Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PLOTIN (205-270)

Repensant la doctrine de Platon avec des éléments aristotéliciens et stoïciens, en même temps qu'elle subit l'influence de courants ultérieurs, la philosophie de Plotin représente une recherche du salut autant que de la vérité, un épanouissement du platonisme autant qu'une véritable création. Elle s'impose surtout, à travers une interprétation originale du Parménide de Platon, par sa doctrine de l'Un et par sa conception du double – et unique – mouvement de la procession qui est effusion d'unité et de la conversion ou ascension purificatrice vers le Principe.

Après bien d'autres, Jaspers soulignait naguère toutes les contradictions du plotinisme, cet Un et cette matière qui sont parallèlement indétermination et puissance de tout déterminé, ce monde qui naît presque d'une faute et dans la beauté duquel on doit pourtant reconnaître un signe divin, ce mal qui n'est en principe qu'un moindre bien et qui se présente néanmoins comme séduction et même bourbier. Dans sa perspective éterniste, Plotin ne saisit ni le tragique des « situations limites » ni le malheur des opprimés, « tourbe vile » dont il semble lier le sort à quelque immoralité antécédente (Ennéades, III, ix, 9). S'il évoque en termes poétiques l'Un, qui est à la fois « aimable et amour même et amour de soi » (VI, viii, 15), il ne traduit cet Eros sublimé ni dans une agapèfraternelle ni dans une compassion universelle, moins encore dans une volonté révolutionnaire de justice. Cependant, par des entremises comme celles de Proclus et d'Augustin, Plotin a marqué de son empreinte un vaste secteur de la spiritualité chrétienne ; grâce à lui, les philosophes arabes et les soufis ont pénétré d'une dimension mystique le rationalisme aristotélicien et le fidéisme coranique. Depuis la Renaissance, de Ficin et de Bruno à Hartmann et à Bergson, diversement entendu et transposé, il a continué d'inspirer tout ensemble maintes expériences intimes et plus d'un rêve spéculatif.

Le maître du néo-platonisme

On ne sait rien de sûr quant aux origines de Plotin. Probablement romain, il a dû naître en Égypte, peut-être à Lycopolis (l'actuelle Assiout) en 205. La biographie qu'a laissée Porphyre éclaire davantage sur sa carrière. Âgé de vingt-huit ans, il « s'attache à la philosophie », non à quelque mystérieuse sagesse orientale mais au platonisme éclectique qu'enseignait à Alexandrie Ammonios Saccas. Après onze ans passés auprès de ce maître, Plotin accompagne Gordien III dans une campagne malheureuse contre les Perses. S'il est peu probable qu'il eût connu chez Ammonios le chrétien Origène, il n'a certainement pu rencontrer en Mésopotamie Mani, qui fonda une religion dualiste promise à une vaste extension et qui se trouvait sans doute dans l'armée adverse. Il reste que, d'une certaine façon, le néo-platonisme sera confrontation entre la pensée grecque classique et des mouvements gnostiques plus ou moins apparentés au christianisme (surtout hétérodoxe) et au manichéisme.

Installé à Rome en 247, Plotin est protégé par l'empereur Gallien, qui s'inquiète de la décadence des mœurs et des études et voudrait faire de lui un philosophe officiel. Qu'il ait donné tout son enseignement en grec est caractéristique du temps ; dans la vieille capitale de l'Empire, une école de ce genre ne pouvait être que cosmopolite et ni Amelios ni Porphyre, qui recueillirent et éditèrent les leçons du maître, n'étaient eux-mêmes de souche latine. Directeur de conscience (et tuteur d'orphelins) autant que professeur, Plotin répugnait au cours magistral et, comme Socrate, ne s'exprimait bien que lorsqu'on l'interrogeait. Beaucoup de ses traités partent d'une question posée (souvent sur le sens d'un texte de Platon). Mais au-delà de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Maurice de GANDILLAC. PLOTIN (205-270) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DU BEAU, ENNÉADES I, 6 et V, 8, Plotin - Fiche de lecture

    • Écrit par Daniel RUSSO
    • 962 mots

    Plotin (205-270) a cinquante-neuf ans quand il rencontre Porphyre (234-305 env.), qui demeure avec lui pendant six ans et qui, après sa mort, réunit ses œuvres en cinquante-quatre livres, partagés en six Ennéades. Les passages sur le Beau et le Beau intelligible occupent respectivement les livres...

  • ENNÉADES, Plotin - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 841 mots

    Les Ennéades (de enneas, le chiffre neuf en grec) ne constituent pas à proprement parler une œuvre de Plotin (205-270), mais la bibliothèque plotinienne : c'est en effet le nom donné au rassemblement par Porphyre, après la mort du maître, de cinquante-quatre traités ou conférences d'importance...

  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    ...certaine manière chez Aristote, de qui Thomas l'a reçue ; elle a été retenue surtout par le néo-platonisme, qui constitue une autre de ses sources. Pour Plotin, l'être suit l'agir, car il est énergie, mouvement. Ce qu'Aristote disait de l'intellection, Plotin le transpose dans...
  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...dualisme bien-pensant, teinté de religiosité, qui oppose la matière, source du mal, et le principe du bien. D'un autre niveau est la philosophie de Plotin (204-270), qui, né en Égypte, formé à Alexandrie, a enseigné à Rome après un voyage en Orient. On a pu le croire influencé par les religions orientales,...
  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et philosophie

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 5 459 mots
    ...Intermédiaire ou médiateur, le démiurge, qui recoud ce qui a été séparé, ne saurait cependant être vu « en direct » ; l'architecte est censé y suppléer. Plotin dira de même que le savoir qui permet la construction architecturale doit mêler connaissance divine et sensible ; l'architecture est alors « la...
  • ASCÈSE & ASCÉTISME

    • Écrit par Michel HULIN
    • 4 668 mots
    • 1 média
    ...de la catharsis, elle se prolonge chez les gnostiques et les manichéens, mais plus nettement encore dans le néo-platonisme. Toute la philosophie de Plotin, en particulier, se laisse interpréter comme une méditation sur le thème de la déchéance de l'âme, consécutive à son exil dans le corps : « C'est...
  • Afficher les 30 références

Voir aussi