AUTRUI (notions de base)

Article mis en ligne le 11/05/2020
Modifié le 23/06/2020
Écrit par Philippe GRANAROLO

Autrui m’est nécessaire

N’y a-t-il pas cependant, chez Hegel et ses successeurs tels que Sartre, un oubli condamnable de la complémentarité, de la solidarité, qui relient les hommes entre eux au moins autant que l’affrontement les oppose ? La distance entre les consciences, et le danger toujours présent de me considérer comme l’unique sujet en train de rêver le monde et les autres, propre au solipsisme, ne nous obligent-ils pas à recourir à l’autre conscience comme le moyen de nous rassurer sur notre propre existence et sur notre expérience du monde ? Parce que je peux douter de la réalité de ce qui m’apparaît, j’ai besoin de la confirmation de l’autre pour me sortir de l’hypothèse solipsiste. Martin Buber (1878-1965) a mis cette notion de « confirmation » au centre de sa philosophie : « Les autres ont besoin, et cela leur est donné, de se confirmer l’un l’autre dans leur être individuel » (Je et Tu, 1923). Cette affirmation nous permet de comprendre qu’avec un point de départ identique – la solitude de la conscience – les philosophes peuvent cheminer dans des directions différentes, voire opposées. Descartes ouvre la voie au marquis de Sade, mais tout aussi bien aux constructions de Martin Buber.

De façon analogue, Ronald Laing (1927-1989), l’antipsychiatre qui se réclame à la fois de Sartre et du bouddhisme, part de l’impénétrabilité de l’autre conscience pour en déduire son caractère séduisant plutôt que menaçant. « Vous ne faites pas l’expérience de mon expérience », remarque sur un mode très cartésien l’auteur de Soi et les autres(1971). Je ne suis pas en relation avec autrui, mais avec une image que je me fais de lui. Autrui, de son côté, ignore ce qui se passe à l’intérieur de ma conscience (idées, sentiments, émotions) ; il est réduit à s’en faire une image. Je me fais une image de cette image que l’autre se fait de moi, et réciproquement. Nous naviguons ainsi dans un labyrinthe d’images qui peuvent, lorsque l’autre nous adresse des messages contradictoires, nous conduire au malaise voire à la folie. Mais, quand tout se passe bien, nous pensons avoir une image adéquate de ce qu’autrui ressent à notre égard et pense de nous. Nous nous adressons alors des signes de « confirmation », comme l’avait supposé Martin Buber, que Ronald Laing préfère dénommer « collusion » : « Tu me donneras l’illusion que je suis ce que je veux être, et moi je ferai comme si tu étais ce que tu veux être » (Nœuds, 1970).

On peut s’étonner que cette nécessité de l’autre n’ait pas conduit plus tôt à une méditation sur le rôle de la différence sexuelle dans le rapport à autrui. Ce sont les anthropologues, entre autres Françoise Héritier (1933-2017), auteure des deux tomes de Masculin/Féminin (1996 et 2002), qui ont devancé les philosophes, bien timides sur ce plan.

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Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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Philippe GRANAROLO. AUTRUI (notions de base) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

GRANAROLO, P.. AUTRUI (notions de base). Encyclopædia Universalis. (consulté le )

GRANAROLO, Philippe. « AUTRUI (notions de base) ». Encyclopædia Universalis. Consulté le .

GRANAROLO, Philippe. « AUTRUI (notions de base) ». Encyclopædia Universalis [en ligne], (consulté le )

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