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MAL

Le propre du mal tient en ceci qu'il ne peut être nommé, pensé, vécu qu'en relation avec une certaine idée du bien. Qu'il n'y ait pas de bien en soi, que ce que les hommes appellent le bien soit relatif aux situations et aux cultures, et le mal se trouve radicalement relativisé, lui qui du coup peut être le bien d'hier, de demain ou d'ailleurs. Qu'il y ait un absolu du bien, un « souverain bien » comme l'affirmaient les sages antiques, ou un « unique nécessaire » comme disent les religions du salut, et le mal, sous la forme de la folie ou de la perdition, se trouve ici encore cerné et délimité, au moins sur l'une de ses frontières, comme le contraire de ce bien, tout en gardant quelque chose d'obscur et d'indéfini, semblable – la métaphore est classique – à la part d'ombre dans un monde que la lumière ne saurait visiter. Le mal, contraire du bien, cette apparente lapalissade a donné d'autant plus à penser aux philosophes que la relation du mal au bien est à sens unique, car si le mal n'est jamais tel que par rapport à un bien au moins possible et représentable, le bien paraît avoir une positivité propre qui lui permettrait, quelle que soit sa figure, de se poser dans toute l'innocence de son ignorance du mal. L'idée du mal, qui doit avoir quelque réalité, puisque abondent et surabondent de tout temps et en tout lieu les discours sur le mal, est donc dialectique et interrogative : dialectique, puisqu'elle n'est pensable que par un entrecroisement de négations, c'est-à-dire par référence à la norme ou à la valeur que le mal nie existentiellement, lesquelles à leur tour le nient rationnellement ou idéalement ; interrogative, car le mal, ne pouvant être appréhendé que comme contestation scandaleusement heureuse du bien, pose par l'équivoque même de sa nature le problème de son origine et de sa signification. Le mal, en effet, ne saurait se montrer sans être aussitôt dialectiquement mis en question, et, de plus, il n'y a du mal dans le monde et dans l'histoire que parce qu'il existe pour l'homme un problème du mal.

Deux assurances, qui font antinomie, commandent et animent toute réflexion sur le mal : d'une part, si le mal ne suscitait la question : pourquoi le mal ? il ne serait pas le mal ; d'autre part, si la réponse à la question : pourquoi ? allait de soi dans une évidence naturelle, le mal disparaîtrait en même temps que serait effacée l'angoisse de la question. Si l'on appelle idéologie toute retombée, utilisable sociologiquement ou psychologiquement, de la pensée philosophique, la réflexion sur le mal aura pour premier devoir de récuser un certain nombre de fatalités idéologiques, telles les rhétoriques, conjoncturellement et culturellement nécessaires, de l'optimisme ou du pessimisme. Ce décapage effectué, il s'agira en fin de compte non pas de comparer les unes aux autres, en faisant le bilan de leurs inconvénients ou de leurs avantages, telles et telles solutions du problème, mais plus radicalement de se demander si la problématique du mal, engendrée par une dialectique destructrice d'elle-même, ne serait pas un faux problème, contraint ainsi à avouer son caractère idéologique. Mais l'interrogation sur le problème laisse intacte l'alternative ; il se pourrait que, même si toute solution au problème du mal relevait d'une idéologie, le problème lui-même doive se formuler avec une rigueur universelle, invincible à toute réduction idéologique. Ce problème du mal – obsession à psychanalyser ou interrogation authentique –, l'homme se l'est posé à travers tous ses modes de pensée, mythiques, philosophiques, religieux, dont il conviendra d'examiner quelques exemples particulièrement représentatifs.

Les mythes

On doit à Freud l'idée selon laquelle[...]

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Écrit par

  • : inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale

Classification

Pour citer cet article

Étienne BORNE. MAL [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTÉCHRIST

    • Écrit par Hervé SAVON
    • 1 183 mots
    • 1 média

    C'est dans un texte du Nouveau Testament — la première Épître de Jean (fin ier/déb. iie s.) — qu'apparaît pour la première fois le mot grec antichristos, dont le français « antéchrist » est le calque imparfait. Cependant, on voit se former l'idée d'un antimessie — c'est...

  • CATHARES

    • Écrit par Christine THOUZELLIER
    • 6 763 mots
    • 2 médias
    Pour les cathares, le problème crucial est celui du mal, qu'on trouve dans l'univers rempli de créatures vaines et corruptibles, et qu'ils ne peuvent imputer à Dieu. Leur foi repose sur la conviction commune que ce monde visible et tout ce qu'il renferme est l'œuvre du diable. Selon le traité de Bartholomé...
  • DEVOIR (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 244 mots
    L’homme serait donc le seul être doté de moralité, le seul qui aurait accès aux notions de bien et de mal, alors que les autres créatures ne connaissent que l’instinct et la logique des rapports de force. D’ores et déjà pointe un paradoxe : dans la tradition judéo-chrétienne, la connaissance...
  • ÉRA ou ERRA POÈME D'

    • Écrit par Daniel ARNAUD
    • 679 mots

    Poème babylonien qui doit son titre au nom de son protagoniste, le dieu de la Peste et de la Guerre. Le poème d'Éra raconte, en quelque sept cent cinquante vers, la destruction et la restauration de la Babylonie : les Sept, divinités guerrières, excitent leur maître Éra, qui y est déjà enclin,...

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Voir aussi