MOLIÈRE
Le premier titre de célébrité de Molière réside dans la trentaine de pièces de théâtre qu’il a composées entre 1655 et 1673, et dont certaines font partie des œuvres les plus jouées du répertoire occidental. Mais l’auteur de théâtre au succès phénoménal est également l’un des comédiens les plus renommés, qui a profondément renouvelé le jeu comique. Et ce même comédien de génie s’est affirmé comme un entrepreneur de spectacles hors pair qui, placé à la tête d’une troupe, a su opérer les choix décisifs pour en faire le lieu de divertissement le plus prisé de son époque. Sur tous les plans, l’homme de théâtre Molière peut se targuer d’une réussite prodigieuse, comme il en existe peu dans l’histoire du spectacle.
Le phénomène est unique à son époque, qui l’a parfaitement perçu, décrit et célébré en tant que tel. Molière n’est pas le seul comédien auteur que la France du xviie siècle a connu (même s’il établit sur ce point un modèle que les concurrents s’efforceront d’imiter). Il reste que ses contemporains sont frappés par cette concentration de talents exceptionnelle, amplifiée par une extraordinaire capacité d’adaptation aux circonstances, qui amène celui qui n’est à l’origine qu’un professionnel du théâtre parmi d’autres à devenir, sur le tard, l’entertainerde référence du royaume et à fréquenter les cercles les plus élevés du pouvoir, souverain en tête. Ascension vertigineuse, qui se concrétise ultimement dans une grande opulence matérielle, ainsi que l’atteste son inventaire après décès.
Le cas Molière s’avère aussi exceptionnel dans l’histoire du théâtre en raison de la qualité de la documentation dont nous disposons. Certes, aucun écrit autographe de Molière, à l’exception de quelques signatures, ne nous est parvenu, conformément à ce qui est la norme pour les auteurs du xviie siècle. En revanche, d’autres sources, à la fois substantielles et détaillées, permettent de nous faire une idée assez précise de l’individu et de son activité. Non seulement les pièces composées par Molière ont été, pour la plupart, imprimées après avoir été jouées, ce qui nous permet de connaître assez précisément le contenu des spectacles, mais en outre l’activité du comédien auteur a fait l’objet de nombreux commentaires à son époque, lesquels ont nourri des publications consacrées à un individu perçu par ses contemporains comme une vedette. À cela s’ajoute le fait que les événements principaux marquant la vie de la troupe, ainsi que les décomptes précis des revenus acquis lors des représentations, nous sont connus au travers d’un document exceptionnel, le Registre, que le comédien La Grange a mis au net en se fondant sur les livres de comptes et sur ses souvenirs personnels. Aucune troupe théâtrale du xviie siècle n’a laissé un compte rendu aussi détaillé de son activité.
Une carrière théâtrale
La vie de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, né à Paris le 15 janvier 1622, s’inscrit tout entière sous le signe du théâtre. Certes, il n’est pas issu d’une lignée de comédiens, comme le sont parfois les professionnels de la scène à cette époque. Il provient des milieux de service de la cour (son père détient la charge de valet de chambre-tapissier du roi, qui consiste à veiller aux fournitures des appartements du souverain). Sa culture familiale l’a néanmoins fait bénéficier d’une solide connaissance des goûts dominants au sein de l’élite sociale et lui a inculqué l’esprit d’entreprise caractéristique du « capitalisme de charges » propre à son milieu. Il n’est donc pas surprenant qu’il se lance dans la carrière théâtrale, alors même que, comme le dit un contemporain, « il eût assez de bien pour vivre honorablement dans le monde » (Donneau de Visé, Les Nouvelles Nouvelles, 1663).
Cette carrière[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude BOURQUI : professeur de littérature française à l'université de Fribourg
Classification
Pour citer cet article
Claude BOURQUI, « MOLIÈRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
Médias

Molière (1622-1673) dans le rôle de César de La Mort de Pompée de Corneille, N. Mignard
Erich Lessing/ AKG-images
Molière (1622-1673) dans le rôle de César de La Mort de Pompée de Corneille, N. Mignard
Après avoir vécu à Rome avec son frère Pierre, Nicolas Mignard (1606-1668) se fixe à Avignon. C'est…
Erich Lessing/ AKG-images

La Princesse d’Élide, Molière et Lully
Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images
La Princesse d’Élide, Molière et Lully
En mai 1664, Molière, auteur et chef de troupe, participe activement aux grandes fêtes données à…
Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Le Bourgeois gentilhomme de Molière, mise en scène de B. Lazar
Pascal Victor/ ArtComPress/ opale.photo
Le Bourgeois gentilhomme de Molière, mise en scène de B. Lazar
La redécouverte de la musique baroque a permis une approche nouvelle des pièces de Molière, et…
Pascal Victor/ ArtComPress/ opale.photo
Autres références
-
AMPHITRYON (mise en scène C. Rauck)
- Écrit par Didier MÉREUZE
- 869 mots
- 1 média
Amphitryon est l’une des comédies les mieux ciselées de Molière. Inspirée de Plaute, elle nous reconduit aux temps anciens de la Grèce, lorsque les dieux couvaient les hommes d’un regard jaloux.
