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MUSÉE

Remise en cause et renouveau

Les créateurs ont été les premiers à mettre en doute, parfois non sans violence, le bien-fondé d'une institution qui leur était doublement destinée, comme lieu de formation et comme terme de consécration. Le mot célèbre de Pissarro : « Il faut brûler les nécropoles de l'art » – auquel fait écho celui de Vasarely : « Je veux en finir avec tout ce qui précisément fait le musée : l'œuvre unique et irremplaçable, le pèlerinage, la contemplation passive du public… » – montre bien que le musée, conçu au départ comme dépôt des règles et des recettes du « beau métier » et du « beau style », comme garant d'une continuité dans la tradition, passa très vite pour imposer des références contraignantes, nuisibles à la liberté de la création, et des critères esthétiques suspects d'entraver la compréhension par le public des courants les plus modernes.

Il est un fait que, depuis la fin du xixe siècle, l'apprentissage technique et formel de l'artiste s'est de plus en plus détaché des exemples du passé, que l'utilisation, par les sculpteurs et les peintres, de matériaux nouveaux et très divers, voire de technologies nouvelles qui leur étaient jusque-là étrangères – de la photographie au numérique – et la fabrication industrielle des produits classiques ont mis un terme à l'idée du métier ancestral. On peut constater toutefois, chez nombre d’artistes, un mouvement inverse, qui a pris la forme d'un retour à un état d'esprit et à des pratiques plus « professionnelles » et d'un regain d'intérêt pour la nature et l'« art des musées » comme sources d'inspiration. Il est hors de doute que la tradition, telle que l'envisageait le xixe siècle, a perdu de sa signification ; aucun système cohérent de normes et de règles, nul corpus de recettes et de procédés ne définissent une activité qui se disperse désormais, de mouvements d'avant-garde en accès de nostalgie, dans le champ infini de tous les possibles, et n'assume plus de missions de représentation collective ni, a fortiori, aucun critère d'ordre esthétique.

La faveur dont bénéficie à nouveau l'institution auprès du public – la fréquentation des musées de France, par exemple, a triplé à partir des années 1960 et tourne depuis les années 1980 autour de 70 millions de visiteurs annuels, dont plus de 50 % en Île-de-France – ne tient pas uniquement à un repli des esprits sur les réussites du passé. Les multiples attaques dont elle a été la cible depuis plus d'un siècle de la part des artistes et des intellectuels – en mai 1968 encore, certains militants réclamaient son abolition en tant que bastion inaccessible de la culture bourgeoise et l'éparpillement des collections dans les lieux mêmes de la vie quotidienne – ont certainement contribué, quoi qu'on en dise, à faire prendre conscience à ses responsables de l'image grandiloquente et de l'indifférence passive au présent qu'elle avait héritées du xixe siècle. Le résultat est que, sur la base des objectifs qui leur avaient été assignés dès cette époque – conservation et étude des collections, souci de perpétuer le goût de l'art et de l'histoire, de développer l'intérêt pour la science et d'agrémenter les loisirs, volonté de prestige enfin –, les musées ont opéré depuis la fin des années 1970 une sorte de métamorphose, fondée sur différents axes : renouveau de l'architecture et de la muséographie, programmes soutenus d’expositions, diversification des politiques tarifaires et de l’offre éducative, développement des ressources propres (dont le mécénat), recours croissant au numérique pour la diffusion des collections et l’adaptation des aides à la visite.

Expression de l'orgueil[...]

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Pour citer cet article

Robert FOHR. MUSÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Tribune des Offices, musée des Offices, Florence - crédits : Paolo Gallo/ Shutterstock

Tribune des Offices, musée des Offices, Florence

<em>Cabinet d’art et de curiosités</em>, Frans Francken II le Jeune. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Cabinet d’art et de curiosités, Frans Francken II le Jeune.

Salle des Muses du musée Pio-Clementino, Vatican - crédits : Adam Eastland Art + Architecture/ Alamy/ Hemis

Salle des Muses du musée Pio-Clementino, Vatican

Autres références

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    ...du territoire métropolitain ne fit l'objet d'aucune recherche institutionnelle appuyée sur l'Université, et se trouva abandonnée aux notables locaux. Le musée des Antiquités nationales, créé en 1867, ne fut pas en France, comme dans d'autres pays, installé au cœur de la capitale, mais dans sa banlieue,...
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