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FORME

Le programme de recherche d'une morphodynamique

À partir de résultats physiques aussi fondamentaux que ceux que nous venons d'évoquer, René Thom a proposé, dès les années soixante-dix, le vaste programme de recherche d'une morphodynamique visant à comprendre physico-mathématiquement l'origine des formes naturelles et à refonder à partir de là l'ensemble des approches perceptives, cognitives, sémantiques, phénoménologiques, sémiolinguistiques du concept de forme.

Les modèles morphodynamiques

Revenons à la description phénoménologique des formes-phénomènes proposée plus haut. L'idée directrice est de faire l'hypothèse que, en chaque point w du substrat matériel W, il existe un processus physique déterminant un régime local (analogue à une phase thermodynamique). Ces régimes locaux se manifestent phénoménologiquement (comme les phases) par des qualités sensibles. Les morphologies engendrées par les discontinuités qualitatives sont alors traitées comme l'analogue de transitions de phases. Émergeant de « l'intériorité » physique des substrats, elles sont véhiculées comme information « écologique » par les médias lumineux, sonores, etc., et sont appréhendées par le système perceptif et cognitif. C'est sur cette base qu'on peut développer une phéno-physique se transformant d'elle-même en une phénoménologie réaliste (écologique).

De façon générale, soit S un système quelconque conçu comme une « boîte noire » (black box). Supposons que les hypothèses suivantes, toutes très générales, soient satisfaites. a) À l'intérieur de la boîte noire, il existe un processus interne (en général inobservable) X qui définit les états internes que le système S est susceptible d'occuper de façon stable. Pour des raisons de simplicité, on peut supposer que ceux-ci sont en nombre fini. b) Le processus interne X définit globalement l'ensemble des états internes de S. Cette hypothèse est essentielle. Elle signifie que les états internes sont en compétition et donc que le choix de l'un d'eux comme état actuel virtualise les autres. Autrement dit, ces états n'existent pas en tant qu'entités isolées. Ils s'entre-déterminent par des rapports de détermination réciproque. c) Il existe donc une instance de sélection I qui, sur la base de certains critères (spécifiques au système et pouvant varier considérablement), sélectionne l'état actuel parmi les états internes possibles. d) Enfin, autre hypothèse essentielle, le système S est contrôlé continûment par un certain nombre de paramètres de contrôle, paramètres variant dans un espace W que, pour l'opposer au processus interne X, on appelle l'espace externe (ou espace de contrôle, ou encore espace substrat) de S.

Soit alors X « l'espace » des processus internes X possibles. Si les hypothèses ci-dessus sont vérifiées, le système S sera décrit d'abord par le champ σ : W → X associant à w ∈ W le processus XW et ensuite par l'instance de sélection I. Phénoménologiquement, un tel système S = (W, X, σ, I) se manifeste par des qualités observables q1 ... qn. Autrement dit, le processus interne XW « s'extériorise » en « qualités sensibles » qiw.

On retrouve ainsi la description phénoménologique du chapitre 1. Mais quelle peut être la cause des catastrophes observées ? Supposons que le contrôle w parcoure un chemin γ dans W. Soit Aw l'état interne actuel initial sélectionné par I. Au cours de la déformation de XW le long de γ, et donc, d'après l'hypothèse (d), de la structure de Aw et des relations de détermination réciproque qu'il entretient avec les états virtuels Bw, Cw, etc., d'après l'hypothèse (b), il peut fort bien se produire que, à la traversée d'une valeur (critique), A[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

Classification

Pour citer cet article

Jean PETITOT. FORME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ACOUSMATIQUE MUSIQUE

    • Écrit par François BAYLE
    • 7 820 mots
    • 4 médias
    ...chez René Thom, qui d'ailleurs a cité volontiers ce sémiologue du xixe siècle, précurseur d'une conception qualitative du monde : «  Les phénomènes qui sont l'objet d'une discipline [...] apparaissent comme des accidents de formes définis dans l'espace substrat de la...
  • CRASSET MATALI (1965- )

    • Écrit par Christine COLIN
    • 928 mots
    À ce temps « réel » fait écho un lieu qui ne l'est pas : « La forme est une plate-forme » déclare Matali Crasset. Si on place cette phrase dans la continuité des célèbres aphorismes qui ont véhiculé les théories du design au cours des deux siècles derniers, tels que « l'outil crée la forme...
  • DESCRIPTION ET EXPLICATION

    • Écrit par Jean LARGEAULT
    • 9 388 mots
    • 1 média
    ...d'effet qui en soit distinct, on pourrait seulement parler de son déploiement dans le temps. Aristote et saint Thomas n'assignent pas d'efficace à la forme seule. La forme n'agit pas ; c'est une substance qui agit par sa forme ou suivant sa forme. De même pour Leibniz et Euler, les principes d'optimum...
  • DESIGN

    • Écrit par Christine COLIN
    • 8 028 mots
    • 1 média
    ...théories élaborées par des praticiens. Les aphorismes, ces théories abrégées véhiculées par ces derniers, en permettent un rapide survol. « L'outil crée la forme » peut être considéré comme un héritage du rationalisme du xixe siècle ; « la forme suit la fonction », attribué à l'architecte américain...
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Voir aussi