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PERFORMANCE, art

« Performance » : ce vocable – loin de désigner un quelconque exploit sportif – relève de ce qu'il est convenu de considérer comme du franglais ; directement issu du verbe to perform, « interpréter », il est attesté au début des années 1970 dans le vocabulaire de la critique d'art aux États-Unis, et s'applique à toute manifestation artistique dans laquelle l'acte ou le geste de l'exécution a une valeur pour lui-même et donne lieu à une appréciation esthétique distincte. Qu'il ait fallu attendre une époque toute récente pour que « performer » fût reconnu comme une activité à part entière et susceptible de s'ériger en médium artistique autonome, cela peut paraître assez inattendu : la musique pour ne citer que l'art le plus propice sans doute à l'inflation de la virtuosité, n'avait-elle pas vu, depuis deux siècles, se multiplier les « grands interprètes » ? Et l'exégèse biblique n'a-t-elle pas suscité, en ce qui concerne la lecture des textes, une traditionherméneutique, c'est-à-dire interprétative au sens philosophique le plus profond, tradition qui relève d'un art quasi immémorial ? Mais ce qui caractérise chaque performance au sens américain, c'est son aspect de jaillissement vivant, c'est sa configuration de présence ici et maintenant.

Suis-je ici vraiment, ou est-ce seulement de l'art ? Am I really here or is it only art ? Cette interrogation, due à l'une des artistes les plus en vogue aujourd'hui dans l'univers de la performance, Laurie Anderson, permet de préciser le véritable enjeu de l'acte de performer : par-delà toutes les catégories esthétiques héritées, renouer avec l'immédiat, et exalter à cette fin ce qui, chez Mallarmé, se nomme « Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui ». On conçoit qu'un tel propos ait eu de quoi séduire, à notre époque, des artistes de formations diverses et de tendances apparemment irréductibles les unes aux autres. Tout un chacun, à tel ou tel moment, peut se reconnaître dans ce mot d'ordre du retour à l'immédiat ; d'où, certainement, des confusions et une part de désordre, ne serait-ce que dans l'emploi parfois exagérément laxiste du terme performance. Néanmoins, et malgré les risques souvent encourus, les performances traduisent une exigence de confrontation exemplaire entre des activités artistiques différentes ; après l'échec de la tentative wagnérienne d'unification des arts dans l'œuvre totale, le Gesamtkunstwerk, les performances ont une fonction décapante, critique. Ainsi que se plaisait à le faire ressortir un autre grand « performant », Robert Filliou : « Il n'y a plus de centre dans l'art. L'art c'est là où tu vis. » – formule qui eût pu sembler anodine, en ce qu'elle ne stipulait qu'une banale dissémination « moderniste », mais qui reçoit la plénitude de son sens dès lors qu'on l'accouple avec celle-ci, par laquelle Filliou résumait sa philosophie sur un mode faussement nihiliste : « L'art, c'est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art. ». Il conviendrait donc, à la limite, de distinguer autant d'esthétiques de la performance que de formes de vie – c'est-à-dire, pour reprendre le lexique du philosophe Ludwig Wittgenstein, de « jeux de langage »... Ce que les jeux de langage de Wittgenstein ont de caractéristique, c'est de refuser toute inféodation à un jeu suprême, à un « jeu des jeux ». De même, ce que les performances, si éloignées soient-elles les unes des autres, ont de commun, c'est leur décentrement, elles diffèrent profondément en ce qu'elles sont issues d'arts et de styles de vie distincts – et pourtant ce qui les réunit est une certaine façon de contester la [...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

Classification

Pour citer cet article

Daniel CHARLES. PERFORMANCE, art [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

John Cage - crédits : H V Drees/ Hulton Archive/ Getty Images

John Cage

Autres références

  • ABDESSEMED ADEL (1971- )

    • Écrit par Giovanni CARERI
    • 989 mots
    ...des nombreuses collections publiques et privées. Abdessemed utilise le dessin, la sculpture, la photographie et la vidéo, filmant parfois ses propres performances comme, par exemple, dans Chrysalide, ça tient à trois fils (1999), où il défait la burqa en laine noire qui couvre entièrement le corps...
  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 634 mots

    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 1 073 mots

    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par Matthias SCHÄFER
    • 2 242 mots

    Né sur les ruines de la politique conservatrice et étouffante que la bourgeoisie puis le régime nazi avaient établie en Autriche, l'actionnisme viennois, en allemand : Wiener Aktionismus (1960-1971), a renoué avec l'esprit provocateur des premières années de l'expressionnisme autrichien (Oskar...

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