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PERFORMANCE, art

Au-delà de l'aura

La force de l'argumentation de Thierry de Duve tient à ce qu'elle rend compte de l'enchevêtrement actuel et effectif de la performance (postmoderne) et de la technologie, en prenant cette dernière comme une forme de vie (Wittgenstein) ou un « séjour » (l'ethos selon Heidegger, à saisir non pas sous la perspective désastreuse de l'asservissement sans espoir de l'humanité à une technique déchaînée, métaphysique de part en part, mais comme l'« essence » de cette technique, qui n'est pas en elle-même cette technique, mais en laquelle luit secrètement la luminosité, la lueur de l'Être...). Redonner son plein pouvoir à la technè des Grecs, en ce sens, c'est ouvrir la problématique de la performance sur ce que l'esthéticien italien Mario Costa dénomme le « sublime technologique » ; et c'est légitimer le paradoxe apparent que recèle la pensée de Robert Filliou dont nous sommes partis. En effet, pour que l'art puisse rendre « la vie plus intéressante que l'art », il faut que l'art (la technè) se fonde dans la vie, mais aussi qu'il se fonde avec elle ; qu'il se fonde sur elle pour qu'elle parvienne à se fonder sur lui ; bref qu'il la dynamise. L'enjeu, c'est leur fusion et le non-dualisme qui s'ensuit. Mais un tel enjeu n'est lui-même concevable que si la technique est vivante : si elle est traitée pour ce qu'elle est, et non pas comme un moyen ou un instrument en vue d'une fin réputée « autre ». Dès lors que le cinéma expérimental, par exemple, intime au spectateur d'avoir à « porter son attention sur la machinerie qui le met en situation d'assister à une projection », toute performance mettant en jeu un tel dispositif est susceptible de déclencher « une appréhension conceptuelle de l'espace et du temps qui ne peut ignorer cette machinerie » – et qui l'ignore d'autant moins qu'elle la fait jouer pour elle-même, tout en la faisant collaborer à la structuration de l'œuvre ou du processus esthétique. Un fossé apparaît alors entre les performances « modernistes » comme les « Anthropométries » d'Yves Klein ou les rituels de Joseph Beuys ou de Gina Pane, qui ne tolèrent d'être redupliquées (en l'occurrence, simplement photographiées) qu'à des fins commerciales, c'est-à-dire rejettent, au fond, I'univers technologique en entretenant avec celui-ci une relation de domination, et les performances « postmodernes » qui, elles, « couplent le performer à un transcodeur quelconque, incorporant l'appareil et le performer dans un même feed back », c'est-à-dire permettent que, grâce à la technique, la performance « évolue en temps réel sur son propre écho ». Le violon de Laurie Anderson « devient » voix, la voix « devient » violon : ce qui est donné à voir et à entendre est la mise en spectacle du fonctionnement même du couplage de l'artiste et de la machine. L'acmé de la performance est atteint lorsque le public est conduit à participer activement à ce couplage comme tel : alors c'est un espace-temps collectif qui se construit hic et nunc. L'exemple de la performance exécutée à Montréal en 1978 par Max Dean, et que commente Thierry de Duve, est significatif : « En début de performance, l'artiste se trouvait hors scène, ligoté et bâillonné, et attaché par les pieds à un câble passant par une poulie au plafond et relié à un treuil situé sur scène. Une minuterie commandait la marche du treuil, provoquant la pendaison progressive de l'artiste par les pieds. Le treuil était couplé à un micro enregistrant les bruits du public, et s'arrêtait lorsqu'un niveau sonore donné était atteint, interrompant la pendaison du performer. Ainsi le public avait-il[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

Classification

Pour citer cet article

Daniel CHARLES. PERFORMANCE, art [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

John Cage - crédits : H V Drees/ Hulton Archive/ Getty Images

John Cage

Autres références

  • ABDESSEMED ADEL (1971- )

    • Écrit par Giovanni CARERI
    • 989 mots
    ...des nombreuses collections publiques et privées. Abdessemed utilise le dessin, la sculpture, la photographie et la vidéo, filmant parfois ses propres performances comme, par exemple, dans Chrysalide, ça tient à trois fils (1999), où il défait la burqa en laine noire qui couvre entièrement le corps...
  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 634 mots

    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 1 073 mots

    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par Matthias SCHÄFER
    • 2 242 mots

    Né sur les ruines de la politique conservatrice et étouffante que la bourgeoisie puis le régime nazi avaient établie en Autriche, l'actionnisme viennois, en allemand : Wiener Aktionismus (1960-1971), a renoué avec l'esprit provocateur des premières années de l'expressionnisme autrichien (Oskar...

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