MAMMIFÈRES
Dans l'état actuel des connaissances, définir scientifiquement ces vertébrés que l'on nomme couramment mammifères est une véritable gageure que nous ne nous proposons pas de tenir. Il semble pourtant, a priori, parfaitement possible, voire facile, de trouver des caractères généraux et communs à l'homme, au cheval et au rat. D'une façon plus générale, il est possible de définir un groupe de vertébrés vivant actuellement, groupe que l'on désigne par classe des Mammifères. Les quelque 5 000 espèces qui constituent cette classe présentent les caractères fondamentaux suivants : allaitement des petits grâce à des glandes lactéales, importante musculature faciale, aorte unique à gauche, deux condyles occipitaux, mandibule composée d'un seul os, excrétion azotée sous forme d'urée et, au moins à l'origine de certaines lignées, corps couvert de poils.
Déjà, Aristote avait reconnu l'existence d'un ensemble de vertébrés quadrupèdes, vivipares et porteurs de poils. Il faut tout de suite préciser que les Monotrèmes, animaux ovipares (cf. infra), sont, dans ces conditions, exclus ; ils ne furent découverts qu'au xviiie siècle. C'es t seulement dans la dixième édition (1758) du Systema naturae que Linné emploie le terme Mammalia ; les Cétacés et les Chiroptères, qui avaient jusqu'alors été respectivement classés avec les Poissons et les Oiseaux, prennent enfin une position systématique logique. Les grands traits de la classification des Mammifères sont fondés sur l'anatomie de l'appareil génital femelle, depuis les travaux d'Henri Ducrotay de Blainville (1834) et enfin de Thomas Henry Huxley (1880). Les deux sous-classes de Mammifères actuels sont les suivantes : d'une part, les Protothériens (ovipares), ou Monotrèmes, représentés aujourd'hui par l'ornithorynque et les quatre espèces d'échidnés, et, d'autre part, les Thériens (vivipares). Ces derniers sont subdivisés en Métathériens, ou Marsupiaux (par exemple le kangourou), qui sont des vivipares aplacentaires, et Euthériens ou Placentaires.
Une telle classification, applicable aux Mammifères actuels, paraît simple. Les choses se compliquent lorsqu'on veut reconstituer l'histoire paléontologique des Mammifères. En effet, depuis la découverte par l'Américain E. D. Cope (1870) de Reptiles permiens d'Afrique du Sud présentant des caractères prémammaliens, les recherches paléoanatomiques n'ont fait que confirmer ce qui est devenu depuis un des plus beaux exemples concrets de l' évolution des Vertébrés : l'origine reptilienne des Mammifères. On connaît, à l'heure actuelle, un ensemble de formes s'étalant du début du Permien jusqu'au Lias (soit environ sur 80 millions d'années), qui constitue une suite d'étapes structurales allant du stade reptilien au stade mammalien. Ces étapes s'enchaînent, pour la plupart d'entre elles, logiquement les unes aux autres, parfois sans montrer de solution de continuité. Il devient alors très difficile de déterminer la frontière entre ces mammifères fossiles et les reptiles qui leur ont donné naissance. L'analyse d'une forme fossile ne peut évidemment porter que sur son squelette. Il a donc fallu déterminer un certain nombre de critères squelettiques, en particulier crâniens, cela afin de distinguer un « reptile » permotriasique d'un « Mammifère » triasicojurassique. D'une part, cette détermination est encore très discutée ; d'autre part, la recherche même des critères discriminatoires soulève un problème fondamental : celui de la valeur de la conception classique de la systématique animale.
Origine des Mammifères
Dès l'apparition au Carbonifère d'un stade « Reptile » à partir des Amphibiens primitifs, il semble que deux lignées se soient différenciées très tôt : l’une, dite Diapside, qui a conduit aux Dinosaures, aux Oiseaux et aux Reptiles actuels, et l’autre, dite Synapside, qui a abouti aux Reptiles mammaliens et aux Mammifères.
Pour montrer concrètement le « passage » Reptile-Mammifère, il faut analyser les trois exemples de transformations structurales crâniennes qui se sont produites au cours de l'évolution : la formation du palais secondaire, l'agrandissement de la cavité cérébrale et les modifications de l'articulation craniomandibulaire.
Le palais secondaire
Les Diapsides possèdent un palais mou, membraneux et très peu ossifié. Chez les Synapsides, les prémices d'un palais mammalien, dur et osseux, apparaissent déjà chez les Reptiles Pélycosauriens (Permien). Mais c'est chez les Reptiles Cynodontes (Trias moyen) que l'on observe pour la première fois un palais mammalien complet (fig. 1). Les deux vomers reptiliens sont soudés en un seul vomer médian, tandis que des processus ventraux issus de chaque maxillaire et de chaque palatin s'affrontent sur la ligne médiane. Ainsi les narines internes (choanes) sont rejetées loin en arrière. Ces Reptiles mammaliens pouvaient donc déjà mâcher leur nourriture et respirer en même temps. À la fin du Trias, les Ictidosauriens présentent un palais secondaire complet.
