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PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.)

L'âme, la cité, le monde

Causalité intelligente et causalité nécessaire

Âme, cité et monde posent un même problème : comment inscrire, dans des réalités qui ne sont pas intelligibles par elles-mêmes, l'ordre et l'arrangement qui leur conférera unité et valeur ? Si l'analogie de structure entre l'âme et l' État sous-tend toute La République, de telle sorte que les mêmes principes d'organisation garantissent la bonne constitution de l'une et de l'autre et qu'elles sont soumises aux mêmes forces de perversion, il semble que le monde, lui, demande plus à être connu dans la diversité de ses phénomènes qu'à être ordonné : qu'il soit ordre ou chaos ne dépend pas de nous. Cela dépend pourtant de notre manière de le concevoir. On peut se le représenter comme un ensemble de forces jouant selon le hasard et la nécessité, mais rien n'empêche de postuler qu'il est l'œuvre d'une intelligence. En faire l'image d'un modèle intelligible reproduit par un bon démiurge, c'est raconter un mythe vraisemblable, mais c'est la condition d'une cosmologie et d'une physique rationnelles. Pour être le plus semblable à son modèle, l' univers doit posséder la forme la plus parfaite, la sphère, et se mouvoir selon une révolution uniforme ayant à son principe une âme, système d'orbes concentriques sur lesquels se meuvent les planètes. Leurs périodes mesurent le temps, qui n'est pas un devenir déréglé mais une image mobile de l'éternité. Vivant parfait, le monde n'est pas éternel puisqu'il a été engendré, mais il ne périra pas en raison de sa belle organisation. On ne doit pas en expulser la causalité intelligente, mais on ne peut pas davantage en éliminer la part de causalité nécessaire, qui ne se confond pas avec celle de la matière. Certes, pour que le monde soit visible et tangible, il doit contenir de la terre et du feu, unis dans une exacte proportion par deux intermédiaires, l'air et l'eau. Les images sensibles ne sont cependant pas reportées en eux, mais sur une étendue infinie capable de recevoir toutes les figures parce qu'elle-même est amorphe. Ce lieu (khôra), ni perçu ni pensé mais accessible à un raisonnement bâtard, confère au sensible une quasi-subsistance, une inintelligible extériorité ; il risque ainsi de nous enfermer dans le rêve consistant à croire que ce qui n'est pas quelque part n'est rien.

Cosmologie, psychologie et politique platoniciennes sont intimement liées : l'âme arrive à rétablir en elle un ordr e perturbé en contemplant les révolutions du ciel, et c'est en vivant dans une cité juste qu'elle peut dominer les tendances opposées qui la constituent. Quand elle n'a pas une nature « divine », il faut à l'âme ces régulations externes. Car l'âme n'est pas une chose, ni une Forme. C'est pourquoi Platon emploie si souvent des mythes pour décrire sa destinée (dans Gorgias, Phédon ou La République) et sa nature : Phèdre la compare à un attelage ailé, La République à l'assemblage monstrueux d'une hydre, d'un lion et d'un homme. C'est dire qu'en l'âme se trouvent d'innombrables appétits, de l'agressivité et une partie rationnelle, tout comme dans l'État résident des artisans, des guerriers et des gouvernants. Mais par nature l'âme est un mouvement qui se meut soi-même − là est la véritable raison de son immortalité − et qui peut s'orienter vers le pire ou le meilleur. Son orientation vers le pire ne résulte pas de son incarnation, le corps n'est pas mauvais en soi. C'est sa trop grande complicité avec lui qui alourdit l'âme, en l'emplissant de préjugés obtus ou absurdes. Tyrannisée par eux, elle devient mauvaise et tyrannique. La maïeutique, l'art de la délivrer de son homodoxie avec le corps, la rend moins pesante à ceux qui l'entourent[...]

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