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FINITUDE

Dans la philosophie grecque, fini et infini forment couple ; ils rendent compte de deux aspects du réel. Le fini, c'est le degré de détermination d'une notion ou d'une chose, ce qui fait qu'elle a un caractère précis, achevé dans son ordre. L'infini, c'est le degré d'indétermination d'une notion ou d'une chose, ce qui fait qu'elle comporte une part d'inconnu, de mystère, par excès ou par défaut, après tous les efforts de l'analyse pour cerner sa signification ou son essence. L'Antiquité grecque accordait plus de prix au fini, en raison des possibilités de prise et de maîtrise qu'il offrait : le fini, c'est l'ordre, la mesure, la proportion, l'harmonie ; l'infini, c'est le désordre, la démesure, la disproportion, le manque d'harmonie. Cependant, la dernière période de la philosophie antique renverse la priorité. Pour Plotin, l'infini revêt un sens positif quand il désigne un principe de production capable d'engendrer une série de termes ; le principe est alors illimité par rapport aux termes qui en dérivent et qui sont limités ; le principe suprême est absolument illimité, indéterminé et indéterminable, mais son illimitation est supérieure à toute limitation, elle est féconde, elle fait procéder toutes les déterminations de l'être ; en regard, les termes dérivés, quels qu'ils soient, sont tous limités, composés, et ils lui sont inférieurs, quoique finis, achevés, définis ; Plotin admet d'autre part une indétermination (infinité) de la matière, inversement symétrique de l'infinité du principe ; mais cette indétermination est stérile, elle est absence de formes par opacité, inertie, défection, tandis que le principe premier fait jaillir toutes les formes.

La théologie et la philosophie chrétiennes ont repris à leur compte cette réhabilitation de l'infini. Mais elles n'ont retenu, ou retrouvé, qu'une partie de la leçon. Pour elles, l'infini, c'est la plénitude de l'être ; pour Plotin, l'indétermination suprême était celle de l'Un, non de l'Être. L'infini des chrétiens est synonyme d'absolu, de parfait, d'omniscient, de tout-puissant : il est l'indépassable, il est Dieu. Les Modernes, même non chrétiens, ont hérité de cet usage. Hegel a distingué le bon infini du mauvais, l'infini de l'indéfini, l'infini en compréhension de l'infini en extension. Seule la philosophie contemporaine, spécialement Heidegger, amorce un retour au fini. Ce qui est pensé par elle sous le terme de finitude, c'est le tragique de la condition humaine, sa limitation, sa contingence, sa précarité, et la vanité de tout effort pour échapper en imagination au statut de l'homme, qui est d'être mortel et de concevoir à échéance ses projets comme interrompus, comme rompus.

En mathématiques, fini et infini ont des acceptions nombreuses et diverses (nombre fini, grandeur finie, nombres infinis, ensemble infini, infiniment grand, infiniment petit, infini relatif, transfini, infini absolu, infini négatif, infini positif). Chacune de ces acceptions fait l'objet d'une définition stricte, qui peut varier selon les auteurs.

— Henry DUMÉRY

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Henry DUMÉRY. FINITUDE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

    • Écrit par Robert BOURGNE
    • 4 560 mots
    ...l'entendement. Si l'entendement séparé impose au savoir de s'autolimiter à l'univers du fini, la raison est, dans l'entendement même, négation de la finitude, mais cette négation ne s'arrache pas elle-même à la finitude. Il n'y aura pas d'autre transcendance que celle du refus. « Penser, c'est dire...
  • BRUNO GIORDANO (1548-1600)

    • Écrit par Jean SEIDENGART
    • 5 290 mots
    La révolution intellectuelle que G. Bruno tenta d'opérer pour repenser les rapports de l'infini et du fini n'est qu'un effort d'unification de la pensée, sans concession à quelque autorité que ce soit.
  • CONTINGENCE

    • Écrit par Bertrand SAINT-SERNIN
    • 4 900 mots
    ...liberté prennent le mot de contingence en deux acceptions principales : celui-ci renvoie ou bien à la liberté humaine comme à son fondement, ou bien à la finitude humaine comme à sa source. Le lien entre finitude et contingence est le suivant : quand nous prenons une décision individuellement ou en groupe,...
  • DIEU - La négation de Dieu

    • Écrit par Jeanne DELHOMME
    • 9 170 mots
    Il n'est pas compris dans l'idée d'un être fini qu'il ne possède pas ce pouvoir, qu'enfermé en lui-même comme dans un enclos entouré de barrières il ne puisse, par essence et par nature, en sortir ; opposer une définition à une autre, une idée à une autre idée, le fini à l'infini, l'imparfait au parfait...
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Voir aussi