Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VOLONTÉ

Le concept de volonté présente les aspects psychologiques d'un problème dont la dimension philosophique est exprimée par le concept de liberté. L'analyse du concept de volonté doit donc commencer par un parcours des contextes philosophiques successifs dans lesquels ce concept a été inséré, afin d'expliciter et d'isoler le noyau de la description psychologique.

Le contexte « éthique » : Aristote

C'est d'abord dans le cadre d'une éthique que, pour la première fois, Aristote a conçu une analyse – subordonnée mais néanmoins distincte – du volontaire et de l'involontaire. Cette analyse, recueillie dans le livre III de l'Éthique à Nicomaque, contient en germe, outre les développements que lui donneront la psychologie médiévale et celle du xviie siècle cartésien, l'annonce d'une conjonction possible entre analyse phénoménologique et analyse linguistique, sur laquelle on reviendra plus loin. La description du noyau volontaire de l'action humaine supposait, en effet, des choix de nature sémantique, opérés sur le vif de la langue grecque, telle que l'avaient forgée les poètes et les orateurs. C'est ainsi qu'Aristote commence par délimiter la sphère des actes que nous faisons de « plein gré », pour les distinguer de ceux qui sont « contre le gré » de l'agent.

Cette réflexion avait été préparée par les auteurs tragiques. Ainsi, Sophocle, dans Œdipe à Colone, montre le héros méditant après coup sur le drame précédent d'Œdipe roi et lui fait dire que c'est « contre son gré » qu'il a commis les monstrueux forfaits qui l'ont conduit à la ruine, mais que c'est de « plein gré » qu'il a résisté à la découverte de la vérité. Euripide, le plus grand des tragiques grecs, tient que Phèdre est livrée « contre son gré » à sa passion. Quant aux orateurs, c'est d'une part devant le tribunal, d'autre part devant les assemblées politiques qu'ils forgent un langage de la responsabilité et de la décision : il s'agit, en effet, d'introduire des distinctions fines et des degrés dans la qualification des délits et des crimes, là où la tradition religieuse oppose massivement le pur et l'impur. Il s'agit aussi de cerner le moment de la délibération et du choix dans le jeu de parole des assemblées et d'extraire du contexte politique un modèle de la prise de décision. C'est ainsi que la théorie de la volonté est liée dès l'origine à l'évolution du droit pénal et à la réflexion politique.

C'est sur ce fond que se détache le travail conceptuel auquel procède Aristote. Celui que le Moyen Âge appellera « le philosophe » commence par délimiter le cercle du « plein gré », en définissant par la contrainte extérieure et par l'ignorance des circonstances ce qui est fait « contre le gré » de l'agent ; est donc fait de « plein gré » ce qui dépend de celui qui agit et ce qu'il fait « le sachant » ; la tradition, après Aristote, continuera de définir le volontaire à la fois par l'intériorité de la cause et par la connaissance des circonstances de l'action.

À l'intérieur de ce cercle du « plein gré », Aristote trace le cercle de rayon moindre des actes faits « par préférence ». La délimitation de ce concept est l'œuvre propre d'Aristote ; elle réglera, à travers les traductions latines, notre concept de décision ou de choix. Aristote lui applique sa méthode d'analyse et de définition par genre prochain et par différence spécifique. Le genre prochain de la décision est le « souhait », c'est-à-dire le domaine de l'optatif (qui, en grec, s'exprime par un mot de même racine que le verbe « vouloir » et dont l'expression française « je voudrais bien » retient quelque chose). Le souhait est bien de la même[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

Pour citer cet article

Paul RICŒUR. VOLONTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALIÉNATION

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 8 006 mots
    ...droit, ce même Hegel qui est par ailleurs responsable de l'extension de la notion, mais dans une autre direction, qui sera examinée à son tour. Les Principes de la philosophie du droit incorporent à une philosophie de la volonté, c'est-à-dire de la liberté réalisée, la notion du contrat d'échange...
  • AUGUSTIN saint (354-430)

    • Écrit par Michel MESLIN
    • 8 969 mots
    • 2 médias
    ...essentiellement fondée sur l'idée que la grâce est une délectation céleste. Elle constitue l'appel à un tel bonheur qu'elle entraîne l'adhésion de la volonté de l'homme. En d'autres termes, l'amour de Dieu, que la grâce propose, peut seul entraîner l'adhésion de la volonté. Et dans l'analyse de ce ...
  • AUTONOMIE

    • Écrit par François BOURRICAUD
    • 4 123 mots
    ...était confondue avec Dieu lui-même, ou bien elle était présentée comme un ensemble de dispositions psychologiques à peu près permanentes et universelles. Mais, dans la variante psychologiste comme dans la variante théologique, la loi est un donné devant lequel doit s'incliner la volonté individuelle.
  • BIEN, philosophie

    • Écrit par Monique CANTO-SPERBER
    • 6 623 mots
    • 1 média
    ...vouloir et qui rendent réellement heureux. Ils ne sont pas voulus par tous, mais sont dignes d'être voulus. Ces biens sont des valeurs intrinsèques. La bonne volonté, au sens où la définit Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) et dans la Critique de la raison pure (1781),...
  • Afficher les 31 références

Voir aussi