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PERFORMANCE, art

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La performance comme fête

La performance, Hans-Georg Gadamer nous en parle chaque fois qu'il analyse la « représentation » – théâtrale, ou scénique, ou muséale – d'une œuvre quelconque. Et, de cette représentation, il commence par énoncer qu'elle « a, d'une manière imprescriptible et ineffaçable, le caractère d'une répétition du même ». Mais abstenons-nous de comprendre cette formule de manière trop nietzschéenne. « Répétition, poursuit Gadamer, ne signifie pas certes ici que quelque chose soit répété au sens propre, c'est-à-dire reconduit à l'original. Chaque répétition est plutôt aussi originale que l'œuvre elle-même. »

La structure du temps ainsi délimitée « peut être reconnue dans l'expérience de la fête ». En effet, les fêtes se reproduisent ; mais, à chaque fois, la fête « n'est ni une autre, ni la simple commémoration d'une fête originelle [...] L'expérience temporelle de la fête est plutôt la célébration, un présent sui generis ». On est libre d'évoquer à ce propos la définition que J. Cage donne de la poésie : une « célébration du fait que nous ne possédons rien » ; une fête de la non-possession ou du non-avoir. Ce qui ne signifie pas une dépossession ou une privation, mais bien plutôt une pauvreté essentielle, l'intensité d'une présence qui se détache sur fond de néant. Pareillement, pour Gadamer, la fête n'a rien d'autre à offrir que sa pure présence ; et, en ce sens, elle ne doit rien à la mémoire. Qu'elle « n'existe que célébrée », cela n'implique pas « qu'elle soit pour autant de caractère subjectif et qu'elle n'ait son être que dans la subjectivité de ceux qui la célèbrent ; au contraire, on célèbre la fête parce qu'elle est là ». La représentation théâtrale – et, ajouterons-nous, la performance – participe de la même économie : certes, elle n'existe que si elle s'adresse à des spectateurs. « Et pourtant son être n'est pas simplement le point de rencontre des sentiments éprouvés par les spectateurs. C'est plutôt l'inverse : l'être du spectateur est déterminé par le fait d'« assister » au spectacle. Assister, c'est plus que se trouver présent en même temps qu'une autre chose. Assister, c'est prendre part. Celui qui a assisté est parfaitement au courant de ce qui s'est passé réellement. Ce n'est qu'en un sens dérivé qu'assister désigne un comportement subjectif, celui d'être présent aux faits. Être spectateur est donc une manière authentique de prendre part. »

Être spectateur, c'est finalement participer au Rien évanescent de la fête : au fait que, par elle-même et « en dehors » de sa simple présence, la fête n'est rien. Pour cela, il importe que chaque spectateur intériorise, si l'on peut dire le Rien de la fête ; qu'il fasse donc le vide au sein de ses pensées, qu'il atteigne à ce que le zen appelle le « non-mental ». Cela exige-t-il le recours, ou le retour, à une mystique, et à une mystique orientale ou extrême-orientale ? Mais nous disions plus haut que si Zaj était « plus que le  », ce n'était pas par surenchère ou par érudition, cela peut fort bien s'effectuer par un approfondissement de ce que, depuis les Grecs, l'Occident lui-même recherche. Écoutons là-dessus Gadamer : « Déjà, dans le Phèdre, Platon stigmatise l'incompréhension avec laquelle, au nom d'une conception intellectualiste de la raison, on méconnaît d'ordinaire le caractère extatique de l'être-hors-de-soi, réduit à une simple négation de l'être-auprès-de-soi, donc à une espèce de folie. En vérité, être-hors-de-soi est la condition positive pour que l'on soit auprès de quelque chose, pour qu'on assiste. Assister,[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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Pour citer cet article

Daniel CHARLES. PERFORMANCE, art [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Média

John Cage - crédits : H V Drees/ Hulton Archive/ Getty Images

John Cage

Autres références

  • ABDESSEMED ADEL (1971- )

    • Écrit par
    • 989 mots
    ...des nombreuses collections publiques et privées. Abdessemed utilise le dessin, la sculpture, la photographie et la vidéo, filmant parfois ses propres performances comme, par exemple, dans Chrysalide, ça tient à trois fils (1999), où il défait la burqa en laine noire qui couvre entièrement le corps...
  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

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    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

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    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

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    Né sur les ruines de la politique conservatrice et étouffante que la bourgeoisie puis le régime nazi avaient établie en Autriche, l'actionnisme viennois, en allemand : Wiener Aktionismus (1960-1971), a renoué avec l'esprit provocateur des premières années de l'expressionnisme autrichien (Oskar...

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