Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PSYCHANALYSE

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Une logique de l'impossible

Mais quel statut conférer à cette écriture ? Et dans quelle mesure satisfait-elle aux exigences de théorisation portées par l'expérience analytique ? Les séminaires développés dans la dernière décennie de l'œuvre de Lacan donneront pour thème directeur à cette réflexion critique l'exclusion du rapport sexuel du champ de l'écriture logique. En d'autres termes : nous aurions à montrer, d'une part, à quel titre la logique et l'écriture symbolique se recouvrent (entendons bien que la logique est ici concernée en tant qu'elle est la logique de la psychanalyse, caractérisée sous les conditions critiques précédemment énoncées) ; d'autre part, que l'écriture est également concernée en tant qu'elle propose elle-même l'inscription originale que spécifie la fonction de la barre.

Il s'agit de comprendre que les conditions de l'apparition de l'écrit – du discours analytique – sont aussi celles qui excluent l'inscription du rapport sexuel, car, si un discours analytique est possible, c'est dans la mesure même où la sexualité n'est pas inscriptible.

La barre marque la séparation du signifiant et du signifié, par laquelle se définit la distance de l'écrit ; ce qui nous permet encore de poser que « l'écrit, ce n'est pas à comprendre ». Or cette loi de constitution émane précisément de l'impasse de la sexualité. Il n'y a pas d'Un de la relation « rapport sexuel ». En effet, le sexe de la femme ne dit rien à l'homme, si ce n'est par l'intermédiaire de la jouissance du corps ; et cette jouissance est marquée d'un trou qui ne lui laisse d'autre voie que d'être jouissance phallique. Mais les positions de l'homme et de la femme à cet égard ne sont pas réciproques, et c'est aux notations de Frege (fonction propositionnelle, quanteur) que Lacan recourt ici. En ce qui concerne l'homme, on peut écrire que tout homme relève de la fonction phallique, ∀xΦx. Considérons cependant le registre de l'existence ; il existe « au moins » un homme dont la jouissance n'est pas soumise à la limite qu'impose la fonction phallique : le Père. D'où la formulation : ∃x̄Φx. Elle exprime que Φx est, en l'occurrence, nié « intégralement », l'universalité du ∀x correspondant alors, selon le modèle de Peirce, à la négation de l'exception : il n'est pas d'homme qui ne soit phallique. Tout autre est la position de la femme. Elle est marquée du « pas tout », en ce sens qu'elle n'est pas, en sa totalité, concernée par la fonction phallique : ce que traduira la formulation ̄∀ ;xΦx, à laquelle correspondra dans le registre de l'existence, en vis-à-vis du ∃x̄Φx masculin, la formulation ̄∃x̄Φx, exprimant que « ce n'est pas une vérité » de dire qu'il existe une femme qui échappe à la servitude phallique. Si bien que l'homme ne rejoindra la femme que dans l'infinité, ou, encore, qu'à son égard elle est irréductiblement Autre.

En quoi cette carence de la sexualité apparaît-elle alors comme la condition d'émergence de l'écrit ? On remarquera d'abord que la question ne peut laisser d'affecter la définition de la « grande logique » de la psychanalyse. La logique, en effet, c'est l'exhibition du réel ; et le réel, selon la formule mainte fois répétée de Lacan, c'est l'impossible (reportons-nous, quant aux sources de ce thème, à l'élaboration de la modalité obsessionnelle de l'impossible, issue de « L'Homme aux rats »). Ainsi la dérivation de l'écrit, à partir de l'exclusion de la sexualité du champ de l'inscription, peut-elle se transposer en ces termes : que l'exclusion de la sexualité de ce champ commande la constitution de la logique de la psychanalyse, en tant qu'elle est,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Pierre KAUFMANN. PSYCHANALYSE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

L'exil de Freud - crédits : Keystone/ Getty Images

L'exil de Freud

Autres références

  • CORPS - Le corps et la psychanalyse

    • Écrit par
    • 3 971 mots

    Le corps est, en psychanalyse, une réalité difficile à penser, car elle défie les approches physiologiques et philosophiques, et décisive pourtant, puisque la sexualité humaine – considérée dans la jouissance ou dans des activités sublimatoires – a pour terrain le corps érogène, le corps capable...

  • ENFANCE (Les connaissances) - Enfant et psychanalyse

    • Écrit par
    • 5 210 mots

    Ce serait une erreur de considérer la psychanalyse comme un corpus scientifique constitué une fois pour toutes, comme un système clos du savoir. Non seulement elle est un système ouvert, mais elle est constitutivement ce qui, dans l'ordre de la connaissance, doit être perpétuellement repensé,...

