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ANCIENS ET MODERNES

Historiquement, et particulièrement pour le lecteur français, l'expression « Anciens et Modernes » renvoie à une fameuse querelle littéraire, sous le règne de Louis XIV, entre partisans de la supériorité des Anciens, les auteurs de l'Antiquité, et leurs adversaires, convaincus d'un progrès dans les arts qui donne nécessairement au temps présent l'avantage sur le passé. Paradoxes : alors que les premiers sont aujourd'hui communément considérés comme les grands écrivains de leur époque (Racine au premier rang) et donc aussi les plus représentatifs de cette dernière, il ne fait guère de doute que la conception opposée a durablement dominé les esprits, jusqu'à l'exigence rimbaldienne : « Il faut être absolument moderne. » Cet impératif de la modernité, serait-il vécu contradictoirement par ceux qu'Antoine Compagnon a appelé « les Antimodernes » – à commencer par celui qui a imposé le terme : Baudelaire –, fait de la littérature et des arts plastiques le laboratoire d'un « temps moderne » (Levent Yilmaz) qui est encore le nôtre, c'est-à-dire un temps de l'histoire, du devenir, et non plus de la renaissance ou de l'imitation. La conception progressiste a triomphé avec la notion d'avant-garde et l'esthétique radicale d'un Clement Greenberg. Lui résistent les tentatives réitérées d'un « classicisme moderne » (dont le néo-classicisme) et, pour finir, l'expression philosophique d'une « condition postmoderne » (Jean-François Lyotard) avec ses innombrables avatars artistiques. Souligner le sens que l'on peut dire archéologique de la Querelle des Anciens et des Modernes, c'est montrer tout l'intérêt de son étude, aussi bien dans le champ littéraire (Boileau contre Perrault, la querelle du merveilleux chrétien, la querelle d'Homère) que dans le champ artistique (Fréart de Chambray).

Littérature

Pétrarque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pétrarque

Le terme « moderne » est calqué sur le latin modernus, ce qui est « à la mode », actuel. Il peut être employé de manière dépréciative, pour qualifier l'éphémère et partant le superficiel, la valeur étant dans ce cas associée à la durée, voire à l'éternité. C'est ainsi que Pétrarque (1304-1374), par exemple, appelait Modernes les doctes de son époque, trop imprégnés du latin de la scolastique et pas assez des belles-lettres de l'Antiquité. Mais avec les Temps dits modernes (soit, dans la terminologie des historiens, la période qui va de la Renaissance à la Révolution française) s'affirme une supériorité du présent sur le passé : celle des mathématiciens, physiciens, chimistes (Descartes, Galilée, Newton, Lavoisier), d'accord avec Pétrarque, paradoxalement, pour rejeter dans les ténèbres du Moyen Âge la science qui les a précédés. Ainsi Pétrarque a-t-il mérité le nom de « premier homme moderne » (Renan), en se plaçant dans un entre-deux du temps et, selon ses propres mots, « aux confins de deux peuples, regardant à la fois en avant et en arrière ». Cette ambivalence se retrouve dans un lieu commun énoncé dès le xiie siècle, et attribué à Bernard de Chartres : « nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants ». Faut-il y lire la supériorité des Modernes, qui voient plus loin que les Anciens ? ou au contraire leur nécessaire infériorité, qu'ils ne compensent que grâce à ceux-là même qu'ils ne pourront jamais égaler ?

Les deux cultures

À la différence des humanistes, les inventeurs de ce que nous appelons aujourd'hui les sciences exactes ne nourrissent aucun complexe à l'égard de l'Antiquité. Conscients des progrès qu'ils réalisent, ils les expriment dans les langues vulgaires et délaissent progressivement le latin, réservé, écrit Descartes dans le Discours de la méthode (1637), « à ceux qui ne croient[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
  • : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2

Classification

Pour citer cet article

Milovan STANIC et François TRÉMOLIÈRES. ANCIENS ET MODERNES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Pétrarque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pétrarque

Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, H. Rigaud - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, H. Rigaud

Nicolas Boileau - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Nicolas Boileau

Autres références

  • ART CONTEMPORAIN

    • Écrit par Yves MICHAUD, Raymonde MOULIN
    • 12 432 mots
    • 4 médias
    Il faut remonter aussi loin que l'Antiquité tardive (ve siècle après J.-C.) pour voir apparaître le terme demoderne. Il sert d'abord à marquer la frontière de l'actualité par rapport à l'antiquitas des pères ou des Anciens. C'est à partir du moment où on conçoit la culture...
  • LES ANTIMODERNES (A. Compagnon) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
    • 1 018 mots

    Depuis que l'on a proclamé la fin des avant-gardes, la modernité a été périodiquement l'objet de débats où se mêlent mises en accusation et plaidoyers teintés de nostalgie. Professeur de littérature à la Sorbonne et à Columbia University, Antoine Compagnon a déjà consacré plusieurs...

  • LITTÉRATURE - Du texte à l'œuvre

    • Écrit par Alain VIALA
    • 6 945 mots
    ...théorie et pratiques ont résulté des tensions dans le champ littéraire alors en formation. Elles se sont manifestées notamment à travers la querelle des Anciens et des Modernes. D'extension européenne, sensible en Italie et en Angleterre, c'est en France qu'elle a eu son principal foyer. D'empan culturel...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.

    • Écrit par Frank LESTRINGANT
    • 6 760 mots
    • 3 médias
    ...communication à l’être » (II, 12). Montaigne voit dans la prolifération des commentaires un symptôme du dérèglement de son temps (III, 13). D’où la supériorité des Anciens sur les Modernes, lesquels sont capables au mieux de greffer leurs gloses sur les écrits des premiers, non de leur substituer des œuvres comparables...

Voir aussi