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ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

La vie et l'âme

La vie

De la nature à la vie, de la vie à l'âme, la transition est, pour Aristote, continue. Nous avons vu que la nature était définie par lui comme principe interne de mouvement, autrement dit comme spontanéité (ainsi, la pierre tend d'elle-même vers le bas). Dès lors, la difficulté n'est pas tellement pour lui d'expliquer le caractère naturel de la vie que de distinguer la nature animée de la nature inanimée. En fait, si Aristote est bien conscient du fait que la nature animée n'est qu'un cas particulier de la nature en général, c'est la nature animée qui, en raison de sa plus grande perfection, lui sert de modèle pour expliquer la nature en général. Mais, à ce niveau, les références à la vie n'ont de valeur qu'analogique : lorsque Aristote dit, par exemple, que le mouvement est « comme une sorte de vie appartenant à tout ce qui existe par nature » (Phys., VIII, 1, 250 b 14), il ne faut pas voir là plus qu'une métaphore. Mais s'il serait erroné d'interpréter la physique d'Aristote, à cause de ces métaphores, comme une physique vitaliste, il reste que sa biologie est tout le contraire d'une biologie physicaliste : elle est la première tentative cohérente – et qui se constitue déjà en rupture avec toute une tradition matérialiste – pour interpréter les phénomènes vitaux dans leur spécificité, irréductible à toute combinaison mécanique d'éléments.

L'observation biologique a été une des activités les plus constantes d'Aristote, et aussi les plus fécondes, comme en témoignent le nombre et l'importance des traités qu'il a consacrés à la science de la vie. Si l'Histoire des animaux est un recueil d'observations (le mot grec historia ne signifie pas autre chose qu'enquête), les traités Des parties des animaux et De la génération des animaux représentent une systématisation déjà avancée, le premier dans l'ordre de l'anatomie comparée, le second dans l'ordre de la physiologie et, en particulier, de l'embryologie. À côté d'observations erronées et de thèses qui portent la marque de l'époque (le cœur est le siège de l'âme, les artères sont pleines d'air, etc.), on y trouve des classifications qui préparent celles de Linné et de Cuvier, un usage très judicieux de la notion d'analogie (ainsi Aristote est-il le premier à reconnaître l'analogie fonctionnelle entre les poumons et les branchies), et surtout un principe général d'explication, selon lequel la fonction détermine l'organe, et non l'inverse. Ainsi Aristote affirme-t-il contre Anaxagore que « l'homme a des mains parce qu'il est intelligent » et non qu'« il est intelligent parce qu'il a des mains » (Part. anim., IV, 10, 687 a 7) ; il affirme encore que la station droite de l'homme s'explique par la prédominance en lui de la pensée (ibid., 686 a 27).

L'âme et le corps

Le couronnement des œuvres biologiques est à chercher dans le traité De l'âme, du moins dans ses deux premiers livres, qui traitent de « cette sorte d'âme qui n'existe pas indépendamment de la matière » (I, 1, 403 a 28) et qui, à la différence de l'âme immatérielle ou intellect ( noûs), n'est autre que le principe vital, caractéristique non seulement de l'homme, mais de tout être vivant. Aristote n'est pas parvenu d'emblée à cette conception de l'âme et, dans aucun autre domaine de sa philosophie, son évolution n'a été aussi claire que sur cette question. Parti de l'affirmation platonisante d'une dualité radicale entre l'âme et le corps, Aristote parvient, dans le traité De l'âme, à une conception qui, au contraire, voit dans l'âme la forme du corps, donc liée à lui et disparaissant avec[...]

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Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Aristote

Aristote - Stagire (Macédoine) - crédits : Argus/ Fotolia

Aristote - Stagire (Macédoine)

Autres références

  • DE L'ÂME, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 956 mots

    Qu'est-ce que l'âme ? La question peut nous paraître incongrue, mais pour l'Antiquité elle était essentielle à la constitution d'une science du vivant (l'âme se définit comme ce qui « anime » un corps, au principe donc de ce qui distingue l'animal du végétal), et partant...

  • ÉTHIQUE À NICOMAQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 943 mots
    • 1 média

    Le corpus aristotélicien comprend traditionnellement trois ensembles consacrés à la philosophie morale : l'Éthique à Nicomaque, l'Éthique à Eudème et la Grande Morale, ou Grands Livres d'Éthique, dont l'attribution à Aristote (385 env.-322 env. av. J.-C.) est aujourd'hui très...

  • HISTOIRE DES ANIMAUX (Aristote)

    • Écrit par Pierre LOUIS
    • 325 mots

    La date de 335 avant notre ère est très importante dans l'histoire de la science grecque et de la science en général. Elle correspond pourtant à une période assez sombre de l'histoire de la Grèce ancienne. Trois années plus tôt, en — 338, la défaite des Athéniens et des Thébains, battus par Philippe...

  • ORGANON, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 821 mots
    • 1 média

    Dans l'œuvre immense qui nous reste d'Aristote (385 env.-322 av. J.-C.), ou qui est publiée sous son nom, on peut distinguer trois ensembles : les écrits qui relèvent directement de la connaissance scientifique (dont De l'âme) ; ceux qui traitent plutôt des conduites humaines...

  • POÉTIQUE, Aristote - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 906 mots
    • 1 média

    On a pu dire de la poétique conçue comme discipline que son histoire coïncidait pratiquement avec celle de la réception de la Poétique (Poiètikè) d'Aristote (env. 385-env. 322 av. J.-C.), composée vers 340 avant J.-C. Peu d'ouvrages, en effet, ont ainsi connu une vie autonome, et d'aussi...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par Jean-Paul DUMONT
    • 1 376 mots
    • 1 média
    On trouve un reflet sans doute fidèle de cet enseignement platonicien dans les fragments du traité Sur le bien d'Aristote. Tous les êtres ont une existence mixte, résultat du mélange, dont le Philèbe assurait qu'il peut être bon ou mauvais, de deux principes : la limite et l'illimité. Sans doute...
  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    Leterme « acte » reprend le latin actus, qui traduit deux termes d'Aristote : energeia (« qui est en plein travail ») et entelecheia (« qui séjourne dans sa fin »). Ces deux mots du vocabulaire aristotélicien sont souvent confondus par les traducteurs, mais déjà parfois par Aristote...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...la sensibilité humaine. Ainsi le « pathique » est-il tantôt finement analysé en tant qu'obstacle, mais aussi ressource de la vie éthique, comme chez Aristote, en particulier dans l'Éthique à Nicomaque, tantôt entièrement rejeté comme obnubilant et obscurcissant – comme si tout affect se confondait...
  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par Pascal RICHET
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    Sur le long terme, les idées qui exercèrent l’influence la plus longue et la plus forte furent cependant celles d’Aristote. En décrivant un petit univers centré sur la Terre et borné par la sphère des étoiles fixes, ce dernier s’attacha à démontrer aussi bien philosophiquement que physiquement...
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