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ACOUSMATIQUE MUSIQUE

Commençons par un retour en arrière, « à l'orée du demi-siècle » (Pierre Schaeffer), cette irruption, la musique concrète.

Née de la rencontre fortuite de la radio et de la musique, fille issue de l'union de deux façons d'écouter, cette forme d'art – à lire les épais classeurs d'archives de presse des années 1950 – eut un immense retentissement : public étonné, excité, divisé, commentateurs mis en verve par le caractère à la fois scandaleux et imaginatif des procédés et des effets, tour à tour prenants et exaspérés, primitifs et raffinés.

Le répertoire du théâtre et de la musique, arts adultes consacrés, se voyait non seulement transporté mais transposé par le médium radiophonique, encore dans l'enfance, bien rudimentaire et déjà suffisamment efficace comme instrument de pouvoir psychique.

De nouvelles propriétés surgissaient, telles que la capacité évocatrice des bruits, l'effet du gros plan sonore, le grain de la voix, la radiogénie – complément de la photogénie –, affirmant par leur prégnance la possibilité d'une civilisation des images, aussi bien sonores que visuelles.

Il convient d'évoquer un instant le contexte de l'époque, ce moment d'après guerre, en France, où la transmission radiophonique jouissait d'un crédit d'écoute considérable, dû peut-être au rôle clandestin et prestigieux qui fut le sien pendant la période de la Résistance (déjà l'occultation acousmatique !). La radio constituait tout naturellement un outil à la fois populaire et culturel, un pôle d'attraction conjuguant tradition et modernité. Le Club d'essai de la Radiodiffusion française, premier laboratoire des médias, marquait cette période, défrichait le terrain vierge, préfigurait l'avenir – actuel et prochain (avec Jacques Copeau, Pierre Schaeffer, Albert Olivier, respectivement fondateurs de l'art radiophonique, de la recherche musicale, de la télévision, pour ne citer que ces trois noms).

Cependant, dans cette préfiguration, l'avant-garde musicale n'occupait qu'une place des plus modestes, que l'artisanat du son allait subvertir en mélangeant sauvagement acoustique et musique, médium et message (et même massage, pour reprendre le mot de Marshall McLuhan). À ce moment, la modernité musicale se préoccupait d'une autre bataille, apparemment sans relation avec celle-ci, et liquidait un problème d'héritage, avec Edgar Varèse et les futuristes d'un côté, les trois Viennois – Schönberg, Berg et Webern – de l'autre.

On sait que ces derniers l'emportèrent cette fois-là et que les années 1950 s'enlevèrent sur l'espoir d'une nouvelle pensée de la musique, surdéterminée, anti-expressive, faite pour déplacer la perception, la construire hors de ses bases faciles. Au point que même le néoclassicisme de Igor Stravinski en fut ébranlé et que celui-ci s'y engagea pour toute la dernière période de sa production.

Cependant, cet espoir, sitôt conçu, ne manqua pas d'engendrer, avec une rare malice dialectique, un ensemble de courants et de contre-courants enchevêtrés. D'une part, la jeune école de Darmstadt propulsait avec intransigeance sur l'orbite planétaire les noms nouveaux de Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen (cautionnés par Olivier Messiaen), ainsi que Luciano Berio, Luigi Nono, Henri Pousseur, Bruno Maderna, dans la mouvance wébernienne d'un espace constellé de paramètres. D'autre part, John Cage et le mouvement américain des peintres et de la danse (Robert Rauschenberg, Merce Cunningham) introduisaient l'indétermination préméditée, et non moins radicale. Dans le même temps, la technique électroacoustique naissante jetait les bases des musiques concrètes ou électroniques, antagonistes quoique également expérimentales : Pierre Schaeffer, Pierre[...]

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Écrit par

  • : directeur du Groupe de recherches musicales de l'Institut national de l'audiovisuel, responsable de l'Acousmathèque

Classification

Pour citer cet article

François BAYLE. ACOUSMATIQUE MUSIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Projections auditives - crédits : Encyclopædia Universalis France

Projections auditives

Articulation extérieur-intérieur - crédits : Encyclopædia Universalis France

Articulation extérieur-intérieur

Relations acousmatiques - crédits : Encyclopædia Universalis France

Relations acousmatiques

Autres références

  • BAYLE FRANÇOIS (1932- )

    • Écrit par Brigitte MASSIN
    • 498 mots

    L'originalité de la démarche du compositeur François Bayle tient en ceci que toute son activité musicale se déploie autour de la musique électroacoustique ou, plus exactement, suivant une expression qui lui est personnelle, est vouée à l'exploration du monde « acousmatique ». Vaste domaine au sein...

  • BRUIT, musique

    • Écrit par Alain FÉRON
    • 1 512 mots

    Les compositeurs ont toujours manifesté un intérêt pour les sonorités étranges, pour des timbres agressifs, pour des combinaisons sonores originales considérées comme expression musicale à part entière, et l'utilisation du bruit – ou, plus généralement, des bruits – dans les œuvres musicales est une...

  • DHOMONT FRANCIS (1926-2023)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 1 519 mots
    ...Jünglinge (Chant des adolescents) de Karlheinz Stockhausen, que ces deux genres vont fusionner : on parlera désormais de musique électroacoustique. Quelle est la différence entre musique électroacoustique et musique acousmatique ou électroacousmatique ? François Bayle affirme qu'une musique électroacoustique...
  • SCHAEFFER (P.) ET HENRY (P.) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 384 mots

    14 août 1910 Pierre Schaeffer naît à Nancy.

    9 décembre 1927 Pierre Henry naît à Paris.

    1942 Pierre Schaeffer fonde le Studio d'essai au sein de la Radiodiffusion française.

    1948 Naissance de la musique concrète au sein du Studio d'essai, confié à Pierre Schaeffer par la Radio télévision...

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Voir aussi