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PLOTIN (205-270)

L'Âme et l'Intelligence

Cette limite pourtant ne s'atteint qu'en de rares moments, au terme d'une patiente ascension. Mais il la faut poser dès le départ, car, à chacune des étapes – « vie engendreuse », « sensation », « opinion » raisonnable ou pure « intellection » –, l'Âme doit prendre conscience de sa nature contemplative.

La liaison avec le corps exige un mécanisme sensoriel essentiellement « utile », mais qui provoque déjà la réminiscence d'un vrai savoir ; à l'étape ultérieure (et contiguë) du raisonnement discursif, l'âme use de mots et de concepts qui témoignent de son trouble et de son embarras (IV, iii, 18), mais elle ne saurait rien de ce qu'ils signifient si elle ne possédait déjà virtuellement « l'image et la trace » de ce que sont toutes choses dans l'acte même de l'Intelligence, c'est-à-dire de la deuxième hypostase (V, v, 2).

Cette fidélité à la théorie platonicienne de la « participation » n'empêche point Plotin de soumettre à un très rigoureux examen la théorie aristotélicienne des catégories et sa transformation stoïcienne. Les trois traités sur Les Genres de l'étant refusent un type de substantialité qui concernerait au même titre l'essence intelligible et son reflet temporal ; ils tendent à réduire les « composés » d'« ici-bas » à des conglomérats de qualités apparentes et réfèrent cependant à des formes transcendantes les images qui se dessinent sur la surface de la matière. Sans aboutir à une révolution cosmologique, Plotin dévalue la théorie classique des « lieux » et discerne dans la « puissance » du « mouvement » un élément dynamique qui serait comme « une forme éveillée » (VI, iii, 22), mais toujours aussi un pouvoir « inquiet », à la fois « expression » et « refus » de « l'indivisible éternel » (III, vii, 11). Translation, accroissement et diminution, altération, génération et corruption renvoient nécessairement à un domaine d'«  altérité » ; bien loin d'être « créatrice », la durée reste un reflet dégradé de la vie intemporelle, celle des « archétypes impassibles » auxquels se réduisent « là-haut, ensemble et néanmoins distinctes », toutes les « raisons séminales » à l'œuvre en « ce qui naît et périt » (V, ix, 5-6).

Ainsi ce que Plotin nomme parfois « assimilation » est essentiellement découverte d'une similitude d'origine, d'une correspondance symbolique (et quasi « magique ») entre toutes les parties d'un grand « vivant », univers toujours incomplet où le don unique du même Bien « peut devenir autre en ceux qui le reçoivent » (VI, vii, 18). Ici se combinent, de manière quelquefois ambiguë, le thème platonicien de la « coupure » et l'intuition stoïcienne de l'universelle « sympathie ». Les individus sont pour ainsi dire des degrés de développement dans l'expression spatio-temporelle de l'intelligible ; sans être des « monades » au sens leibnizien, ils ont pourtant leur structure propre, voire leur « idée », et, chacun sur son mode, participent à des « raisons » différenciées (V, vii, 3). Il en va de même des « propositions » du savoir discursif ; chacune a son sens et renvoie néanmoins à toutes les autres (IV, ix, 5). Il reste que ce « mouvement dianoétique » se déploie en purs « fantasmes imaginaires » s'il n'adopte comme principe et comme terme « ce qui ne sort pas de soi », ce qui « ignore tout devenir » et n'est « tout en tout » qu'en demeurant « identique à soi » (VI, v, 2).

C'est reconnaître que l'Intelligence même (la deuxième hypostase) contient, elle aussi, une forme supérieure d'altérité ; et l'on touche ici à ce qui fait du plotinisme une source historique de la «[...]

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Pour citer cet article

Maurice de GANDILLAC. PLOTIN (205-270) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DU BEAU, ENNÉADES I, 6 et V, 8, Plotin - Fiche de lecture

    • Écrit par Daniel RUSSO
    • 962 mots

    Plotin (205-270) a cinquante-neuf ans quand il rencontre Porphyre (234-305 env.), qui demeure avec lui pendant six ans et qui, après sa mort, réunit ses œuvres en cinquante-quatre livres, partagés en six Ennéades. Les passages sur le Beau et le Beau intelligible occupent respectivement les livres...

  • ENNÉADES, Plotin - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 841 mots

    Les Ennéades (de enneas, le chiffre neuf en grec) ne constituent pas à proprement parler une œuvre de Plotin (205-270), mais la bibliothèque plotinienne : c'est en effet le nom donné au rassemblement par Porphyre, après la mort du maître, de cinquante-quatre traités ou conférences d'importance...

  • ACTE, philosophie

    • Écrit par Paul GILBERT
    • 1 282 mots
    ...certaine manière chez Aristote, de qui Thomas l'a reçue ; elle a été retenue surtout par le néo-platonisme, qui constitue une autre de ses sources. Pour Plotin, l'être suit l'agir, car il est énergie, mouvement. Ce qu'Aristote disait de l'intellection, Plotin le transpose dans...
  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...dualisme bien-pensant, teinté de religiosité, qui oppose la matière, source du mal, et le principe du bien. D'un autre niveau est la philosophie de Plotin (204-270), qui, né en Égypte, formé à Alexandrie, a enseigné à Rome après un voyage en Orient. On a pu le croire influencé par les religions orientales,...
  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et philosophie

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 5 459 mots
    ...Intermédiaire ou médiateur, le démiurge, qui recoud ce qui a été séparé, ne saurait cependant être vu « en direct » ; l'architecte est censé y suppléer. Plotin dira de même que le savoir qui permet la construction architecturale doit mêler connaissance divine et sensible ; l'architecture est alors « la...
  • ASCÈSE & ASCÉTISME

    • Écrit par Michel HULIN
    • 4 668 mots
    • 1 média
    ...de la catharsis, elle se prolonge chez les gnostiques et les manichéens, mais plus nettement encore dans le néo-platonisme. Toute la philosophie de Plotin, en particulier, se laisse interpréter comme une méditation sur le thème de la déchéance de l'âme, consécutive à son exil dans le corps : « C'est...
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