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ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

Philosophe et écrivain, Alain se fit connaître en son temps comme journaliste et comme professeur. Il demeure dans l'histoire littéraire le créateur d'un genre particulier, exigeant et exigu : le propos, forme applicable à tout contenu soumettant le développement de la pensée à la loi de l'écriture, et qui est à la prose ce que la fable est à la poésie. Quoique distinct de la maxime et opposé à l'aphorisme, le Propos d'Alain, par sa concision affirmative et par la réitération d'une réflexion recommencée plutôt que continuée, a fait ranger son auteur comme essayiste et moraliste de la tradition française. La notoriété historique d'Alain a tenu à la connivence entre une frange émancipée de la société française et quelques-uns des thèmes majeurs de sa pensée : le pacifisme de Mars ou la Guerre jugée, le radicalisme (résistance dans l'obéissance) du citoyen – « contre les pouvoirs » parce qu'il est gardien des pouvoirs –, l'optimisme éthique dans la peinture de l'homme, le matérialisme méthodique des Entretiens au bord de la mer, l'interprétation humaniste de l'art et de la religion, etc. Son influence tint aussi à l'attraction directe ou indirecte qu'Émile Chartier exerça comme maître à penser, en particulier dans sa chaire de première supérieure au lycée Henri-IV, sur des générations de lycéens, de khâgneux et d'élèves de l'École normale supérieure (de Jean Prévost à Simone Weil, d'André Maurois à Georges Canguilhem).

Philosophe d'abord

Le rapport d'Alain à la philosophie fut immédiat par la rencontre d'un professeur, modeste autant que rare, qui exerçait pour lui-même et devant quelques bacheliers la puissance propre à l'esprit. Le jeune Émile, boursier d'Alençon qui à la rentrée d'octobre 1886 débarquait provincialement dans un Paris agité par le boulangisme, n'ayant d'autre ambition que d'entrer à l'École normale supérieure dont il venait préparer le concours au lycée de Vanves (toujours interne et boursier), se trouva, par le hasard de la classe de philosophie, en face d'un homme qui changea en lui toutes les évaluations et qui fut le seul maître vivant que ce sauvage et vigoureux enfant de Mortagne-au-Perche se soit reconnu : Jules Lagneau, « philosophe profond mais qui n'a guère écrit », et dont la survivance spirituelle fut l'œuvre de ses élèves. Les Souvenirs concernant Jules Lagneau conservent la marque que cette rencontre imprima dans Alain : « À vingt ans, j'ai vu l'esprit dans la nuée [...] faire que cela n'ai point été et que le reste ne soit comme rien à côté, c'est ce que je ne puis. » De ce maître il tiendra l'oracle indéfiniment interrogé : « Il n'y a qu'un fait de pensée qui est la Pensée. » Le précepte de la méthode réflexive, qui en dérive – retrouver toute la pensée en chaque pensée –, définit la tâche du véritable philosophe, le métaphysicien. Ainsi le futur Alain partit pour philosopher avec Platon et Spinoza sous l'aspect de l'éternel, ayant appris par là – chose plus cachée – que l'éternel n'achève rien, ne garantit rien, surtout pas le triomphe d'une vérité qui serait la vérité et que, selon le mot de Lagneau, « il n'y a qu'une vérité absolue, c'est qu'il n'y a pas de vérité absolue ».

La guerre fut la seconde et décisive rencontre qui ébranla la vie d'Alain. Épreuve de la servitude absolue et expérience du mensonge enthousiaste au nom de la patrie. De là s'est nourri son pacifisme intransigeant, bien connu et mal compris, parce qu'on n'a su l'interpréter qu'en le référant aux situations historiques dans lesquelles Alain s'est trouvé. Plus généralement, on n'a su que l'embrasser ou le combattre, alors[...]

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Pour citer cet article

Robert BOURGNE. ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALAIN, LE PREMIER INTELLECTUEL (T. Leterre)

    • Écrit par Jean Marie GOULEMOT
    • 1 012 mots

    Le livre de Thierry Leterre Alain, le premier intellectuel (2006) est une biographie et répond aux lois du genre, comme le veut la collection Biographies, chez Stock. Il en possède les qualités : critique des témoignages, utilisation de documents inédits (journaux intimes et correspondances inédits,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ... qu’ils prennent d’eux-mêmes ? « Tous les arts sont des miroirs où l’homme connaît et reconnaît quelque chose de lui-même qu’il ignorait »,écrit Alain (1868-1951). Jusqu’où cependant faut-il valoriser cette fonction de l’art, et cette valorisation n’est-elle pas dangereuse ?
  • CONSCIENCE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 718 mots
    ...prétendre égaler la puissance irréfutable de mes impressions subjectives. C’est ce qui explique pourquoi les penseurs qui se réclameront de Descartes, tel Alain (1868-1951) au xxe siècle, ne sauraient accorder la moindre place à un quelconque inconscient. Pour Alain, l’inconscient n’est rien d’autre que...
  • DREYFUS (AFFAIRE)

    • Écrit par Vincent DUCLERT
    • 4 892 mots
    • 3 médias
    ...se reproduise l'adhésion du plus grand nombre à la propagande nationaliste et antisémite, de jeunes intellectuels comme Daniel Halévy ou le philosophe Alain s'engagèrent dans le mouvement des universités populaires, lancèrent des revues, animèrent des sections de la Ligue et, pour certains, militèrent...
  • INCONSCIENT (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 276 mots
    ...s’il en est bien ainsi, l’inconscient qui procède à ces métamorphoses est alors plus conscient que le conscient ! C’est précisément ce que reprochera le philosophe Alain (1868-1951) aux conceptions freudiennes. Pour Alain, l’inconscient est une fiction, celle d’un « un autre Moi », « une méprise sur le...
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Voir aussi