qu'est-ce que l'âme ? La question peut nous paraître incongrue, mais pour l'Antiquité elle était essentielle à la constitution d'une science du vivant (l'âme se définit comme ce qui « anime » un corps, au principe donc de ce qui distingue l'animal du végétal), et partant...

  • ÉTHIQUE À NICOMAQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 943 mots
    • 1 média

    Le corpus aristotélicien comprend traditionnellement trois ensembles consacrés à la philosophie morale : l'Éthique à Nicomaque, l'Éthique à Eudème et la Grande Morale, ou Grands Livres d'Éthique, dont l'attribution à Aristote (385 env.-322 env. av. J.-C.) est aujourd'hui très...

  • HISTOIRE DES ANIMAUX (Aristote)

    • Écrit par Pierre LOUIS
    • 325 mots

    La date de 335 avant notre ère est très importante dans l'histoire de la science grecque et de la science en général. Elle correspond pourtant à une période assez sombre de l'histoire de la Grèce ancienne. Trois années plus tôt, en — 338, la défaite des Athéniens et des Thébains, battus par Philippe...

  • ORGANON, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 821 mots
    • 1 média

    Dans l'œuvre immense qui nous reste d'Aristote (385 env.-322 av. J.-C.), ou qui est publiée sous son nom, on peut distinguer trois ensembles : les écrits qui relèvent directement de la connaissance scientifique (dont De l'âme) ; ceux qui traitent plutôt des conduites humaines...

  • POÉTIQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 906 mots
    • 1 média

    On a pu dire de la poétique conçue comme discipline que son histoire coïncidait pratiquement avec celle de la réception de la Poétique (Poiètikè) d'Aristote (env. 385-env. 322 av. J.-C.), composée vers 340 avant J.-C. Peu d'ouvrages, en effet, ont ainsi connu une vie autonome, et d'aussi...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par Jean-Paul DUMONT
    • 1 376 mots
    • 1 média
    On trouve un reflet sans doute fidèle de cet enseignement platonicien dans les fragments du traité Sur le bien d'Aristote. Tous les êtres ont une existence mixte, résultat du mélange, dont le Philèbe assurait qu'il peut être bon ou mauvais, de deux principes : la limite et l'illimité. Sans doute...
  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    Leterme « acte » reprend le latin actus, qui traduit deux termes d'Aristote : energeia (« qui est en plein travail ») et entelecheia (« qui séjourne dans sa fin »). Ces deux mots du vocabulaire aristotélicien sont souvent confondus par les traducteurs, mais déjà parfois par Aristote...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...la sensibilité humaine. Ainsi le « pathique » est-il tantôt finement analysé en tant qu'obstacle, mais aussi ressource de la vie éthique, comme chez Aristote, en particulier dans l'Éthique à Nicomaque, tantôt entièrement rejeté comme obnubilant et obscurcissant – comme si tout affect se confondait...
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    Sur le long terme, les idées qui exercèrent l’influence la plus longue et la plus forte furent cependant celles d’Aristote. En décrivant un petit univers centré sur la Terre et borné par la sphère des étoiles fixes, ce dernier s’attacha à démontrer aussi bien philosophiquement que physiquement...
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