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VOLONTÉ

Le contexte « épistémologique » : Descartes

La psychologie de la volonté a reçu une impulsion toute différente, parfois en conjonction avec la spéculation précédente, de la réflexion sur l'erreur. Cette réflexion n'est pas sans relation avec la méditation antérieure sur le mal. Elle s'en distingue, néanmoins, en ce qu'elle déplace l'accent de l'éthique sur l'épistémologie. L'enquête sur la volonté est un moment dans l'entreprise de fondation radicale de la connaissance vraie dont la science exacte est le modèle. La théorie du jugement est le cadre de cette nouvelle investigation, qui trouve dans les Méditations métaphysiques de Descartes (Méditation quatrième) son exposé classique. Non que la conception cartésienne soit sans antécédent : les stoïciens, déjà, avaient vu dans l'« opinion » la conjonction entre l'« assentiment » (c'est-à-dire la volonté) et la « représentation » et fait appel au pouvoir que nous avons de suspendre (épochè) notre assentiment pour briser l'empire des passions ; la psychologie médiévale, d'autre part, avait conçu, avant Descartes, le jugement comme une action réciproque de l'entendement et de la volonté. Mais c'est la première fois, avec Descartes, que cette psychologie de l'assentiment s'intègre, à travers la question des causes de l'erreur, à une recherche sur les moyens de « parvenir à la connaissance de la vérité ». En faisant porter sur la volonté tout le poids de l'erreur, Descartes libère de tout soupçon « la puissance de connaître [...] : car par l'entendement seul je n'assure ni ne nie aucune chose, mais je conçois seulement les idées des choses, que je puis assurer ou nier. Or, en le considérant ainsi précisément, on peut dire qu'il ne se trouve jamais en lui aucune erreur, pourvu qu'on prenne le mot d'erreur en sa propre signification. » Il n'y a donc pas d'idée fausse, pas de fausseté matérielle. Ce n'est pas à dire que la volonté comme telle soit cause d'erreur : « car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas [c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir], ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu'une force extérieure nous y contraigne ». En tant que simple pouvoir, la volonté aussi est donc innocente. Mais elle ne l'est point en tant qu'usage. Si je viens à me tromper, c'est que je ne contiens pas ma volonté dans les limites de mon entendement, « mais que je l'étends aussi aux choses que je n'entends pas : auxquelles étant de soi indifférente, elle s'égare fort aisément ». Cette indifférence de la volonté, qui me permet de me tromper, n'est sans doute que « le plus bas degré de la liberté et fait plutôt paraître un défaut de la connaissance qu'une perfection de la volonté » ; du moins est-elle le régime ordinaire de la volonté, pour toutes les choses que l'entendement ne découvre pas avec une parfaite clarté. C'est donc seulement par une méthode abstractive qu'on connaît la volonté, comme le moment d'action qui se compose avec le moment de passion de l'entendement. Seul le jugement est l'objet d'une expérience complète et concrète ; du moins, cette expérience se prête à la décomposition en deux causes concourantes, à la faveur de la disproportion qu'elle présente entre le caractère borné de l'une et l'amplitude sans borne de l'autre. Mais cette méthode abstractive n'est pas appliquée au bénéfice d'une « psychologie », dont nul à cette époque n'a l'idée ; en déterminant le lieu de l'erreur, elle lève le soupçon que Dieu pourrait être cause de l'erreur ; or, si Dieu était trompeur, il ne serait pas le garant de la vérité et toute la philosophie selon l'ordre des raisons s'effondrerait. Seul, par conséquent, l'établissement de la vérité sur un fondement indubitable exige que le[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

Classification

Pour citer cet article

Paul RICŒUR. VOLONTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALIÉNATION

    • Écrit par Paul RICŒUR
    • 8 006 mots
    ...droit, ce même Hegel qui est par ailleurs responsable de l'extension de la notion, mais dans une autre direction, qui sera examinée à son tour. Les Principes de la philosophie du droit incorporent à une philosophie de la volonté, c'est-à-dire de la liberté réalisée, la notion du contrat d'échange...
  • AUGUSTIN saint (354-430)

    • Écrit par Michel MESLIN
    • 8 969 mots
    • 2 médias
    ...essentiellement fondée sur l'idée que la grâce est une délectation céleste. Elle constitue l'appel à un tel bonheur qu'elle entraîne l'adhésion de la volonté de l'homme. En d'autres termes, l'amour de Dieu, que la grâce propose, peut seul entraîner l'adhésion de la volonté. Et dans l'analyse de ce ...
  • AUTONOMIE

    • Écrit par François BOURRICAUD
    • 4 123 mots
    ...était confondue avec Dieu lui-même, ou bien elle était présentée comme un ensemble de dispositions psychologiques à peu près permanentes et universelles. Mais, dans la variante psychologiste comme dans la variante théologique, la loi est un donné devant lequel doit s'incliner la volonté individuelle.
  • BIEN, philosophie

    • Écrit par Monique CANTO-SPERBER
    • 6 623 mots
    • 1 média
    ...vouloir et qui rendent réellement heureux. Ils ne sont pas voulus par tous, mais sont dignes d'être voulus. Ces biens sont des valeurs intrinsèques. La bonne volonté, au sens où la définit Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785) et dans la Critique de la raison pure (1781),...
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Voir aussi