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PSYCHANALYSE

Phénoménologie et logique

Quel est donc le statut de cette vérité historique sur laquelle est entré le sujet dans les phases successives de son développement ? Relève-t-elle d'une logique ? À quel titre cette logique serait-elle appelée à régir la théorie de la pratique psychanalytique ? Quelles incidences enfin la critique de la raison psychanalytique peut-elle avoir dans le registre de la pratique ?

Si Lacan a su aborder de front l'élaboration de ces thèmes – « instauration d'une grande logique », dira-t-il –, c'est que d'emblée son intérêt s'est porté sur le terrain où Freud ne s'était systématiquement engagé qu'au milieu de sa carrière, confronté qu'il était à la logique paradoxale de la paranoïa. « Il faut bien dire, écrit Lacan en 1932 dans le commentaire du cas Aimée, que notre recherche dans les psychoses reprend le problème au point où la psychanalyse est parvenue. » Plus précisément, « la notion même de fixation narcissique, sur laquelle la psychanalyse fonde sa doctrine des psychoses, reste très insuffisante, comme le montre bien la confusion des débats permanents sur la distinction du narcissismeet de l' autoérotisme primordial – sur la nature de la libido affectée au moi (le moi étant défini par son opposition au soi, la libido narcissique est-elle issue du moi ou du soi ?) –, sur la nature du moi lui-même tel que le définit la doctrine, sur la valeur économique même des symptômes qui fondent le plus solidement la théorie du narcissisme ? » (De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, rééd. 1975, pp. 321-322).

Partant de ces insuffisances, Lacan fait alors appel aux thèses encore fraîches de la seconde topique, au premier chef au concept du surmoi. Encore faudra-t-il distinguer, sur ce terrain, entre le point de vue positif, attentif aux tendances concrètes qui manifestent ce moi et seules comme telles relèvent d'une genèse concrète, et le point de vue « gnoséologique » impliquant la définition du moi comme sujet de la connaissance. Si le moi freudien se constitue en tant que différencié du monde extérieur, souligne Lacan, c'est en vertu du principe de réalité. Mais ce principe de réalité inclut au moins la racine d'un principe d'objectivité. C'est un concept gnoséologique impliquant déjà le moi en tant que sujet de la connaissance. S'agit-il, au contraire, de la genèse même du moi, nous ne pouvons invoquer d'autre principe que le principe de plaisir, aucunement distingué d'un principe de réalité. Et, si Lacan y insiste, c'est qu'il se fait aussi à cette date une certaine conception critique des notions qu'il emprunte à Freud : en premier lieu, l'économique. Par son moyen, se détermine le principe de plaisir. Lors de la genèse du surmoi, nous savons cependant que « le sujet, soulagé de la tyrannie des objets extérieurs dans la mesure de l'introjection narcissique », par le fait même de son introjection, « reproduit ces objets et leur obéit ». Or « un tel processus n'éclaire-t-il pas de façon éclatante la genèse économique des fonctions dites intentionnelles » ? D'où la justification de la « science de la personnalité » comme « développement des fonctions intentionnelles liées chez l'homme aux tensions propres à ses relations sociales ».

Dans cette référence phénoménologique, s'il peut être utile de souligner la dépendance par rapport à Georges Politzer, c'est que l'intérêt logique de Lacan ne l'a précisément assumée que pour la dépasser. Le réalisme freudien dénoncé par Politzer dans l'épistémologie de la Traumdeutung traduit, en effet, « un dédoublement du récit significatif » (Critique des fondements de la psychologie, p. 174). « C'est une fois qu'il est entendu[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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Pour citer cet article

Pierre KAUFMANN. PSYCHANALYSE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

L'exil de Freud - crédits : Keystone/ Getty Images

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