Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.)

Socrate et Platon

Selon Aristote, Platon aurait d'abord fréquenté Cratyle l'héraclitéen et en aurait conservé toute sa vie la conception d'une réalité sensible en perpétuel écoulement. Il aurait ensuite tenu de Socrate son intérêt pour les problèmes éthiques et les définitions. Jugeant impossible d'arriver à une connaissance ferme à partir de choses en devenir, il se serait, pour les dépasser, inspiré de la théorie pythagoricienne des Nombres, se contentant de les baptiser Idées et de nommer participation l'imitation des Nombres par les choses sensibles. Platon, certes, connaît les doctrines de ses prédécesseurs, il les utilise ou les critique. Mais il a été ébranlé de fond en comble par Socrate. Même si, dans quelques Dialogues, celui-ci ne mène pas la discussion, il intervient dans leurs Prologues puis assiste en silence à l'exposé ou à l'entretien, ce qui n'est pas sans signification. Platon a construit un Socrate qui n'est peut-être pas le Socrate historique, mais qui est le personnage même du philosophe. Il lui a donné un double visage : si Socrate est celui qui met à la question tout discours, toute thèse et toute certitude, il est aussi celui qu'inspire un démon. Ce démon, qui le retient d'agir ou d'adhérer avant d'avoir examiné, n'est que le signe d'un amour inflexible pour la vérité. Cette double dimension, dialectique et érotique, caractérise jusqu'au bout la philosophie platonicienne : l'un des tout derniers Dialogues, le Philèbe, définit la dialectique comme « capacité d'aimer le vrai ». Socrate n'a donc pas seulement fait succéder à la recherche des principes de la nature, propre aux grands Ioniens, et à l'affirmation éléatique de l'être, une réflexion centrée sur les questions morales et sur la valeur du sujet agissant. Cela, c'est l'histoire de la philosophie telle que la conçoit Aristote. Pour Platon, loin d'être un simple moment de cette histoire, Socrate est le philosophe incarné, la pensée qui n'oublie ni ne trahit jamais ses propres exigences et qui suffit à conférer forme, unité et valeur à une vie qui sans elle ne serait qu'un chaos de contradictions et de péripéties. C'est cette présence de Socrate qui confère à la philosophie de Platon son caractère inimitable : moins faite de thèses que d'hypothèses et de risques pris, l'écriture n'y va pas à une vitesse uniforme. La pensée est rythmée par l'alternance d'examens laborieux, moments de dénuement où elle tourne en rond, et d'inventions inspirées, quand se découvre tout à coup par où et comment chercher. L'un commande l'autre : la flamme ne jaillit que si l'on a péniblement frotté le briquet en tous sens ; la compréhension ne surgit que si l'on a d'abord exploré toutes les directions et fait appel à toutes les méthodes (Lettre VII). Ce mouvement est celui, décrit dans Le Banquet, des morts et des renaissances d'Éros, tantôt manquant de l'essentiel, et tantôt plein de ressources. L'illumination n'a pourtant pas le dernier mot, elle doit être mise à l'épreuve, de même que le travail de la définition n'est jamais purement logique dans la mesure où il est toujours orienté par le désir de savoir. Le désir qui relie la pensée à ce qui est en vérité n'a rien d'irrationnel : il est l'espèce de désir propre à la partie rationnelle de l'âme, sa « philosophie » (ce sens restera toujours pour Platon le sens premier du terme). L'amour, au terme d'une ascension qui le mène de la beauté des corps à celle des âmes et de leurs occupations, puis aux connaissances, n'atteint sa vérité qu'en devenant philosophe et en engendrant des discours qui ne sont beaux que parce qu'ils sont vrais.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

Platon - Athènes - crédits : AKG-images

Platon - Athènes

L'Académie de Platon - crédits : 	Luisa Ricciarini/ Leemage/ Bridgeman Images

L'Académie de Platon

Chronologie de la création - crédits : Encyclopædia Universalis France

Chronologie de la création

Autres références

  • LE BANQUET, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 992 mots
    • 1 média

    Sans doute le plus connu des dialogues platoniciens, Le Banquet (Sumpósion) ou Sur l'amour, rédigé vers 375 avant notre ère – soit, comme La République, Le Phédon et Le Phédre, durant la période dite de la maturité de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) – demeure un texte énigmatique....

  • PHÉDON, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 989 mots
    • 1 média

    Le Phédon, ou Sur l'âme (Phaîdon è Peri psukhès) appartient, avec La République, le Phèdre et Le Banquet, à l'ensemble des œuvres dites de la maturité de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.). Phédon y relate la mort de Socrate (399 av. J.-C.), dont il fut le témoin, et rapporte...

  • PHÈDRE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 918 mots

    Écrit vers 370 avant J.-C., le Phèdre (Phaidros) marque le point culminant de la polémique (implicite) de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) à l'égard d'Isocrate, l'auteur de Contre les sophistes (parmi lesquels il incluait les platoniciens) et fondateur d'une école de ...

  • LA RÉPUBLIQUE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 822 mots
    • 1 média

    « J'étais descendu, hier, au Pirée avec Glaucon, fils d'Ariston » (ce dernier n'est autre que le père de Platon). Ainsi commence La Républiquede Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) – en grec Politeia, « Du régime politique », ou Peri dikaiou, « Sur la justice » –,...

  • THÉÉTÈTE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 122 mots
    • 1 média

    Probablement rendu public en 370 av. J.-C. (mais cette date n’est pas certaine), le Théétète occupe une place particulière dans l’œuvre de Platon. Consacré à une définition de la science, il inaugure ce que la plupart des commentateurs considèrent comme le troisième volet des dialogues...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par
    • 1 376 mots
    • 1 média

    Académie désigne le domaine situé dans le Céramique (faubourg des potiers, appelé joliment « Tuileries » par l'abbé Barthélemy), que Cimon avait orné des plus beaux platanes d'Athènes et où Platon fixa, vers 387 avant J.-C., l'école qui porta ensuite ce nom. Les orateurs Lycurgue,...

  • ACTEUR

    • Écrit par
    • 6 815 mots
    • 2 médias
    ...jetés. L'acteur sera pour la Grèce antique cet animal mimétique qui, grâce à la parole poétique, menace de contamination la cité. Contamination dont Platon pose les prémisses dans le dialogue du Ion : « Quand je déclame un passage qui émeut la pitié, dit Ion, le rhapsode d'Homère, mes yeux se remplissent...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par
    • 12 228 mots
    ...semble être faite, dans ce contexte, à ce que nous avons relevé avec Kant comme l'affect, pour lequel il n'y a, semble-t-il, pas de nom. Dans le Phédon, Platon défend l'idée que l'âme rationnelle, celle qui a le logos, « ne pourra reprendre sa véritable nature, qui est divine et sans péché...
  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    ...Zénon de Cittium (~335-~264), le premier stoïcien. La question la plus importante, celle de l’origine du monde, ne fut bien sûr pas laissée de côté. Dans la grandiose cosmologie de son dialogue le Timée, Platon affirma que le monde avait connu un début : il lui attribua comme auteur un démiurge...
  • Afficher les 169 références