OPÉRAHistoire, de Peri à Puccini
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Vers l'opéra romantique
Grâce à Mozart, et parce que les créateurs changent complètement de statut social dans des sociétés elles-mêmes en pleine mutation, parce que les modes de la production artistique vont de moins en moins répondre au bon vouloir des princes mais aux désirs des classes bourgeoises montantes, parce que nombre de musiciens ne pourront – ne voudront, pour certains – plus ignorer les grandes causes et les grands combats d'un siècle, l'opéra du xixe siècle va radicalement changer de fonction. Au-delà de ses évolutions formelles, au-delà des bonheurs inouïs qu'il va dispenser à ses adorateurs, au-delà des querelles d'écoles, il devient, partout en Europe, une sorte de miroir où les sociétés se regardent et se reconnaissent. Tout en s'internationalisant encore, ou plus exactement en se « multinationalisant », il va progressivement s'identifier aux nations en train de se faire, aux peuples en train de se libérer.
Cette période dans la vie de l'art lyrique exigerait presque d'être rapportée en deux dimensions, si l'on peut dire : la première strictement chronologique, la seconde s'attachant davantage à ces réalités nationales ou sociales qui surgissent.
La naissance de l'opéra allemand
Ludwig van Beethoven (1770-1827) ne saurait être considéré comme l'une des figures essentielles de cette épopée lyrique. Cependant, malgré bien des défauts, son Fidelio (1805) établit, à double titre, un passage symbolique entre les deux siècles : par son livret, profondément idéaliste et à cet égard véritablement romantique, qui exalte la liberté ; et par l'irruption de l'univers symphonique dans l'opéra, leçon que Wagner n'oubliera pas.
Fidelio représenté à Londres, 1956
Une représentation de Fidelio, opéra de Beethoven, par la troupe du Sadler's Wells, à Londres, en 1956.
Crédits : Denis De Marney/ Getty Images
Carl Maria von Weber (1786-1826) se pose comme le père légitime de l'opéra romantique allemand. Avec Euryanthe (1823), Obéron (1826), mais plus encore avec son Freischütz, de 1821, il porte l'assaut décisif contre l'opéra italien. En s'appuyant sur un livret qui relève du fantastique, le Freischütz touche au cœur même de ce que l'on pourrait appeler l'« âme allemande ». Composé avec une rare subtilité mélodique, il met en lumière un sens profondément novateur des sonorités et des couleurs. Mais l'atout principal de Weber aura été de toucher, sans concession démagogique, au sublime en n'ignorant jamais le populaire.
Caricature de Carl Maria von Weber dirigeant son opéra Le Freischütz, au Covent Garden de Londres, en 1826.
Crédits : Hulton Archive/ Getty Images
Le grand opéra français
Tandis que l'opéra allemand vient de se trouver, le grand opéra français, comme on l'a baptisé – mais il sera bien plus grand dans ses dimensions que dans tout autre sens –, va faire ses premières armes. Il a pour précurseur, une fois de plus, un Italien installé en France : Luigi Cherubini (1760-1842) – futur directeur du Conservatoire et, à ce titre, tête de turc favorite de Berlioz – qui, avec Médée (1797) et Les Deux Journées ou le Porteur d'eau (1800), avait su faire l'admiration de Beethoven en conciliant les leçons de Gluck et l'héritage italien. Dans la même mouvance, il faut encore citer Gasparo Spontini et sa Vestale (1807).
Le Compositeur Cherubini et la muse de la poésie lyrique, J. D. A. Ingres
Jean Auguste Dominique INGRES, Le Compositeur Cherubini et la muse de la poésie lyrique, huile sur toile. Musée du Louvre, Paris.
Crédits : Erich Lessing/ AKG-images
Parmi les précurseurs se situent Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871), dont La Muette de Portici (1828) déclencha lors d'une reprise à Bruxelles, en 1830, l'insurrection belge, et François Adrien Boieldieu (1775-1834), honnête « faiseur » d'opéras-comiques, qui livra un pur joyau à la postérité en 1825 : La Dame blanche.
Mais le grand opéra, celui qui, dit-on, parvient à synthétiser la mélodie italienne, l'harmonie allemande et la déclamation française, c'est à Giacomo Meyerbeer (1791-1864) – d'origine allemande – et à Jacques Fromental Halévy (1799-1862) qu'on le doit. Du premier, on a peu à peu oublié Robert le Diable (1831), Les Huguenots (1836), Le Prophète (1849) ou L'Africaine (1865). Ces grosses machines historiques firent la gloire de leur auteur mais s'attirèrent les critiques de Mendelssohn, Schumann et Berlioz. Il faut en convenir : Meyerbeer connaissait son métier au point de n'utiliser, bien souvent, que des recettes ! Du second, Halévy, on a dit qu'il n'était qu'un épigone de Meyerbeer ; et pourtant, La Juive (1835) apparaît aujourd'hui comme une œuvre plus dense et surtout plus prometteuse – elle annonce les drames lyriques d'un Gounod ou d'un Bizet – que tous les opéras de Meyerbeer réunis.
La soprano suédoise Jenny Lind, le célèbre "rossignol du Nord", tient le rôle d'Alice dans l'opéra de Meyerbeer Robert le Diable, à Londres, en 1847.
