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ONTOLOGIE

Langage et ontologie

La science n'est pas la seule activité humaine qui développe une problématique ontologique. On peut se demander s'il ne faut pas chercher un fondement plus primitif que la science elle-même à la résistance d'un grand nombre de théoriciens de la science au conventionnalisme, ainsi qu'à leur tenace conviction que le discours scientifique atteint la réalité, même (et peut-être surtout) lorsqu'il élabore des entités dont le sens est exactement défini par une théorie dans la forte acception du mot. Pour le réalisme critique, qui paraît bien être la philosophie naturelle de la science, les raisons d'adopter une théorie sont aussi, comme on l'a dit plus haut, des raisons d'admettre l'existence des entités que celle-ci postule. L'idée que, dans la science, la construction d'entités théoriques est en même temps une description de la réalité semble bien un caractère que le discours scientifique a en partage avec d'autres discours. Il est alors raisonnable d'explorer l'hypothèse selon laquelle la position d'être serait un postulat qui appartiendrait au discours en tant que tel. C'est cette hypothèse qui conduit à interroger le langage lui-même quant à ses implications ontologiques.

Du sens à la référence

L'aspect du langage qui est ici en cause a été désigné du terme général de « référence ». On y a fait une première allusion en appelant les entités théoriques de la science le référent du discours scientifique. C'est donc la théorie générale de la référence qu'il faut maintenant considérer, sans distinguer entre discours scientifique et discours ordinaire. Précisons ce qu'on entend ici par discours. Émile Benveniste distingue le discours de la langue. La langue est l'ensemble des codes (phonologique, lexical, syntaxique) qui caractérisent une communauté historique ; le discours est la suite des messages émis par des individus de cette communauté placés dans une situation de communication. Comme l'avait dit W. von Humboldt, le discours est un usage infini de moyens finis. Cet usage infini est la suite des messages, et les moyens finis sont les codes. La langue n'existe pas à proprement parler : ce n'est que le système virtuel des permissions et des interdictions sur lequel les actes du discours, seuls réels, s'édifient. Le discours est le langage mis en action. Langue et discours ne reposent pas sur les mêmes unités : l'unité de langue est le signe, aussi virtuel que la langue elle-même ; l'unité de discours est la phrase, ou « instance » temporelle, événementielle, qui fait que le discours arrive, c'est-à-dire paraît et disparaît. On ne dérive donc pas la seconde sorte d'unité de la première. Le signe en effet est seulement une valeur différentielle dans le système de la langue ; il n'existe qu'en opposition avec d'autres unités du même système ; la phrase est une combinaison circonstancielle entre ces signes visant à l'expression des sujets, à la communication et à la représentation de la réalité. Ces remarques brèves suffisent à faire comprendre qu'il n'y a pas problème de référence pour la langue, mais seulement pour le discours ; dans la langue, toutes les relations sont internes ; ce sont des différences entre des signes ; seul le discours peut être le sujet de quelque chose. La langue, dirons-nous, n'est faite que de différences, le discours seul fait référence. On ne parlera donc plus, ici, de langue, mais de discours.

Pour saisir dans toute son ampleur la problématique ontologique impliquée dans tout discours, il est opportun de partir de la distinction introduite par G.  Frege, dans son article fameux de 1892, entre Sinn (sens) et Bedeutung ( signification ou référence). Le sens, c'est ce que dit une expression linguistique[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

Pour citer cet article

Paul RICŒUR. ONTOLOGIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Martin Heidegger - crédits : G. Schütz/ AKG-images

Martin Heidegger

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE ET ONTOLOGIE

    • Écrit par Frédéric KECK
    • 1 255 mots

    Si l’anthropologie s’est définie contre la métaphysique classique en remplaçant un discours sur Dieu comme fondement de toutes choses par un discours sur l’homme comme sujet et objet de connaissance (Foucault, 1966), elle a renoué depuis les années 1980 avec l’ontologie, définie comme un...

  • ABSOLU

    • Écrit par Claude BRUAIRE
    • 4 222 mots
    En second lieu, être infidèle à l'ontologie et enclore l'absolu dans l'élément abstrait du concept, revient peut-être, à nouveau, à réduire et à mutiler son sens. Ainsi du moins le prétend toute formulation de l'argument ontologique de l'existence de Dieu.
  • ANALOGIE

    • Écrit par Pierre DELATTRE, Universalis, Alain de LIBERA
    • 10 427 mots
    La formulation médiévale du concept d'analogie de l'être est un phénomène tardif qui a été préparé par une longue suite de médiations et de transferts. Son point de départ est la théorie porphyrienne de l'homonymie transmise par Boèce et les Decem Categoriae du pseudo-Augustin...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...depuis longtemps remarqué que la Métaphysique proposait deux sortes de définition de la « science recherchée ». L'une la présente comme la science de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire de l'être envisagé par où (έe, qua) il est être et seulement être, et non «...
  • ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 4 951 mots
    • 1 média
    ...passages de l'Organon. En métaphysique, l'aristotélisme médiéval n'est que la longue mise en argument de la distinction et des rapports entre ontologie, la science de l'être en tant qu'être, et théologie, la science de la substance immobile, laquelle ne fait qu'expliciter l'ambiguïté...
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Voir aussi