Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FORME

L'histoire du concept de forme et des théories de la forme est des plus singulières. Nous vivons dans un monde constitué de formes naturelles. Celles-ci sont omniprésentes dans notre environnement et dans les représentations que nous nous en faisons. Et pourtant, jusqu'à une époque récente, on ne disposait d'aucune science morphologique à proprement parler. Ce n'est que vers la fin des années 1960 qu'on a commencé à comprendre de quel concept de naturalité et d'objectivité l'on fait usage lorsqu'on parle de formes naturelles objectives. Jusque-là, un insurmontable obstacle épistémologique (au sens de Bachelard) faisait obstruction à une telle compréhension. La raison en est d'ailleurs assez simple. Tenter de développer une théorie objective (donc compatible, sinon réductible, à des contenus physiques) des formes, c'est chercher à généraliser l'objectivité physique en direction d'une « ontologie qualitative ». Or, d'une façon ou d'une autre, toute ontologie qualitative est néo-aristotélicienne. Mais, précisément, le concept moderne d'objectivité physique s'est édifié à partir d'un concept mécaniste (galiléen-newtonien) qui rompait avec la tradition aristotélicienne (ce que l'on a appelé la « coupure épistémologique »). Le développement physico-mathématique d'une mécanique des forces a, pendant environ trois siècles, totalement fait écran à toute dynamique des formes. La conséquence en a été que le concept de forme a été pensé de façon alternative. L'impossibilité où l'on croyait être d'en théoriser les aspects objectifs a conduit à en théoriser les aspects subjectifs. Tel a été le cas dans les approches psychologiques (de la Gestalt-théorie aux sciences cognitives contemporaines), dans les approches phénoménologiques (de Husserl à Merleau-Ponty et aux reprises actuelles de certains thèmes husserliens) ou dans les approches sémantiques et sémio-linguistiques. Ainsi s'est installée l'évidence (fallacieuse) d'un conflit irréductible entre une phénoménologie des formes et une physique de la matière. Ce n'est qu'à une époque récente qu'on a commencé à comprendre les processus permettant à la matière de s'organiser et de se structurer qualitativement en formes.

Forme et phénomène

Nous ne traiterons de façon systématique ni de l'histoire métaphysique du concept de forme depuis Aristote, ni de ses innombrables usages disciplinaires en logique, en linguistique, en sémiotique structurale, en esthétique et dans les sciences humaines en général. Nous nous restreindrons au problème de la compréhension théorique des formes naturelles. Ces formes sont innombrables, physico-chimiques (cristaux, flammes, turbulences, nuages, réactions chimiques oscillantes, ondes chimiques, transitions de phases, défauts dans les cristaux liquides, etc.) ou biologiques (plantes, animaux, etc.). Avant de chercher à en penser le statut objectif, il est bon de les décrire comme de purs phénomènes.

Description phénoménologique

Les formes naturelles se manifestent. Elles sont des constituants fondamentaux de la façon dont le monde externe nous apparaît. Pour en donner une description phénoménologique en tant que données originaires, on peut préciser des descriptions déjà proposées par Husserl et les premiers gestalt-théoriciens (Stumpf, Meinong, von Ehrenfels...). Une forme sensible F donnée dans l'espace extérieur E occupe une certaine portion W de E (nous prenons des notations qui nous seront utiles plus bas). Ce domaine d'occupation – que Husserl appelait le « corps spatial » de la forme – est limité par un bord B = ∂W. Il est en outre rempli par des qualités sensibles q1, ..., qn, les biens connues « qualités secondes » de la tradition philosophique, qualités s'opposant[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

Classification

Pour citer cet article

Jean PETITOT. FORME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACOUSMATIQUE MUSIQUE

    • Écrit par François BAYLE
    • 7 820 mots
    • 4 médias
    ...chez René Thom, qui d'ailleurs a cité volontiers ce sémiologue du xixe siècle, précurseur d'une conception qualitative du monde : «  Les phénomènes qui sont l'objet d'une discipline [...] apparaissent comme des accidents de formes définis dans l'espace substrat de la...
  • CRASSET MATALI (1965- )

    • Écrit par Christine COLIN
    • 928 mots
    À ce temps « réel » fait écho un lieu qui ne l'est pas : « La forme est une plate-forme » déclare Matali Crasset. Si on place cette phrase dans la continuité des célèbres aphorismes qui ont véhiculé les théories du design au cours des deux siècles derniers, tels que « l'outil crée la forme...
  • DESCRIPTION ET EXPLICATION

    • Écrit par Jean LARGEAULT
    • 9 388 mots
    • 1 média
    ...d'effet qui en soit distinct, on pourrait seulement parler de son déploiement dans le temps. Aristote et saint Thomas n'assignent pas d'efficace à la forme seule. La forme n'agit pas ; c'est une substance qui agit par sa forme ou suivant sa forme. De même pour Leibniz et Euler, les principes d'optimum...
  • DESIGN

    • Écrit par Christine COLIN
    • 8 028 mots
    • 1 média
    ...théories élaborées par des praticiens. Les aphorismes, ces théories abrégées véhiculées par ces derniers, en permettent un rapide survol. « L'outil crée la forme » peut être considéré comme un héritage du rationalisme du xixe siècle ; « la forme suit la fonction », attribué à l'architecte américain...
  • Afficher les 29 références

Voir aussi