Crédits : Illustrated London News/ Hulton Archive/ Getty Images
Le bel canto
À la différence de Berlioz, qui y résiste résolument, ces compositeurs avaient plus ou moins bien retenu les enseignements du bel canto, celui que [...]
1
2
3
4
5
…
pour nos abonnés,
l’article se compose de 14 pages
Écrit par :
- Jean-Vincent RICHARD : journaliste et musicologue, rédacteur en chef aux Nouvelles, rédacteur en chef deL'Avant-Scène musique
Classification
Autres références
« OPÉRA » est également traité dans :
OPÉRA - Histoire, de Pelléas à nos jours
Il en est de l'opéra comme de la symphonie : périodiquement, il fait l'objet d'annonces de décès, consternées ou triomphantes, émanant généralement de compositeurs pour lesquels « les raisins sont trop verts » ou de critiques à l'affût de la sensation. Mais chaque année de nombreuses œuvres lyriques nouvelles viennent démentir ces prophètes de malheur. Certes, l'évolution du langage musical en gén […] Lire la suite
OPÉRA - Les techniques d'écriture
L'écriture d'une partition musicale destinée à une représentation scénique doit tenir compte d'un nombre important d'exigences de nature différente qui vont de la considération des moyens matériels mis localement à la disposition du compositeur jusqu'à des options véritablement esthétiques dans l'emploi de techniques d'écriture. Celles-ci sont destinées à illustrer une certaine conception du drame […] Lire la suite
OPÉRA - Le renouveau de l'opéra baroque
Année 1925. Les historiens ne tiennent pas 1925 pour une année faste de l'opéra baroque. Cette année-là, Mussolini et Staline s'arrogent de nouveaux pouvoirs. Tandis que paraît Le Procès de Franz Kafka, que Lion Feuchtwanger publie Le Juif Süss et Adolf Hitler Mein Kampf, Bernard Shaw reçoit le prix […] Lire la suite
NAISSANCE DE L'OPÉRA
Quand et où faire commencer l'histoire de l'opéra ? La date de 1600et la ville de Florence semblent le mieux correspondre à un acte de naissance. Le xvie siècle n'avait connu que des ébauches de théâtre musical : dans les fêtes princières et les chants de carnaval, le spectacle avait plus d'importance que l'intérêt dramatique, e […] Lire la suite
NAISSANCE DE L'OPÉRA - (repères chronologiques)
Vers 1550 Emilio de' Cavalieri naît à Rome.20 août 1561 Jacopo Peri naît à Rome ou à Florence.1581 Publication à Florence du traité de Vincenzo Galilei Dialogo della musica antica e della moderna en faveur du […] Lire la suite
ADAMS JOHN (1947- )
Dans le chapitre « La tentation du théâtre lyrique » : […] L'œuvre la plus connue de John Adams est l'opéra Nixon in China (créé au Houston Grand Opera le 22 octobre 1987) . Minimaliste et parfois proche de Stravinski, l'ouvrage a bénéficié de la collaboration du metteur en scène Peter Sellars et de l'écriture d'Alice Goodman. De cet opéra relatant un épisode de l'histoire contemporaine – la visite de Nixon en Chine en février 1972 –, Adams a tiré des […] Lire la suite
ADLER KURT HERBERT (1905-1988)
Le chef d'orchestre Kurt Adler, directeur de l'Opéra de San Francisco, fit de ce dernier l'une des plus grandes scènes lyriques des États-Unis. D'origine autrichienne, Kurt Herbert Adler voit le jour le 2 avril 1905, à Vienne. Formé à l'Académie de musique, au conservatoire et à l'université de la capitale autrichienne, il dirige son premier orchestre au Théâtre Max Reinhardt de Vienne, de 1925 à […] Lire la suite
AIR, musique
Dans le langage commun, on a pris l'habitude de désigner par le mot « air » la musique destinée à être chantée. On oppose ainsi, dans la chanson, l'air aux paroles. Par extension, on en est arrivé à employer le mot « air » dans le cas de toute mélodie suffisamment connue pour être immédiatement identifiée par l'auditeur. On parle donc indifféremment de l'air de Marguerite (dans Faust de Gounod), […] Lire la suite
ALAGNA ROBERTO (1963- )
La carrière de Roberto Alagna accumule tous les poncifs d'un véritable roman-photo. Il n'est donc pas étonnant que le chanteur, rapidement promu au rang de star, étende son public bien au-delà du cercle étroit des amateurs éclairés. Les réserves que suscitent parfois quelques postures théâtrales mal venues, de fréquents abandons aux lucratives séductions du monde de la variété et la mise en scène […] Lire la suite
ALARIE PIERRETTE (1921-2011)
La soprano colorature canadienne Pierrette Alarie accomplit sa carrière lyrique seule ou au côté de son époux, le célèbre ténor canadien Léopold Simoneau, de leur mariage, en 1946, à la mort de ce dernier, en 2006. Pierrette Marguerite Alarie naît le 9 novembre 1921, à Montréal (Québec), dans une famille de musiciens. Remarquée pour sa voix de colorature cristalline, elle débute en 1938 au théâtre […] Lire la suite
Voir aussi
Pour citer l’article
Jean-Vincent RICHARD, « OPÉRA - Histoire, de Peri à Puccini », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 09 août 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/opera-histoire-de-peri-a-puccini/