NOM
Le sens, la référence et le nom propre
Logiciens et anthropologues ont diversement traité la question du nom propre dans son rapport au sens et à la référence, les linguistes s'en trouvant détournés par la clôture saussurienne sur la relation, immanente au signe lui-même, du signifiant au signifié.
Le nom propre des logiciens ne coïncide sans doute que partiellement avec le nom propre de la langue naturelle et avec l'anthroponymie et la toponymie des anthropologues. Leur éclairage, on le verra, est pourtant pertinent. Dans le mouvement de la philosophie analytique, la considération du nom propre fait partie d'une longue réflexion collective sur la référence et sur l'aptitude à assurer la référence dont font preuve tant les termes singuliers (vrais d'un seul) que les termes généraux (vrais de plusieurs). Ce que les logiciens mettent en évidence, par leurs constructions, c'est, de Russell à Quine, le caractère dispensable des noms propres pour assurer la référence singulière. L'entreprise d'élimination, par analyse, des descriptions chez Russell (On Denoting, 1905) reste partielle dans la mesure où sa théorie des « noms logiquement propres » reste conforme à la vue traditionnelle (unum nomen, unum nominatum), combinée avec une nonsense theory héritée de Mill et une sémantique empiriste de sense-data (The Philosophy of Logical Atomism, 1918). L'entreprise d'élimination se fait radicale chez Quine (Word and Object, 1960) ; elle touche, en effet, tous les termes singuliers, y compris les noms propres. La référence est portée par la variable dans l'appareil de quantification. L'opérateur d'individualisation se trouve alors associé à un terme général. Mais le cadre de l'analyse devait évoluer.
Le principe était explicite chez Frege et chez Wittgenstein – et il était en œuvre chez Russell – de ne considérer un nom comme ayant une signification que dans le contexte d'une proposition, et non à l'état isolé. Strawson souligna ensuite l'importance de l'usage : ce ne sont pas les expressions qui ont une référence, mais les locuteurs qui se réfèrent au moyen des expressions. Enfin, le Wittgenstein des Investigations et Francis Jacques dans ses Dialogiques ont mis en évidence, le premier, que le nom n'acquiert sa valeur référentielle que dans un jeu de langage, et, le second, qu'il n'obtient sa valeur co-référentielle, que dans un interacte de communication.
Ce que les philosophes dits du langage ordinaire (qui ne renoncent pas tous pour autant à l'appareil logique) ont souligné à l'encontre de Russell et de Quine, c'est l'irremplaçabilité du nom propre pour assurer, dans le discours échangé, la singularité tant de l'adresse que de la référence. La seconde moitié du xxe siècle voit donc le renversement de la tendance éliminatoire. S. Kripke et H. Putnam rendent aux noms propres comme « désignateurs rigides » leur place dans le discours scientifique.
Pour les anthropologues, il n'est certes pas question de se passer de noms ! Pour la bonne raison qu'« aucune société n'omet de dénommer ses membres » (F. Zonabend). Non seulement le nom propre est indispensable, mais encore il n'est jamais dépourvu de sens. On peut en énumérer brièvement les raisons.
– Toutes les sociétés reconnaissent leurs membres comme des individus et, en conséquence, leur allouent des noms. Les individus font vraiment partie de leur société à partir de la nomination qui les fait entrer dans l'ordre symbolique et social.
– Le nom fait partie d'un capital symbolique. C'est un bien gratuit dont la consommation est obligatoire, bien symbolique dont l'allocation et la transmission, pour une part, sont soumis à des règles rigides, pour une autre part, relèvent de coutumes assez souples pour faire place à[...]
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Écrit par
- Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
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