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PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.)

Essences et Formes

La pensée des essences et la réminiscence

Les choses sensibles étant sans cesse emportées par le devenir, le discours ne peut pas les dire sans être condamné à se contredire. Les « antilogiques » exploitent ces contradictions et en déduisent l'impossibilité de tout raisonnement vrai ; ils n'ont pas tort, s'il n'y a de réalité que sensible. On ne peut parler et penser en vérité que si le devenir n'est pas la totalité de ce qui est et de ce qui mérite d'être compris. De la pensée à l' essence (ousia) s'opère donc comme un engendrement réciproque : en posant la question de ce que chaque être est vraiment, la pensée pose des essences intelligibles accessibles à la pensée seule, à la condition qu'elle devienne intelligente. Comprendre ne se réduit en effet ni à énumérer des exemples ou des propriétés − comme l'établissent Euthyphron, Hippias majeur et Ménon −, ni à enchaîner des énoncés à partir d'une hypothèse (ce que montre le second sectionnement de la Ligne dans La République, qui distingue pensée dianoétique et pensée dialectique). C'est l'essence qui rend compte de ses manifestations, de ses propriétés mais aussi de sa possibilité et de son impossibilité d'entrer en relation, et non pas l'inverse. En tant qu'elle est la nature de chaque être, elle est déterminée par une puissance sélective d'agir et de pâtir : n'importe quel être ne peut pas agir sur n'importe quoi, ni subir l'action de n'importe quoi. Avec Phédonse précise, négativement, le statut ontologique de l'essence (il ne semble pas y avoir d'innovation sur ce point : Socrate affirme qu'il « ne dit rien là de nouveau »). Les réalités en soi possèdent une manière d'être qui les soustrait à la diversité des représentations subjectives, à la mobilité de l'opinion, à la relativité des termes de comparaison et aux fluctuations du devenir : elles n'ont pas besoin de devenir pour être ce qu'elles sont, elles ne peuvent ni devenir autres ni cesser d'être elles-mêmes. Dire la beauté belle ou la justice juste, ce n'est donc pas commettre une « autoprédication » (Vlastos), c'est affirmer que les Formes ne peuvent en aucune façon s'écarter de leur essence. Leur consistance n'est cependant pas celle de choses, elles ne sont pas la multiplication de l'unité inarticulable propre à l'être de Parménide (interprétation « réaliste ») ; mais pas davantage la seule chose correspondant adéquatement à un adjectif donné (interprétation linguistique) ; et pas non plus de simples idées a priori, n'existant que pour un entendement pur (interprétation idéaliste). Il est possible que le Socrate historique, lui, n'ait que cherché à dégager des caractères communs. Mais pour Platon, dès le début, l'essence existe, et tout son être consiste à être intelligible. Elle est intégralement pensable, en droit sinon en fait : les tentatives visant à la définir peuvent échouer, déboucher sur des apories, elles réussissent néanmoins toujours − et peut-être est-ce là leur finalité première − à indiquer l'essence comme le seul objet donnant sens à « ce que nous faisons quand nous interrogeons et quand nous répondons ». Car définir ne se réduit pas à énoncer une formule. La définition dialectique embrasse tout le mouvement de l'examen : le rejet des définitions erronées sert à cerner l'être cherché. La position d'essences se révèle être la seule hypothèse compatible avec l'expérience que la pensée a d'elle-même : celle de la réminiscence.

En elle se confirme la co-appartenance de la pensée à l'essence. L'âme, dans un temps antérieur, aurait acquis un savoir total, et le perdrait en s'incarnant. Ce que nous[...]

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Pour citer cet article

Monique DIXSAUT. PLATON (env. 428-env. 347 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Platon - Athènes - crédits : AKG-images

Platon - Athènes

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L'Académie de Platon

Chronologie de la création - crédits : Encyclopædia Universalis France

Chronologie de la création

Autres références

  • LE BANQUET, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 992 mots
    • 1 média

    Sans doute le plus connu des dialogues platoniciens, Le Banquet (Sumpósion) ou Sur l'amour, rédigé vers 375 avant notre ère – soit, comme La République, Le Phédon et Le Phédre, durant la période dite de la maturité de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) – demeure un texte énigmatique....

  • PHÉDON, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 989 mots
    • 1 média

    Le Phédon, ou Sur l'âme (Phaîdon è Peri psukhès) appartient, avec La République, le Phèdre et Le Banquet, à l'ensemble des œuvres dites de la maturité de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.). Phédon y relate la mort de Socrate (399 av. J.-C.), dont il fut le témoin, et rapporte...

  • PHÈDRE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 918 mots

    Écrit vers 370 avant J.-C., le Phèdre (Phaidros) marque le point culminant de la polémique (implicite) de Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) à l'égard d'Isocrate, l'auteur de Contre les sophistes (parmi lesquels il incluait les platoniciens) et fondateur d'une école de ...

  • LA RÉPUBLIQUE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 822 mots
    • 1 média

    « J'étais descendu, hier, au Pirée avec Glaucon, fils d'Ariston » (ce dernier n'est autre que le père de Platon). Ainsi commence La Républiquede Platon (428 env.-347 env. av. J.-C.) – en grec Politeia, « Du régime politique », ou Peri dikaiou, « Sur la justice » –,...

  • THÉÉTÈTE, Platon - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 1 122 mots
    • 1 média

    Probablement rendu public en 370 av. J.-C. (mais cette date n’est pas certaine), le Théétète occupe une place particulière dans l’œuvre de Platon. Consacré à une définition de la science, il inaugure ce que la plupart des commentateurs considèrent comme le troisième volet des dialogues...

  • ACADÉMIE ANTIQUE

    • Écrit par Jean-Paul DUMONT
    • 1 376 mots
    • 1 média

    Académie désigne le domaine situé dans le Céramique (faubourg des potiers, appelé joliment « Tuileries » par l'abbé Barthélemy), que Cimon avait orné des plus beaux platanes d'Athènes et où Platon fixa, vers 387 avant J.-C., l'école qui porta ensuite ce nom. Les orateurs Lycurgue,...

  • ACTEUR

    • Écrit par Dominique PAQUET
    • 6 815 mots
    • 2 médias
    ...jetés. L'acteur sera pour la Grèce antique cet animal mimétique qui, grâce à la parole poétique, menace de contamination la cité. Contamination dont Platon pose les prémisses dans le dialogue du Ion : « Quand je déclame un passage qui émeut la pitié, dit Ion, le rhapsode d'Homère, mes yeux se remplissent...
  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...semble être faite, dans ce contexte, à ce que nous avons relevé avec Kant comme l'affect, pour lequel il n'y a, semble-t-il, pas de nom. Dans le Phédon, Platon défend l'idée que l'âme rationnelle, celle qui a le logos, « ne pourra reprendre sa véritable nature, qui est divine et sans péché...
  • ÂGE DE LA TERRE

    • Écrit par Pascal RICHET
    • 5 143 mots
    • 5 médias
    ...Zénon de Cittium (~335-~264), le premier stoïcien. La question la plus importante, celle de l’origine du monde, ne fut bien sûr pas laissée de côté. Dans la grandiose cosmologie de son dialogue le Timée, Platon affirma que le monde avait connu un début : il lui attribua comme auteur un démiurge...
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