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BENVENISTE ÉMILE (1902-1976)

Émile Benveniste - crédits : AFP

Émile Benveniste

Émile Benveniste fut l'un des plus grands linguistes contemporains. Ses contributions essentielles concernent les études indo-européennes, la linguistique synchronique et la linguistique théorique. Il fut élu au Collège de France en 1937 et il y enseigna jusqu'à ce que la maladie l'eût contraint à se retirer, en 1970.

Benveniste et l'étude de l'indo-européen

Dans le domaine indo-européen, Benveniste représenta avec éclat l'école française de grammaire comparée, après Meillet dont il fut l'élève et le successeur. Cette école, directement issue de l'enseignement parisien de Saussure, se caractérise par les principes suivants. La grammaire comparée de l'indo-européen est conçue comme une branche de la linguistique générale et ses méthodes propres doivent toujours être justifiées par des concepts universels, valant pour toutes les langues. Parallèlement, l'indo-européen reconstruit ne saurait avoir aucun privilège ; il faut le concevoir comme une langue semblable aux autres, distinguée seulement par le fait qu'elle n'est pas directement accessible à l'observation. Une langue en général, et en particulier l'indo-européen reconstruit, est un réseau formel et non un être naturel ; en conséquence, on exclura de la méthode linguistique toute notion de type biologique, et tout autant les étymologies naturalistes. Les êtres reconstruits par la grammaire comparée sont des formes abstraites, qui représentent non des entités phonétiques, mais des relations (dites « correspondances ») entre de telles entités ; si le système des correspondances le justifie, il est même légitime de définir des êtres dont la nature phonétique est inconnue et qui permettent de raisonner de manière algébrique sur les formes.

Benveniste a adopté ces principes, les interprétant comme des contraintes sévères auxquelles il convient de soumettre la reconstruction des formes indo-européennes. Mis à part quelques travaux descriptifs, consacrés essentiellement au domaine iranien, le travail de reconstruction a, du reste, longtemps constitué l'activité principale de Benveniste et fait l'objet de son ouvrage majeur, Origines de la formation des noms en indo-européen. La racine indo-européenne y est traitée comme un être formel, gouverné par des règles si précises qu'il devient possible de procéder sur elle à des manipulations de pure écriture et, ainsi, d'établir des rapprochements et des étymologies inaccessibles à l'observation directe. Grâce à l'usage contrôlé d'entités abstraites, notées ə1, ə2, ə3, dont l'idée première est due à Saussure et dont la pertinence a été confirmée par les données du hittite, Benveniste parvient à ramener à un type unique – une voyelle alternante entourée de deux consonnes différentes – la multiplicité où se dispersait jusque-là la notion même de racine. L'indo-européen, dès lors, n'est plus simplement l'ensemble confus des formes conjecturales, projetées dans le passé par l'ingéniosité du comparatiste. Pour qu'une forme soit dite indo-européenne, il ne suffira plus que, permettant d'énoncer des correspondances, elle n'existe dans aucune langue observée : à ces caractères négatifs ou de commodité s'ajoutent désormais des caractères structuraux positifs. Corrélativement, l'indo-européen est ramené dans le concept universel de la langue définie par Saussure : non pas une substance – volontiers imaginée en l'occurrence comme primitive – mais un réseau réglé.

Les Origines dominent les études indo-européennes depuis leur publication (1935). La fermeté conceptuelle y est constamment conjointe à la sûreté et à l'abondance de l'information philologique, en sorte que chaque proposition reçoit une double fonction. D'une part, elle prend place dans une[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)

Classification

Pour citer cet article

Jean-Claude MILNER. BENVENISTE ÉMILE (1902-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Émile Benveniste - crédits : AFP

Émile Benveniste

Autres références

  • PROBLÈMES DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE II, Émile Benveniste - Fiche de lecture

    • Écrit par Gabriel BERGOUNIOUX
    • 661 mots
    • 1 média

    Émile Benveniste (1902-1976) avait déjà une solide réputation de comparatiste, spécialiste des langues indo-européennes (Origines de la formation des noms en indo-européen, 1935, qu'allait prolonger le Vocabulaire des institutions indo-européennes, 1969), quand il s'est décidé à réunir...

  • AUXILIAIRE, linguistique

    • Écrit par Robert SCTRICK
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    Un grand nombre d'éléments linguistiques qui font partie du constituant verbe sont traités par la grammaire traditionnelle comme des verbes, mais au comportement morphologique irrégulier, au contenu lexical moins plein, compensé par un rôle important dans la formation de certains temps...

  • BLASPHÈME

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    ...droit positif, réside dans l’interdiction biblique de prononcer le nom de Dieu. « Il faut prêter attention à la nature de cette interdiction, écrivait Émile Benveniste, qui porte non sur le “dire quelque chose”, qui serait une opinion, mais sur le “prononcer un nom” qui est pure articulation vocale....
  • CATÉGORIES

    • Écrit par Fernando GIL
    • 6 071 mots
    ...relations, objets et attributs –, il n'en va pas de même pour d'autres langues, par exemple le hopi (Language Thought and Reality, 1956). De son côté, É.  Benveniste, dans Problèmes de linguistique générale, a montré que les six premières catégories de la liste aristotélicienne indiquée ci-dessus correspondent...
  • CORPS - Corps et langage

    • Écrit par Louis MARIN
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    Si la sémiologie est la science des signes, la sémiologie du corps se définira comme la région de cette science dont l'objet est le corps comme signe. Comment le corps humain peut-il être signe ou ensemble de signes ? Comment peut-il signifier ? Quel peut être son type propre de signifiance...

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Voir aussi