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ANATOMIE ARTISTIQUE

Du réseau égyptien au canon de Polyclète

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes - crédits :  Bridgeman Images

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes

L'effigie est communément produite chez les Égyptiens dans une intention magique. Beaucoup de leurs images n'étaient pas faites pour la vue ; enfouies dans la nuit du sépulcre, leur mission était de capter et supporter une vie d'au-delà. De l'homme, une forme symbolique est conservée, libérée du temps et, par conséquent, de la représentation organique. Invariablement, la plastique égyptienne met en œuvre des schémas de projection qui permettent de produire, à la manière d'une architecture, des effigies de dieux, d'hommes, d'animaux ou de chimères. L'imagier traçait un réseau de carrés, l'homme érigé se superposant à dix-huit empilements dans les dispositifs les plus anciens, à vingt-deux dans les plus récents. Préalablement construit à l'échelle du mur à décorer ou du bloc à sculpter, ce réseau déterminait certains points remarquables du corps et en fixait la forme. Procédure toute conventionnelle qui, durant des siècles, confère à la plastique égyptienne son étonnante permanence stylistique. Un papyrus fameux de Berlin atteste la tranquille assurance avec laquelle les artistes mettaient en œuvre cette codification. Il s'agit d'une épure pour un sphinx accroupi qui retenait dans ses pattes antérieures une petite figure érigée. Le projet est présenté en vue frontale, en profil et en plan au sol. Le contour de la déesse est inscrit dans un réseau de vingt-deux mailles verticales, construits à une autre échelle que pour le sphinx. Exemple probant d'une plastique qui se constitue sur un schéma de construction.

Différente, chez les Grecs, est la fonction de l'art ; elle suppose d'autres rêveries et d'autres moyens. À l'âge classique, la statuaire tend à la représentation d'une idéalité esthétique de l'homme pris dans sa spécificité et sa consistance organiques. L'homme est bel et bien incarné, mais dans un monde qui a une structure chiffrée, et dont l'astronomie donne la clé, avec la géométrie. Et la beauté de cet homme, reconnue et vénérée sur des stades, c'est l'approximation d'un modèle idéal d'essence numérique. Des textes anciens soutiennent cette interprétation. Galien relate les opinions de Chrysippe pour qui « la beauté consiste [...] dans l'harmonieuse proportion des parties, celle d'un doigt à l'autre, de tous les doigts au reste de la main, de celle-ci au poignet, de celui-ci à l'avant-bras, de cet avant-bras à tout le bras, enfin de toutes les parties à toutes les autres, comme c'est écrit dans le canon de Polyclète ».

Dans le faible murmure de théories qui nous vient des Grecs, ce canon parle haut, avec l'écho tardif et imparfait de Vitruve. De Polyclète lui-même, on certifie cet énoncé : « Le beau est engendré par minimes transitions au moyen de beaucoup de nombres. » Et la tradition assure qu'il avait objectivé dans le bronze son canon arithmétique. Polyclète, avec un allant prométhéen, se donne l'ivresse de former l'étalon stéréométrique de la beauté. Moment critique de l'histoire que celui où se recoupent fugacement l'audace technique et une théorisation cosmogonique, chevillée à la formalisation mathématique. La technique de l'illusion se nourrit alors de l'illusion du déchiffrement. Ce qui était tenu pour un modèle métaphorique du monde, un corps défini par des vertus astronomiques, n'était qu'un modèle expérimental satisfaisant. Équivoque qui grevera toutes les tentatives ultérieures d'enfermer inexorablement dans le seul nombre l'essence de la beauté.

Perdue la statue canonique, il reste du moins des répliques des œuvres de Polyclète et le Doryphore, tenu pour un original. Mesuré scrupuleusement, on y a pu déceler un certain nombre de[...]

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Pour citer cet article

Jacques GUILLERME. ANATOMIE ARTISTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes - crédits :  Bridgeman Images

Peinture du tombeau de Nebamon à Thèbes

Laocoon - crédits :  Bridgeman Images

Laocoon

L’Homme de Vitruve, Léonard de Vinci - crédits :  Bridgeman Images

L’Homme de Vitruve, Léonard de Vinci

Autres références

  • L'ATELIER D'INGRES, Eugène Emmanuel Amaury-Duval - Fiche de lecture

    • Écrit par Adrien GOETZ
    • 1 026 mots
    • 1 média
    ...Le nouveau classicisme enseigné par le maître est fondé sur le culte de l'antique et la « vérité de la nature » traduite par le « style ». D'où les déformations anatomiques pratiquées par Ingres – la plus célèbre étant le dos « trop long » de l'odalisque (musée du Louvre) : « Pour exprimer...
  • DESSIN

    • Écrit par Robert FOHR, Geneviève MONNIER
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    ...de volume et de clair-obscur, et donc de l'étude de la figure humaine. Après les nus remarquables d'Antonio Pollaiuolo et de Luca Signorelli, toute une tradition du dessin anatomique à la pierre noire se développe, illustrée par Raphaël, Michel Ange (qui lui préfère parfois la sanguine), Titien,...
  • DÜRER ALBRECHT (1471-1528)

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    ...Dürer prend une orientation plus précise, comme s'il avait fallu un délai de mûrissement pour que le voyage en Italie portât véritablement ses fruits. Le corps humain et la perspective deviennent ses principales préoccupations, et ses œuvres semblent être tout à la fois des expériences et des manifestes....
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...expédients comme la transparence feinte d'une ouverture, on arrivait à montrer simultanément toutes les parties d'un objet, même les parties cachées. Très vite, on entreprit une recherche analogue sur le corps humain : on tenta de trouver un système de proportions évalué soit en fonction d'affinités...
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