  • LACAN JACQUES (1901-1981)

    • Écrit par
    • 6 797 mots

    Jacques Lacan a dominé pendant trente ans la psychanalyse en France. Il l'a marquée de son style ; il y laisse une trace ineffaçable. Aimé et haï, adoré et rejeté, il a suivi sa voie sans s'en écarter, ne laissant personne indifférent, s'imposant même à ceux qui ne voulaient pas de lui. Pour les psychanalystes,...

  • LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE

    • Écrit par
    • 7 214 mots

    La question des rapports entre la psychanalyse et la linguistique est compliquée par deux facteurs. D'une part, ces rapports ont évolué ; ils ont en effet été si profondément transformés par l'œuvre de Jacques Lacan qu'on peut parler à cet égard de coupure. D'autre part, ces rapports ne sauraient se...

  • LITTÉRATURE & PSYCHANALYSE

    • Écrit par
    • 7 706 mots

    Comment les apports de la psychanalyse peuvent-ils nous aider à apprécier les œuvres littéraires ? Quel bénéfice la critique, quel profit l'art de bien lire et d'aider les autres à mieux lire peuvent-ils retirer d'un savoir qui vise principalement la connaissance et la correction...

  • PSYCHANALYSE (théories et pratiques)

    • Écrit par
    • 6 689 mots
    • 1 média

    La situation de la psychanalyse contemporaine n'est indépendante ni de ses origines, ni de son évolution – tant sur le plan pratique et technique que sur le plan théorique –, ni de la situation présente du politique et de la culture. En outre, le statut même de la psychanalyse, discipline hybride, «...

  • PSYCHANALYSE & CONCEPT D'OPPOSITION

    • Écrit par
    • 14 048 mots

    La découverte des processus inconscients, liée à celle du conflit intrapsychique, se formule fréquemment sous la plume de Freud par le vocable d' opposition (Gegensatz) et, à l'occasion, par l'un de ses dérivés, d'une importance théorique particulière, le concept de couples...

  • PSYCHANALYSE & PEINTURE

    • Écrit par
    • 7 920 mots

    On peut examiner le rapport de la psychanalyse avec l'art de bien des façons qui toutes peuvent se recommander de Freud. Plutôt que d'entreprendre à nouveau un recensement, mieux fait par d'autres (P. Kaufmann, 1971 ; J.-F. Lyotard, 1969 ; S. Kofman, 1970), de cet éventail, on préfère ici proposer une...

  • RELIGION - Religion et psychanalyse

    • Écrit par
    • 3 731 mots
    • 1 média

    N'étant pas une vision du monde, la psychanalyse, pour Freud, est en principe neutre par rapport à la religion ; celui-ci affirme cependant aussi qu'« en tant que doctrine de l'inconscient psychique elle peut devenir indispensable à toutes les sciences traitant de la genèse de la...

  • SEXUALITÉ, psychanalyse

    • Écrit par et
    • 4 983 mots

    Chacun sait aujourd'hui que la psychanalyse a inscrit le rapport à la sexualité au centre de l'expérience humaine et de sa problématique. Disons plus exactement : c'est en tant qu'elle est foncièrement conflictuelle que la sexualité s'inscrit au cœur de la vie psychique, laquelle se trouve...

  • ACTING OUT

    • Écrit par
    • 1 161 mots

    Acting out, expression anglaise utilisée principalement en psychanalyse et en thérapie de groupe pour désigner une transgression de la règle fondamentale de verbalisation, dans l'association libre, ou celle du « faire comme si », dans le psychodrame, l'acting out définit un...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par
    • 12 228 mots
    ...qu'elle est une théorie remarquablement cohérente des « passions » et qu'elle échoue complètement à saisir l'affectivité. L'affect, terme technique de la psychanalyse, n'y est en effet que « l'expression qualitative de la quantité d'énergie pulsionnelle et de ses variations » (J. Laplanche et J.-B. Pontalis)....
  • AGRESSIVITÉ

    • Écrit par
    • 3 103 mots

    L'importance qu'a prise le concept d'agressivité dans le dernier état de la pensée freudienne tient à la position privilégiée qu'il occupe au point d'articulation, d'une part, des processus régressifs auxquels préside la pulsion de mort, d'autre part, de l'organisation...

  • AMBIVALENCE, psychanalyse

    • Écrit par
    • 1 182 mots
    • 1 média

    C'est le psychiatre suisse Eugen Bleuler (1857-1939) qui a introduit ce terme et en a fait le symptôme dominant dans le tableau de la schizophrénie. Il distingue tout d'abord l'ambivalence dans trois secteurs de la vie psychique : dans les modalités de la volonté, deux volontés qui s'opposent...

  • Afficher les 121 références