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RAISON

Le terme de raison – du latin ratio, qui désigne à l'origine le calcul pour prendre ensuite le sens de faculté de compter, d'organiser, d'ordonner – possède dans toutes les langues modernes une multitude d'acceptions qui, cependant, par des détours plus ou moins longs, peuvent être ramenées au sens premier. Une raison est ainsi un argument qui appuie une affirmation en la fondant selon un calcul logique. Un livre de raison est le livre de comptes d'une famille. Un homme raisonnable est celui qui tient compte des facteurs qui caractérisent la situation dans laquelle il est appelé à se décider et qui se décide alors en vue du résultat le plus favorable, soumettant ses penchants au calcul de ses intérêts. Partout, sauf dans quelques formules figées, comme « raison sociale », il s'agit d'une attitude ou d'une méthode qui s'opposent aux mouvements irréfléchis de la passion, du cœur, du sentiment.

Il n'est ainsi pas étonnant que le concept de raison joue un rôle essentiel, voire central, dans le domaine de la philosophie : encore les écoles qui s'opposent à la conception rationaliste et refusent de voir dans la « faculté » de raison ce qui caractérise l'homme, ce qui est seul capable de réaliser pleinement la nature humaine, sont déterminées par ce à quoi elles s'opposent. Cependant, le sens philosophique du mot n'est pas entièrement, et peut-être même pas principalement, fixé par ses liens avec le langage courant : depuis Cicéron, ratio sert également à traduire le terme grec logos, lequel, quoique à l'origine non étranger au sens de calcul, désigne, dès la naissance de la philosophie grecque, le discours cohérent, l'énonciation sensée et, en tant que telle, compréhensible, admissible, valable universellement. Il caractérise par la suite non seulement ce discours, mais également ce que ce discours révèle, les principes de ce qui est vraiment et non seulement donné dans une opinion individuelle et arbitraire, non universelle ou non universalisable. La raison reste bien ce qui caractérise l'homme, être parlant et pensant, mais elle spécifie tout autant le monde dont parle ce discours et dont il ne peut parler que parce que par sa nature il se prête au discours, parce qu'il est raisonnable. La raison cessera alors d'être simple faculté calculatrice (rôle qui échoit à l'entendement) pour devenir saisie directe de la réalité en soi, de l'Être en lui-même. Vu ainsi, le problème de la raison représente le moteur et le fil conducteur de l'histoire de la philosophie.

La raison comme discours sur l'Être

Bien longtemps avant qu'il ne soit question de philosophie, le rôle du discours est d'une importance capitale : le récit mythique, la formule religieuse ou magique, la révélation divine n'existent que dans le discours, ou plus précisément dans des discours dont chacun prétend à la vérité (quand il s'agit d'une révélation de la volonté divine) ou à l'efficacité (formules qui infléchissent les volontés des puissances cosmiques, sur-humaines) ; chacun est reconnu par la communauté particulière qui y adhère, et paraît faux, insensé, blasphématoire au jugement des autres (dans la mesure où elles en prennent connaissance), à telle enseigne que là où l'on ne peut éviter tout contact, seule la lutte peut et, souvent, doit décider.

Les Grecs et le développement de l'esprit rationnel

Si toute philosophie prend son origine en Grèce, c'est parce que les Grecs très tôt admettent, sans s'en scandaliser, que des discours, des croyances, des conceptions du monde, des morales concrètes diffèrent : il s'agit toujours d'hommes. On se met tout naturellement à la recherche d'un discours (d'une pensée) valable pour tous les hommes, du moins pour tous ceux qui veulent penser et découvrir dans et par la pensée[...]

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Pour citer cet article

Éric WEIL. RAISON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Platon - Athènes - crédits : AKG-images

Platon - Athènes

Autres références

  • RAISON (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 947 mots

    Les historiens de la philosophie sont très nombreux à avoir décrit la mutation intellectuelle qui s’est produite sur le sol de la Grèce antique comme un combat du « logos » contre le « muthos », autrement dit (en se souvenant que le mot grec logospossède de multiples significations)...

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par Miguel ABENSOUR
    • 7 899 mots
    • 1 média
    ...l'inadéquation entre les questions philosophiques et la possibilité de leurs réponses qui provient de la non-correspondance entre l'esprit et le réel. La fameuse formule hégélienne, « le réel est le rationnel » et inversement, n'est plus de saison. Car la clé de la raison n'est plus susceptible d'ouvrir...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...passion elle est supprimée. » Cette distinction fait écho à celle de l'anthropologie. Ce qui les distingue est leur rapport au temps, leur rapport à la raison et par là au sentiment du sublime – auquel correspond un affect du sublime. Alors que l'affect est fugace comme le temps qui s'écoule, et que...
  • ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

    • Écrit par Robert BOURGNE
    • 4 560 mots
    ...Hegel dans son enseignement –, une « restauration » de l'entendement. Si l'entendement séparé impose au savoir de s'autolimiter à l'univers du fini, la raison est, dans l'entendement même, négation de la finitude, mais cette négation ne s'arrache pas elle-même à la finitude. Il n'y aura pas d'autre...
  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...mouvement des sciences : Malebranche prendra grand soin de la distinguer de la philosophie, pour laquelle il n'y a pas d'autre autorité que la raison. Pouvait-on cependant reconnaître cette dernière sans admettre la pérennité de la vérité – et déplacer alors les prétentions de la théologie...
  • Afficher les 84 références

Voir aussi