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TARTUFFE (mise en scène S. Braunschweig)

En 2003, Stéphane Braunschweig se confrontait à Molière avec une mise en scène mémorable du Misanthrope. Alceste, tyran et victime des autres mais surtout de lui-même, réactionnaire dans son dégoût de tout ce qui est « moderne ». Cinq ans après, à l'occasion de ses adieux au Théâtre national de Strasbourg dont il quittait la direction (il succédera en 2010 à Alain Françon à la tête du Théâtre national de la Colline), le metteur en scène est revenu à Molière avec un Tartuffe qui mérite tout autant de faire date.

Transposant ce classique dans les premières années du xxie siècle (les personnages portent jeans, baskets, jupes aux couleurs criardes ou costumes stricts), Stéphane Braunschweig ne s'est pas contenté d'en proposer une simple relecture, mais s'est livré à une véritable exploration de nos vérités interdites et de nos peurs secrètes. Sans doute, la mise en scène traite-t-elle comme attendu de la dénonciation de tous les hypocrites (directeurs de conscience, chefs de secte, hommes providentiels) et de toutes les impostures (fanatismes, État manipulateur), en passant par le conflit entre les générations, la crise des valeurs familiales, la relation perverse qui peut unir à son maître à penser celui qui s'en fait l'esclave. Et Tartuffe est bien un imposteur, profitant de la faiblesse des autres, habile à feindre la vertu, aventurier prêt à s'emparer de tout, enfin révélateur d'une société en perte d'elle-même, comme l'ange du Théorème de Pasolini.

Orgon est bien sa victime consentante, bourgeois mal marié en secondes noces à une femme trop jeune. Cultivée et brillante, plus proche que lui-même de ses enfants, Elmire n'est jamais autant elle-même que dans une société dont son mari se sent exclu au point de ne plus se sentir maître chez lui, incapable qu'il est d'y faire respecter l'ordre dans lequel il a été élevé.

Rien de neuf, dira-t-on ? C'est compter sans l'acuité du regard porté sur les personnages et leurs ressorts les plus intimes. Stéphane Braunschweig nous conduit ainsi, avec une intelligence et une rigueur sans faille, jusqu'aux tréfonds de l'inconscient. Sur le plateau, pas de signe religieux ostentatoire, ou de lourdes tentures, voire de grands tableaux, comme jadis chez Roger Planchon. Le décor représente un intérieur d'hôtel particulier au dépouillement sévère, écrin autant que protagoniste de la chute de la maison Orgon. Au fil des actes, ses murs s'élèvent vers les cintres ; tandis que la lumière que laisse pénétrer les hautes fenêtres passe du clair au blafard, la cave et le sous-sol, lézardées, se découvrent jusqu'aux fondations, donnant au spectateur le sentiment de s'enfoncer dans un cloaque, en même temps que les personnages.

À commencer par Orgon, interprété par Claude Duparfait (l'Alceste du Misanthrope) avec une douceur et une fragilité roide d'autant plus terrifiantes qu'elles ne sont que le masque d'une intolérance butée. Étriqué et ridicule derrière ses lunettes et son collier de barbe soigné, il apparaît pitoyable dans sa détresse, taraudé par ses frustrations face à l'évolution sociale comme à celle des mœurs. Prisonnier de lui-même, il vit comme dans une citadelle assiégée (brutalement mise à mal par le prologue ajouté à la pièce), considérant ses proches comme des ennemis dès lors qu'ils ne partagent pas ses choix. Il y a chez lui de l'enfant qui n'aurait pas su grandir. Mais un enfant qui entend jouer les adultes, quitte à se faire tyran domestique, au nom d'un ordre et d'une pureté retrouvés. Incapable d'y parvenir seul, il trouve en Tartuffe son instrument. S'il en est la victime, il en est aussi l'« inventeur ». Tartuffe le fascine parce qu'il « est », alors que lui-même n'arrive pas à être. Il se vêtira donc à l'identique, col roulé blanc, crucifix en sautoir. Lors de la fameuse scène[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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Pour citer cet article

Didier MÉREUZE. TARTUFFE (mise en scène S. Braunschweig) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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