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PHILOSOPHIE ANALYTIQUE

Des philosophes se sont dits et se disent encore analystes, à Cambridge, Lwow, Varsovie, Vienne, Prague, Oxford, Pittsburgh, Princeton... Avec l'appellation, ils ont en commun l'idée qu'un certain type d'analyse est philosophique, voire que la philosophie est analyse. Les maîtres mots : « phrase », « proposition », « signification », soulignent aussitôt le caractère linguistique de l'entreprise. On ne la confondra donc pas avec la résolution d'un concept à l'aide de jugements analytiques, ou avec l'analyse transcendantale de Kant, ou encore avec l'analyse philosophique de Lagneau.

Traditionnellement, les philosophes ne s'accordent ni sur la nature de leurs problèmes, ni sur le genre de solutions qui leur convient, ni sur le type de preuve qui caractérise leur argumentation. Le plus clair résultat de la « révolution » analytique, comme on a appelé la réaction anglaise à quelque cinquante années d'hégélianisme, aurait été de réduire un peu et pour un temps l'ampleur du désaccord. On aurait pris une idée plus précise de l'activité philosophique, plus unifiée de son modus operandi et de son domaine. Les questions philosophiques, typologiquement distinctes des questions empiriques comme des questions formelles, appelleraient une clarification logique de la pensée et par là une illumination de la nature ultime des faits. Une nouvelle méthode aurait été découverte, l'analyse, à ne confondre ni avec l'analyse matérielle du savant, ni avec l'analyse formelle du logicien. L'objet de la philosophie serait ce qui a été techniquement appelé un domaine de second degré (a second-ordersubject). Entendons que son affaire n'est pas de décrire, d'expliquer ou de changer le monde, ou même de produire des énoncés d'un nouveau genre, mais d'apporter une analyse de la signification des énoncés scientifiques et du sens commun que l'on ne met pas en doute. Les analystes ne prétendent pas décourager les approches intuitive et spéculative ; ils se soucient du reste fort peu d'en débattre avec la philosophie continentale et traditionnelle.

La tradition qu'ils forment depuis plus de soixante ans s'est centrée autour de deux questions modestes en apparence : What do youmean ? et How do we know ? (« Que voulez-vous dire ? » et « Comment connaissons-nous ? »). On évoque aussitôt l'enquête socratique et l'on se demande ce qui caractérise ces nouvelles recherches conceptuelles ; on songe à la quête kantienne du fondement et l'on voudrait découvrir ce qui distingue cette analyse philosophique du projet critique. Il ne suffit pas de remarquer que la seconde question présuppose pour eux la première et celle-ci une autre plus explicite : How do wespeak ? (« Comment parlons-nous ? »). Il s'agit de comprendre comment on en est venu à cet accord minimal qui fait d'abord de la philosophie une enquête sur le langage. Cette enquête sera menée en décrivant les origines, les formes de l'analyse philosophique, les phases de son histoire, les pôles de ses intérêts, et en dégageant à partir de ses présupposés la vigueur de la pensée philosophique.

Des origines aux commencements

C'est en Angleterre que le mouvement de la « philosophie analytique » se fit reconnaître comme tel, se signalant dès son apparition comme une rupture et une réaction à l'égard d'une école philosophique. Pourtant, les origines sont ailleurs.

L'approche analytique et linguistique en philosophie, qui s'annonçait chez Locke et se retrouvait chez Condillac, supposait une nouvelle approche du langage qui avait été acquise dans les sciences au moins cent cinquante ans plus tôt. Une histoire des sciences qui se veut histoire des concepts pourrait être une histoire linguistique des sciences. On y verrait que les révolutions[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Rennes
  • : docteur en philosophie de l'université Paris-I, chargé de cours à l'université de Paris-I, ancien assistant au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Francis JACQUES et Denis ZASLAWSKY. PHILOSOPHIE ANALYTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Bertrand Russell - crédits : Kurt Hutton/ Picture Post/ Getty Images

Bertrand Russell

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Wittgenstein

Autres références

  • AJDUKIEWICZ KAZIMIERZ (1890-1963)

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 725 mots

    Philosophe et logicien polonais, né en Galicie, mort à Varsovie. Ajdukiewicz étudie à l'université de Lwów avec Twardowski et Łukasiewicz. Ses thèses de doctorat ont pour titres L'Apriorité de l'espace chez Kant et Méthodologie des sciences déductives. Il étudie aussi...

  • ANALYTIQUE PROPOSITION

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 459 mots

    Le mot « analytique » a au moins trois sens.

    1. Au sens large, une proposition est dite analytique si elle est vraie en vertu de la signification des termes qu'elle contient. La simple considération des significations suffit à donner l'assurance de sa vérité. À ce sens se rattachent le...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...linguistique et historique, à l'architecture générale de la doctrine, à la forme des questions et aux présuppositions et attentes qu'elles impliquent. Le courant analytique, représenté aujourd'hui par la majorité des auteurs de langue anglaise (J. L. Ackrill, J. Barnes, etc.), fait abstraction de toute...
  • ATOMISME

    • Écrit par Jean GREISCH
    • 1 366 mots
    • 4 médias
    ...la chasse gardée des « sciences dures ». Dans le champ philosophique, l'atomisme va connaître un nouveau printemps grâce à certains représentants de la philosophie analytique. C'est le courant de l'atomisme logique, illustré par Bertrand Russell (1872-1970) et le « premier » Wittgenstein (1889-1951)....
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Voir aussi