La cavité cérébrale
Chez les Pélycosauriens, comme chez tous les véritables Reptiles (fig. 2), l'épiptérygoïde est un os en forme de tige verticale posé sur le ptérygoïde. Chez les Thérapsidés, il prend plus d'importance, formant une lame allongée dans le plan sagittal médian, et il est soudé au basisphénoïde ; l'épiptérygoïde commence alors à faire partie de la paroi de la cavité cérébrale. Enfin, probablement dès le début du Jurassique, le même territoire osseux s'incorpore complètement à la paroi de la cavité cérébrale, constituant l'alisphénoïde mammalien. Ainsi, la cavité qui existait, dans le crâne reptilien, entre l'épiptérygoïde et la dure-mère cérébrale a complètement disparu chez les Mammifères : le cavum epiptericum a été résorbé au cours de l'évolution.
L'articulation craniomandibulaire
Chez les Reptiles Diapside, l'os carré, soudé au crâne, pénètre dans une cavité portée par un des os de la mandibule appelé articulaire, permettant ainsi la rotation (limitée) de la mâchoire inférieure autour d'un axe transversal passant par les deux os carrés. La mandibule de ces Diapsides est constituée de trois os sensiblement de même taille : en avant, le dentaire porte les dents ; en arrière et en bas, l'angulaire sert d'attache à des muscles ; en arrière et en haut, l'articulaire s'emboîte sur le carré crânien. La columelle est le seul os placé dans la cavité tympanique de l'oreille moyenne, et elle est en liaison avec le carré.
Cette disposition s'observe non seulement chez les Reptiles fossiles comme les Pélycosauriens (fig. 3a), mais aussi chez les Labyrinthodontes et les Crossoptérygiens Rhipidistiens. La transformation profonde de cet état structural est un des phénomènes évolutifs les plus probants de la lignée reptilo-mammalienne.
Dès les Cynodontes du Trias inférieur (fig. 3b), on remarque que l'os appelé dentaire constitue pratiquement toute la mandibule ; l'articulaire est rejeté à la partie tout à fait postérieure de la mâchoire inférieure ainsi que l'angulaire dont une partie (lame réfléchie) se recourbe vers le bas. Chez les Cynodontes évolués ( Diademodon, Cynognathus), le groupe des os postdentaires est encore plus réduit et la lame réfléchie de l'angulaire accentue sa courbure. Parallèlement, le carré a considérablement diminué de taille.
Au cours de son développement, la mandibule des Marsupiaux passe par un stade anatomiquement très proche de celui que l'on observe chez les Cynodontes (fig. 3c) . L'étude anatomique et morphogénétique de la mandibule et de l'oreille moyenne, chez les Reptiles et les Mammifères, a permis d'établir une théorie synthétique due, entre autres, à Reichert (1837) et à Gaupp (1913), théorie parfaitement étayée qui aboutit à dresser les homologies suivantes : la columelle, le carré, l'articulaire et l'angulaire des Reptiles correspondent respectivement à l'étrier, à l'enclume, au marteau et au tympanique des Mammifères. La comparaison de la région postdentaire chez les Cynodontes et l'embryon de Marsupial confirme la théorie de Reichert-Gaupp en même temps qu'elle lui donne une dimension évolutive nouvelle.
Depuis le milieu du xxe siècle, on connaît même des formes fossiles qui présentent la double articulation, articulo-carrée (reptilienne) et squamoso-dentaire (mammalienne) ; c'est le cas d'un Ictidosaurien du Trias supérieur : Diarthrognatus. Enfin, chez les Pantothériens du Jurassique moyen, l'articulation reptilienne a complètement disparu, bien que les os postdentaires dussent encore être visibles à l'extérieur du crâne ; ces derniers disparaissent totalement de la mandibule chez les Thériens du Jurassique.
Parmi les nombreux autres cas de transformation anatomique, le changement d'orientation des membres par rapport au corps (cf. membres) montre que les Mammifères se sont détachés de la souche reptilienne permienne à la fois très lentement et très progressivement.
Un trait essentiel de l'évolution des Mammifères est le changement de la morphologie dentaire. Beaucoup de Mammifères fossiles ne sont connus que par leurs dents.
La figure 4 illustre les différentes étapes structurales qui caractérisent la complication de la dent, depuis la simple molaire à trois tubercules jusqu'à la molaire complexe des Placentaires évolués.
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Écrit par
- Pierre CLAIRAMBAULT : professeur
- Robert MANARANCHE : docteur ès sciences, maître assistant à l'université de Paris-VII
- Pierre-Antoine SAINT-ANDRÉ : paléontologue
- Michel TRANIER : professeur au Muséum national d'histoire naturelle, ancien directeur des collections
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