Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FORME

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

La subjectivisation du concept de forme

L'ambivalence « physique / phénoménologique / sémiotique » du concept de forme a constitué depuis Kant un véritable nœud gordien de l'épistémologie. Celui-ci a en général été tranché en faisant dépendre le concept de forme d'une instance subjective (individuelle ou sociale) : perception, langage, concept, sens. Autrement dit, la phénoménalisation de l'objectivité physique en formes manifestées a été conçue comme un processus sans réel contenu objectif.

Le vitalisme structuraliste et sémiotique

Avant d'exposer brièvement divers aspects de ces entreprises de subjectivation, il est bon de dire quelques mots sur le vitalisme du xixe siècle. Après Kant, et en particulier en rapport avec la Naturphilosophie schellingienne, un certain nombre de penseurs en sont revenus à une position aristotélicienne-leibnizienne en tentant d'élargir le concept objectif de Nature. Un cas exemplaire est celui des travaux sur la morphogenèse végétale que Goethe poursuivit de 1770 jusqu'à sa mort en 1832. Goethe ne cherchait pas tant à comprendre les bases physico-chimiques de la biologie végétale que le principe organisateur interne responsable de la manifestation morphologique des plantes. Comme Geoffroy Saint-Hilaire, il pensait que le problème théorique central de la biologie était de clarifier l'origine des connexions spatiales reliant les parties dans un tout organique. Transgressant le verdict de la Critique de la faculté de juger, il a admis un principe entéléchique a priori présidant à la formation des « fins naturelles ». Selon ce principe, des forces organisatrices internes idéelles (des formes substantielles dynamiques) se déploient spatio-temporellement lors des processus de morphogenèse et engendrent l'unité concrète, réelle et perceptible des organismes. L'entéléchie goethéenne est un concept intuitif et viole par conséquent la séparation transcendantale entre concept et intuition.

La réponse goethéenne à l'aporie de la forme est en partie spéculative (« romantique »). Elle nie que la connaissance exige de nier l'intériorité substantielle de la Nature. Ainsi que l'a remarqué Ernst Cassirer, les post-kantiens, tel Schelling, ont pensé la forme et l'organisation en tant que liberté (objectivement inconditionnée) devenue immanente au phénomène, en tant qu'autonomie incarnée dans l'être-là sensible. Appliqué à la biologie, ce réalisme sémiotique a conduit au vitalisme. Mais, très vite, ce dernier est devenu le terrain privilégié de réactivations « métaphysiques » spiritualistes et idéologiques qui l'ont discrédité. C'est pourquoi il fut condamné publiquement à Berlin, en 1899, au soixante-douzième Naturforschertag. Mais le fatras dialectique ou théosophiste qu'il a charrié ne doit pas faire oublier l'importance cruciale de la problématique de la forme chez des esprits aussi éminents que Brentano (le père fondateur de la phénoménologie et de la gestalt-théorie), Friedrichs (le fondateur de l'écologie) ou des biologistes comme Driesch, Spemann, d'Arcy Thompson ou Waddington.

D'ailleurs, Goethe reste moins spéculatif que Schelling. Il s'en tient à une description phénoménologique et sémiotique de l'apparaître morphologique. Il restreint le principe entéléchique à l'Erscheinung. Son idée centrale est que l'apparaître morphologique manifeste une expressivité qui affecte sémiotiquement le sujet et doit être décrite dans un langage symbolique approprié. Les formes ne sont pas seulement des phénomènes, c'est-à-dire des représentations à objectiver en objets d'expérience conformément à une légalité transcendantale. Ce sont également des signes, des présences traductibles en symboles. Dans un jeu subtil entre Bildung et Gestaltung[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

Classification

Pour citer cet article

Jean PETITOT. FORME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ACOUSMATIQUE MUSIQUE

    • Écrit par
    • 7 820 mots
    • 4 médias
    ...chez René Thom, qui d'ailleurs a cité volontiers ce sémiologue du xixe siècle, précurseur d'une conception qualitative du monde : «  Les phénomènes qui sont l'objet d'une discipline [...] apparaissent comme des accidents de formes définis dans l'espace substrat de la...
  • CRASSET MATALI (1965- )

    • Écrit par
    • 928 mots
    À ce temps « réel » fait écho un lieu qui ne l'est pas : « La forme est une plate-forme » déclare Matali Crasset. Si on place cette phrase dans la continuité des célèbres aphorismes qui ont véhiculé les théories du design au cours des deux siècles derniers, tels que « l'outil crée la forme...
  • DESCRIPTION ET EXPLICATION

    • Écrit par
    • 9 388 mots
    • 1 média
    ...d'effet qui en soit distinct, on pourrait seulement parler de son déploiement dans le temps. Aristote et saint Thomas n'assignent pas d'efficace à la forme seule. La forme n'agit pas ; c'est une substance qui agit par sa forme ou suivant sa forme. De même pour Leibniz et Euler, les principes d'optimum...
  • DESIGN

    • Écrit par
    • 8 028 mots
    • 1 média
    ...théories élaborées par des praticiens. Les aphorismes, ces théories abrégées véhiculées par ces derniers, en permettent un rapide survol. « L'outil crée la forme » peut être considéré comme un héritage du rationalisme du xixe siècle ; « la forme suit la fonction », attribué à l'architecte américain...
  • Afficher les 29 références