Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TRAGIQUE

Le mot tragique est un mot piège. D'une part, il est lié à la définition d'un genre théâtral, la tragédie, et à son emploi. D'autre part, il constitue une notion anthropologique, philosophique et esthétique fondamentale.

Un genre théâtral

Est donc d'abord tragique ce qui est relatif à la tragédie. C'est le sens principal que revêt le mot entre le xvie et le xviiie siècle. Et comme la tragédie prend comme sujet ce qui a trait à la mort, à la douleur face à la mort, ou encore le processus esthétique qui conduit à une possible représentation de la mort, ce qui est génériquement et théâtralement tragique devient un sujet, une fable où la mort est centrale, mais aussi où il y a du « sanglant » (c'est en ce sens, et très littéralement, que le début du xviie siècle entend le mot tragique).

Le tragique de la tragédie n'est donc pas nécessairement tragique au sens philosophique du terme. Corneille, zélateur de la volonté, installant une structure dynamique pour ses pièces et persuadé qu'une Providence existe, termine généralement ses pièces (en tout cas celles des deux premiers tiers de sa carrière) par une fin sinon optimiste, du moins résolutive pour le héros ou l'État. Ce sont des tragédies « qui finissent bien ». Elles n'en comportent pas moins un péril de mort, et la résolution finale est contestée par l'accomplissement même de la tragédie, autrement dit par le plaisir donné au spectateur de constater les méandres des actions humaines, l'ironie des jugements et leur relativité. Rien pour autant ne disqualifie ces pièces comme tragédies, puisque la tragédie est d'abord un genre, non une vision tragique du monde. La tragédie racinienne, en revanche, peut mettre parfois à l'écart la représentation mortelle ou sanglante en décentrant le péril de mort (Bérénice, 1670). Elle correspond à l'idée moderne que nous avons du concept de tragique : une fatalité contre laquelle on ne peut rien. Par la représentation des passions qui dominent ses personnages et les meuvent, Racine contribuerait alors à donner la vision d'une sorte de destin, largement compris à l'intérieur de la problématique religieuse contemporaine de la grâce. Mais rien n'empêche un lecteur moderne, comme George Steiner (Les Antigones, 1986) par exemple, après avoir lu Hegel, Schopenhauer et Nietzsche, de considérer anachroniquement mais philosophiquement que Racine délivre « une vision tragique de l'Univers », au même titre que Shakespeare ou Eschyle. De ce point de vue, la tragédie peut alors affronter la notion contemporaine de tragique : elle dit poétiquement la réflexion sur les conflits et sur les failles de l'inscription de l'homme dans le social, et fait entrer les passions dévorantes dans un monde en proie au doute.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Christian BIET. TRAGIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    La rencontre du tragique et du grotesque, métaphore du difforme du monde (Peter Barnes, Red Noses, 1985, Sunsets and Glories, 1990 ; Howard Barker, Scenes From an Execution, 1985), produit une sorte de tragédie nihiliste, baptisée par Howard Barker « théâtre de la catastrophe ». Ce terme, forgé par...
  • ART (Aspects esthétiques) - La contemplation esthétique

    • Écrit par Didier DELEULE
    • 3 634 mots
    ...en filigrane le possible de notre destinée. Le mythe, selon la formule bien connue, constitue le débris déformé des rêveries de l'humanité tout entière. De même, la tragédie renvoie au tragique considéré comme expérience originaire, originale et exemplaire, et c'est ce tragique qu'il importe de déchiffrer...
  • DESTIN

    • Écrit par Catherine CLÉMENT
    • 2 492 mots
    Le tragique ancien, celui d'Agamemnon mais aussi d'Antigone, est à la fois un tragique de spectacle et le nœud d'une union avec la douleur : « C'est ainsi que notre Antigone est l'épouse de la peine. Elle voue sa vie à pleurer le destin de son père et son propre destin. » Le destin...
  • DRAME - Drame bourgeois

    • Écrit par René POMEAU
    • 3 500 mots
    • 1 média
    ...ceux qui n'ont jamais connu la vie humiliée qu'abomine cette Antigone de café-concert. Ainsi l'œuvre s'élève à une certaine qualité de tragique – de ce tragique que paradoxalement Jean Anouilh déprécie dans son Antigone(1944), lorsqu'il redéfinit l'opposition des genres : « C'est...
  • Afficher les 14 références

Voir aussi