Victorieux d’Athènes, le valeureux Amphitryon s’apprête à regagner son palais afin d’y...
-
DOM JUAN (mise en scène B. Jaques)
- Écrit par Christian BIET
- 883 mots
À travers sa mise en scène d'Elvire Jouvet 40, d'après les carnets de travail de Louis Jouvet, Brigitte Jaques s'était intéressée au Dom Juan de Molière, aux rôles et à la manière de les dire. Cette fois, sans abandonner le travail de l'acteur, elle se tourne aussi vers...
-
DOM JUAN, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 995 mots
- 1 média
Le 15 février 1665, Molière (1622-1673) donne Dom Juan, une comédie fort dangereuse, à la suite de Tartuffe qui venait d'être interdit. Quinze jours après la première, les pressions de toutes sortes et la prudence font que l'écrivain retire sa pièce : Le Festin de pierre...
-
L'ÉCOLE DES FEMMES (mise en scène J. Lassalle)
- Écrit par Christian BIET
- 983 mots
L'École des femmes, de Molière. À peine a-t-on prononcé ces quelques mots que tout se met en place. Le premier combat de Molière travesti en Arnolphe, les Maximes du mariage comme passage obligé du tyran domestique, le jeu des quiproquos. Et une pièce jugée éclatante, une comédie autobiographique,...
-
L'ÉCOLE DES FEMMES, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 121 mots
Après le succès de L'École des maris (1661), Molière (1622-1673) décide de reprendre la même intrigue : une jeune fille échappe à son tuteur, un barbon, pour épouser un jeune homme qu'elle aime et dont elle est aimée. Le naturel et l'innocence triomphent du pouvoir et de l'argent. La...
-
LE MALADE IMAGINAIRE, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 505 mots
- 1 média
-
LE MISANTHROPE, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 473 mots
-
LE TARTUFFE (mise en scène J.-M. Villégier)
- Écrit par Christian BIET
- 819 mots
Tartuffe ne serait-il pas, aussi, l'image insinuante et sombre d'une France malade ? Tartuffe ne pourrait-il point être l'une de nos constantes nationales : l'appétit de fausseté, le plaisir de vaincre par la force du calcul sordide ? Dès lors, ne peut-on pas trouver Tartuffe parmi les « collabos »...
-
LE TARTUFFE, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 305 mots
- 1 média
-
LES FEMMES SAVANTES, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 478 mots
- 1 média
Avant-dernière comédie de Molière (1622-1673), Les Femmes savantes font écho aux Précieuses ridicules (1659) qui ont ouvert la carrière parisienne de l'auteur. Sur le même motif (les femmes et leur volonté de prétendre au savoir et à l'art dans une société de salon), Molière...
-
LES FOURBERIES DE SCAPIN (mise en scène J.-L. Benoit)
- Écrit par Christian BIET
- 1 189 mots
-
LES FOURBERIES DE SCAPIN, Molière - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 058 mots
-
TARTUFFE (mise en scène S. Braunschweig)
- Écrit par Didier MÉREUZE
- 1 049 mots
En 2003, Stéphane Braunschweig se confrontait à Molière avec une mise en scène mémorable du Misanthrope. Alceste, tyran et victime des autres mais surtout de lui-même, réactionnaire dans son dégoût de tout ce qui est « moderne ». Cinq ans après, à l'occasion de ses adieux au Théâtre national de...
-
ALCESTE (J.-B. Lully)
- Écrit par Christian MERLIN
- 251 mots
- 1 média
En 1671, Jean-Baptiste Lully donne avec Molière, Pierre Corneille et Philippe Quinault Psyché, une tragédie-ballet qui annonce un genre nouveau, la tragédie lyrique, auquel Alceste, ou Le triomphe d'Alcide, créé à l'Académie royale de musique de Paris le 19 janvier 1674, va...
-
AMPHITRYON
- Écrit par Universalis
- 255 mots
-
BALLET
- Écrit par Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE
- 11 100 mots
- 17 médias
Le ballet connaît le danger de se faire absorber par l'opéra ; il y échappera grâce àMolière qui l'intègre au théâtre. L'importance de cette tentative sera reconnue plus tard. Certes, il arrive aussi à Molière d'avoir simplement recours au ballet de cour dans Le Mariage forcé... -
BAROQUE
- Écrit par Claude-Gilbert DUBOIS, Pierre-Paul LACAS, Victor-Lucien TAPIÉ
- 18 332 mots
- 23 médias
...engendre la modération, la recherche d'un équilibre entre le désir et sa satisfaction, celui qui caractériserait les milieux bourgeois mis en scène par Molière, si un maniaque, qui plus est doté de pouvoir sur sa famille, ne venait perturber cet ordre dans presque chacune de ses comédies : la monomanie... -
COMÉDIE-BALLET
- Écrit par Philippe BEAUSSANT
- 645 mots
- 1 média
L'histoire de la comédie-ballet est fort courte : onze ans à peine, 1661-1672. Elle naît, en apparence, par hasard : lors de la fête de Vaux donnée par Fouquet (août 1661), afin de donner aux danseurs le temps de se changer entre les « entrées » du ballet, on...
- Afficher les 22 références