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PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.)

L'un, l'être et le non-être

L'un et l'être

La participation signifie que, en l'absence de l'unité que lui communique sa Forme, une chose sensible se pulvériserait en une quantité indéfinie de qualités toutes singulières, donc indicibles. Mais la pensée dialectique n'a que les Formes pour objets. Elles ne sont pensables qu'à la condition de ne pas être des entités massives et fermées sur elles-mêmes. Penser une Forme, c'est s'appliquer à saisir la pluralité interne de ses espèces et la déterminer à l'aide d'autres Formes. Chacune d'entre elles doit donc présenter des articulations naturelles permettant de la diviser, et s'articuler à certaines Formes tout en en excluant d'autres. Or, contre la position de cette double pluralité s'élève la parole du vénérable Parménide énonçant que l'être est un et d'un seul tenant. Platon lui laisse, dans Parménide, l'honneur d'explorer les hypothèses concernant l'unité, et, en fait, de se réfuter lui-même. Si l'un est absolument un, il repousse toute espèce de multiplicité, sensible ou intelligible. Il ne peut alors recevoir aucune détermination, et même pas exister, puisque l'attribution de l'être à l'un présuppose leur dualité. L'un ne peut rester un qu'en se séparant de tout le reste : il est par conséquent inconnaissable, informulable, innommable. Cependant, le discours est capable d'énoncer cette impossibilité de dire, et il faut reprendre l'hypothèse pour rendre compte de cette possibilité-là. Si l'un est, s'il s'accommode de l'être, il se scinde en un-qui-est et en être-un, si bien que « deux indéfiniment s'engendre ». L'un n'est plus une pure unité, c'est une totalité possédant limite et figure. Comme cette totalité a son unité propre, c'est du même coup trois qu'on pose, et toute la suite des nombres ordinaux et cardinaux. L'existence de l'un engendre les nombres, et à partir d'eux les choses sensibles. Au long d'un temps ordonné et indéfiniment progressif, l'unité ne cesse de se multiplier, et la multiplicité de s'unifier sous l'effet de la limitation extrinsèque des nombres qui empêchent la genèse du divers de se poursuivre jusqu'à l'illimité. De l'un qui n'est qu'un, il n'y a ni science, ni opinion, ni sensation. La connaissance de l'un-qui-est est celle d'une multiplicité homogène qu'il est possible d'unifier sous une unité (un nombre) elle-même homogène à ses éléments. À partir de cette connaissance mathématique peuvent s'élaborer toutes les sciences de la nature. Pourtant, le temps n'est pas seulement principe d'ordre et d'accumulation : il est aussi changement qualitatif. Un mode du temps échappe à l'alternative du mouvement et du repos car il est l'intervalle entre les deux : c'est le changement pur, l'instantané. Il introduit le négatif dans le monde, il en interrompt la genèse en n'entrant ni dans les sommes ni dans les continuités effectuées. L'instant est ce par quoi l'un, relativement, n'est pas. Ce qui veut dire que n'existe que du multiple. En l'absence de l'un, chaque chose pourra offrir à un « regard émoussé et lointain » une apparence d'identité et d'unité, alors qu'elle n'est en réalité qu'un amas. Le discours aura tout pouvoir pour décomposer et recomposer à son gré, faire apparaître et disparaître ces fantômes d'unité. L'être réduit à une poussière d'apparences, le discours capable d'en disposer comme il lui plaît : on reconnaît le monde du sophiste. Mais si l'un n'est absolument pas, si n'existe même plus ce simulacre d'unité, rien n'est. Cet abîme de [...]

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